Les tribulations d’un (ex) astronome

Pour après, la science !

lundi 13 avril 2020 par Guillaume Blanc

Cette période de confinement, d’épidémie, outre le côté forcément dramatique d’un point de vue humain, est aussi un moment de pause général pas inintéressant (quand on peut se le permettre !) : il faut voir le bon côté de la situation (avant de se prendre le revers dans la tronche, peut-être, plus tard).

La crise nous apprend expérimentalement beaucoup de choses. Le côté économique a été abordé par un excellent article de Romaric Godin sur Médiapart : « Ce que le confinement nous apprend de l’économie ». Elle nous montre également l’importance d’avoir un service public fort pour accuser le coup. Nos dirigeants l’avaient oublié, ils l’ont peut-être découvert. Ou pas.

Une autre dimension que la crise nous indique, c’est l’importance de la science. Je parle de la connaissance scientifique sur le monde, et non de la technologie, application (médicament, appareil, etc.) que l’être humain fait des connaissances scientifiques qu’il accumule. La science n’est donc, par essence, ni bonne ni mauvaise ; la technologie en revanche, porte une responsabilité morale en ce sens, selon ce qu’on en fait, remède ou poison. Même si le remède peut aussi être poison, il n’y a pas de technologie sans risque. Toute la subtilité de l’exercice revient à considérer les bénéfices que l’on en tire au regard des risques encourus.

Sans les connaissances scientifiques, il est impossible de gérer (plus ou moins) correctement la crise sanitaire, impossible de soigner, impossible d’envisager un remède, un vaccin, bref, la science est indispensable. On se rend compte qu’elle est nécessaire pour éclairer les décisions politiques, avec des analyses (modèles de propagation, etc.) pour prévoir l’évolution de la maladie selon telle ou telle option, pour soulager au mieux les patients, limiter les décès, et étudier la maladie et le virus pour mieux les circonscrire. Tout cela, c’est de la science en temps réel, même si cela nous paraît bien long !

On s’aperçoit également qu’il aurait été nécessaire de développer la recherche fondamentale en amont, on se rend maintenant compte que des projets ont été spoliés et sacrifiés sur l’autel des économies, recherches qui auraient peut-être (ou pas — et c’est toute la subtile moelle de la recherche scientifique : on ne sait pas a priori ce que l’on va trouver) permis de mieux connaître les coronavirus, dont le SARS-Cov-2, responsable de la tristement célèbre Covid-19. Qu’il serait pas mal d’avoir certains appareils pour étudier ces virus, dont l’achat avait été jugé inutile et trop cher par des dirigeants avides de performance et surtout d’économies…

Et puis, un mois plus tard, toujours les mêmes, entre les quatre mêmes murs, mais on commence à imaginer l’après, forcément. On cogite et on tourne en rond (est-ce là, la solution à un problème millénaire ?). Personne — en tout cas dans ma bulle de connaissances, virtuelles ou pas — ne souhaite revenir en arrière, au monde d’avant. Un monde destructeur d’humain, de nature, d’humain, de planète. De vie. Un modèle de société, un modèle économique qui a vécu. Un monde fébrile, où tout allait vite, trop vite, dans tous les coins de la planète, rapidité, compétitivité, les maîtres-mots. Où il fallait aller passer ses vacances de Pâques sur l’île éponyme pour briller ensuite en société, au risque de la détruire, touriste observateur quantique qui anéantit tout ce qu’il contemple sous ses gros sabots. On pourrait découvrir la richesse de ce que l’on a à côté de chez soi, se rendre compte qu’il n’est pas utile de faire des dizaines de milliers de kilomètres en avion pour s’émerveiller, se cultiver, se dépenser. Un monde où l’argent avait tout supplanté, devenant l’unique valeur, gage de puissance, un argent qu’il fallait avoir, pour le dépenser dans une myriade de choses inutiles, comme aller ruiner l’Île de Pâques. Un monde où l’humain était devenu l’esclave de lui-même. Était.

Reconstruire, bien sûr, sur un autre modèle, oui, mais comment ? Soyons idéalistes, espérons que les dirigeants du monde d’avant (et donc très probablement aussi du monde d’après) le soient aussi, même si c’est peu probable (soyons réalistes), auquel cas il faudra en changer (de dirigeants), forcément. La crise environnementale entamée (réchauffement climatique, effondrement de la biodiversité, pollutions diverses) sera moins brutale que la crise de la Covid-19, mais indéniablement plus longue, plus intense (en nombre de victimes). Il convient donc de s’organiser au mieux pour éviter d’affronter de plein fouet la vague lorsqu’elle déferlera ; ou les vagues, plutôt. La crise actuelle donne le la. Plus une société est inégalitaire, plus la crise fait de victimes, chez les pauvres, mais aussi, par effet collatéral, chez les riches. Il faut donc fortifier les services publics pour limiter les inégalités.

Mais, et c’est là que je voulais en venir, une science forte est nécessaire. Et pour cela, il faut investir dans la recherche scientifique, lui donner des moyens humains et des moyens de travailler. Ce qu’elle n’a pas, n’a plus, en France. Sans des connaissances scientifiques adéquates, qui peuvent relever des connaissances fondamentales aujourd’hui, tout en ayant potentiellement — ou pas — des applications demain ou après-demain, il est illusoire de relever les défis, bien plus grands que celui de la Covid-19, qui s’offrent à nous. La société et les scientifiques doivent donc s’engager vers l’accumulation de connaissances en ce sens. Compte tenu de l’urgence de la situation (environnementale), il faut peut-être suspendre la quête du savoir sur les tréfonds du cosmos (connaître l’équation d’état de l’énergie noire, est-ce important pour affronter l’urgence qui s’annonce ?) pour recentrer les efforts.

Il faut surtout retrouver une science attractive, humaine, avec des moyens pour travailler : les chercheurs sont recrutés de plus en plus tardivement (34-35 ans en moyenne), avec une sélection féroce (plusieurs dizaines à plusieurs centaines de candidats par poste), et, pour les heureux (et heureuses) élus, il faut ensuite qu’ils s’attellent à trouver de l’argent pour simplement pouvoir travailler ! D’où la perte dramatique d’attractivité du métier : comment conseiller à un jeune de le faire dans ces conditions ? Le projet de loi du gouvernement « LPPR », pour Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche, qui fait se mobiliser une fraction importante des acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche en France depuis au moins le mois de janvier, promet au contraire une recherche inhumaine, inégalitaire, avec des moyens distribués autour de « stars » de la recherche, dont la définition reste peu claire, mais dont on peut deviner les attributs que le pouvoir lui porte.

Car la « star » en ce moment, n’est-ce pas Didier Raoult ? Une « star » qui se joue des règles éthiques et morales, qui joue en revanche avec une efficacité remarquable avec les règles du jeu du « publish or perish » : des milliers de publications à son actif, mais peu de « significatives. » Du harcèlement moral dans ses équipes, des doctorants pressés comme des chaussettes. Mais incontestablement une « star », puisqu’il a l’oreille des dirigeants de ce monde, Trump, Macron…

Même une autre « star », dans un autre domaine, l’astrophysique, Jean-Pierre Luminet, s’insurge que la communauté scientifique s’embarrasse de méthodes et couvre de louanges le professeur Raoult : « j’ai été consterné par la double levée de boucliers académique et institutionnelle contre les préconisations de ce chercheur d’exception, les uns estimant que le sacro-saint ‘‘ protocole ’’ scientifique n’était pas respecté, les autres pour d’évidentes raisons de conflit d’intérêt. » Les stars parlent aux stars. Et tout érudit qu’il est, pour appuyer son propos de citer le philosophe Feyerabend qui promeut un « anarchisme épistémologique ». Il récidive en allant jusqu’à comparer Raoult à Galilée, rien de moins ! C’est oublier que si Galilée a fait effectivement progresser la science en allant au-delà de la « méthode » de son époque, pour parvenir à des découvertes majeures qui font la moelle de l’enseignement de la physique à l’école aujourd’hui, Raoult, la fait plutôt régresser, comme en témoigne le professeur Gabriel Steg dans les Echos : « refuser la méthode expérimentale, la vérification, la réplication, c’est revenir dans le passé à l’époque des certitudes mandarinales, où l’autorité et l’intuition du patron valaient preuves. » Luminet tombe dans le sophisme de l’argument d’autorité : si c’est une star, il fait forcément de la bonne science, et en plus, comme Galilée en son temps, il est incompris par ses pairs (le mythe du savant solitaire !). Sauf que si le modèle héliocentrique a seulement failli faire une victime, Galilée lui-même, la chloroquine du docteur Raoult pourrait se révéler pire que le mal, d’une part, et la « méthode » expéditive du grand professeur ouvre la porte à tout et n’importe quoi : pourquoi pas l’eau bénite ou la lithothérapie pendant qu’on y est ? Et accessoirement ralentit le travail des médecins et des scientifiques pour trouver un remède. Luminet utilise sa notoriété pour statuer sur un sujet bien loin de son domaine de compétences. S’il s’agissait d’une opinion sur la reproduction des pangolins, à la limite pourquoi pas, ça ne prêterait pas à conséquence, mais là ?

Il y a donc controverse, c’est-à-dire discussion sur ce sujet au sein des experts, qui argumentent à coup de résultats d’expériences, de théories techniques, éventuellement de positions éthiques puisque c’est d’êtres humains, après tout, qu’il s’agit. Mais comme la maladie nous concerne tous, nos peurs de la contamination, de l’attraper, d’être malade, de mourir, nous-mêmes ou nos proches, la perspective d’un remède fait s’enflammer les foules. Le grand public s’immisce dans le débat scientifique, la controverse déborde du champ strictement scientifique vers le champ public. Si tant est qu’elle soit restée confinée un instant seulement chez les experts du sujet uniquement, tant la communication du docteur Raoult court-circuite ses pairs, pourtant principaux garants de la bonne marche du progrès scientifique. Chacun y va donc de son avis : les réseaux sociaux et les médias débordent de chloroquine. Et puis une pétition est arrivée : « Il faut écouter le professeur Raoult ! » qui recueille 126936 signatures le 12 avril à 21 h 54. Ainsi donc la science se jugerait non plus à l’aune des expériences sous le jugement des pairs, mais selon l’avis de tous. On pourrait ainsi mettre au vote (ou sous forme de pétition) le réchauffement climatique, comme ça, avec un peu de chance, hop, plus de réchauffement, si le peuple en décide ! Voire l’existence des atomes ou la rotondité de la Terre, tant qu’à faire.

Que les citoyens participent à l’avancée de la science notamment par la collecte de données, d’observations, d’inventaires pour permettre aux scientifiques d’améliorer leurs connaissances, leurs bases de données, est quelque chose de bénéfique. Mais la science n’est pas démocratique, ni relativiste — l’évolution et le créationnisme n’ont pas la même capacité explicative et prédictive —, elle est. Elle ne se décrète pas par référendum ni par « envie ».

Pour toutes ces raisons, la science doit être au cœur d’un projet de société pour après. Il y a de nombreuses esquisses citoyennes qui ont vu le jour pour l’après. En voici quelques-unes de manière non exhaustive et sous différentes formes :

  • Génération Écologie : une simple consultation.
  • La Fabrique des Récits, mais quand on voit qui tient les rênes, entre Cyril Dion et Françoise Nyssen, l’un proche de Pierre Rahbi et de l’anthroposophie avec le Mouvement Colibris, l’autre carrément dedans ; pourquoi le biologiste Gilles Bœuf traîne là est un mystère. Toujours est-il qu’un monde d’après avec un pied dans l’anthroposophie, certainement pas !
  • Le Jour d’Après qui est une consultation mise en place par une soixantaine de parlementaires, la plupart étiquetés En Marche, dont Cédric Villani. Je n’ai pas été tout épluché, mais le thème 5 sur l’éducation commence ainsi : « La crise nous a montré que de nouvelles façons d’apprendre sont possibles et à encourager : continuité pédagogique en ligne, mobilisation sans précédent des EdTech, industrialisation des Moocs et de la formation continue en ligne […] », et ça, non, non, non, surtout pas ! C’est exactement l’inverse que la crise nous a montré : l’enseignement à distance est un pis-aller, on ne peut absolument pas se passer d’enseignants physiquement présents auprès des élèves ou des étudiants. En plus, les MOOC, ça ne fonctionne pas. Je ne suis pas allé voir le reste : quand on commence ainsi par asséner des dogmes en vérités absolues, ça part mal.
  • Le questionnaire mis en place par Bruno Latour : Gestes barrières contre le retour à la production d’avant-crise, ça me semble être une excellente idée, j’aurais peut-être l’occasion d’en reparler.

Sur toutes ces initiatives, aucune ne met la science au cœur de ses propositions. Autre exemple, je suis tombé samedi sur la consultation de make.org : « Covid-19 : inventons ensemble le monde d’après ». Je trouve l’idée passionnante. Un colloque virtuel avait lieu sur le sujet. J’ai regardé un petit bout samedi. Il y avait beaucoup d’interventions d’artistes, de philosophes, de penseurs, d’idéologues… mais très peu de scientifiques. La société fantasmée doit évidemment inclure du rêve, de l’art, de la poésie, de l’humanisme, elle ne peut néanmoins pas s’affranchir de la science. Comment, alors, faire abstraction de ce qui doit être central dans un tel projet ? Ce n’est pas avec un poème qu’on limite l’effet de la pandémie, même si celui-ci adoucit le calvaire du confinement.

Pourquoi cette absence de science, cette absence des scientifiques ? Est-ce parce que la science fait peur, car on la croit responsable de la situation environnementale ? Ce qui n’est pas le cas : comment une accumulation de connaissances sur le monde qui nous entoure pourrait être responsable de quoi que ce soit ? Seule la technologie, basée sur les connaissances scientifiques, mais aussi sur les aspirations de l’être humain, peut éventuellement avoir ce pouvoir, mais c’est un tantinet plus compliqué que la binarité tout noir ou tout blanc. Seule la connaissance des faits permet de se faire une idée d’un sujet, et donc de prendre des décisions.

Ou bien est-ce le manque de culture générale scientifique qui fait qu’on ignore cela et que le reste passe avant la science, simplement parce qu’on n’y pense pas ?

Dans le premier cas, il faut expliquer l’importance de la science pour relever les défis de demain et faire des choix éclairés. Dans le second cas, il faut former systématiquement tous les citoyens à la science dès le plus jeune âge. Elle doit faire partie de la culture au même titre que Zola ou le Moyen-Âge. Donc non seulement la science doit être au cœur de la société de demain, mais l’école aussi. Et on doit y apprendre surtout la science, et non le management.


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