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La possibilité d’une île
Y’a eu du raffut lors de sa parution, en septembre dernier, la fameuse « rentrée littéraire », normal, Michel Houellebecq et son éditeur avaient tenu la chose secrète jusqu’au dernier moment, au grand dam des journalistes et autres critiques littéraires. La « chose » en question c’est « la possibilité d’une île ».
De Houellebecq je n’avais lu que « les particules élémentaires ». Un titre attirant, un auteur déjà sur le devant de la scène, il fallait bien que j’aille me rendre compte par moi-même. Le choc fut rude. Mais je l’ai lu jusqu’au bout. Bref, j’en ai retenu que l’auteur de ces pages était un type complètement désabusé, d’un désarmant pessimisme sur la vie, l’avenir, l’homme... Comme si la vie n’était vivable que par les orgies sexuelles. « Les particules élémentaires », entre tourisme sexuel et clubs échangistes, en parallèle avec une théorie sur la fin de l’espèce humaine. Bref, j’eu alors l’impression d’avoir fait le tour du personnage, ou plutôt de l’auteur, et n’avait pas particulièrement envie de me plonger tout de suite dans ses délires de vivant blasé que j’imagine en bonne place dans « Plateforme » ou « Extension du domaine de la lutte ». Je pensais avoir tiré un trait définitif sur cet écrivain arrogant et ses manœuvres pré-parutions. Le genre de truc qui a tendance à m’exaspérer.
Et puis il y a d’abord eu un article dans Courrier International (no 796), que j’ai parcouru en diagonale, un journaliste londonien faisait l’éloge de l’écrivain-poète Houellebecq. Bon. Après tout, il doit y avoir des gens qui aiment ce qu’il écrit, puisque il vend des tonnes de bouquins de part le monde. Cela a ainsi vaguement ravivé ma curiosité. Et puis il y a quelques temps, je suis tombé sur son dernier opus, « La possibilité d’une île » chez mes parents. Impossible de ne pas en avoir entendu parler. Ma mère avait reçu ça de son club de lecture, ces machins qui vous envoient d’office des livres que vous n’avez jamais commandé. Sachant pertinemment qu’elle ne pourrait pas lire ça, je lui ai emprunté avec sa permission. La curiosité aidant, j’ai fini par me plonger dedans.
Et bien soit j’ai grandi, soit j’ai mûri, soit c’est quand même moins ravageur que « les particules élémentaires », mais j’ai beaucoup aimé... Un peu des trois, peut-être. Évidemment, le thème habituel est là, ce pessimisme désarmant à tous les étages, cette vie plus subit que vécue, et cette soif de sexe comme s’il n’y avait plus que ça pour faire passer le tout. Variations sur le même thème. Sauf que cette fois, le fil d’Ariane, c’est la vieillesse, cette dégénérescence inexorable du corps qui mine notre narrateur au fil des ans et des pages. Décrépitude de son corps, mais surtout de celui de sa compagne, qu’il jettera inexorablement une fois le flasque de la chair installé. C’est toujours très désabusé, avec une vision toujours (très) apocalyptique de la fin (très proche) du genre humain. Une alternative au clonage pour se sortir de cette vieillesse décrépite, après un p’tit suicide, hop, un nouveau corps, mais cette fois complètement amorphe, des néo-humain vaguement nostalgiques, au final. Ce n’est pas un manuel de bonne éducation (à ne pas forcément mettre entre toutes les mains, donc !), entre l’argent facile (notre héros est un star du show-biz), le sexe (quand même, hein !), et puis une secte adoratrice d’improbables extra-terrestres délivreurs, un savant fou qui mène des expériences sur une nouvelle race d’humains, sortes de clones qui n’en sont pas vraiment... Bref, c’est délirant, c’est complètement désabusé et le pessimisme est plus que jamais de mise, mais je me suis malgré tout fait plaisir à dévorer ce pavé. Enfin, dépressifs en tout genre, mieux vaut s’abstenir, peut-être. Quoique... Ça peut sûrement leur remonter le moral, aux dépressifs. En fait, ça ne peut que leur remonter le moral, aux dépressifs !
Alors que je pensais au mieux attendre que le truc sorte en poche, pour le lire, éventuellement. Ben non, finalement, je l’ai lu avant, une fois n’est pas coutume. Et finalement c’est tellement caricatural que ça en devient presque sympathique. Je ne sais pas si ces délires sont autobiographiques, peut-être en partie (Daniel le comique millionnaire, Houellebecq l’écrivain millionnaire ?), mais ça a le mérite de parler de la misère du monde, et surtout de non-avenir sur un ton badin. Enfin, badin au deuxième degré, quand même ! Le récit d’anticipation qui dédouble le récit « actuel » est un tissu d’absurdités et d’imprécisions qui le rendent agréablement loufoque. Assener des fausses vérités, voilà le secret !
« [...] le rire [...], cette subite et violente distorsion des traits qui déforme la face humaine, qui la dépouille en un instant de toute dignité. Si l’homme rit, s’il est le seul, parmi le règne animal, à exhiber cette atroce déformation faciale, c’est également qu’il est le seul, dépassant l’égoïsme de la nature animale, à avoir atteint le stade infernal et suprême de la cruauté. »
« La seule chose qui puisse vous enlever vos dernières illusions sur l’humanité, c’est de gagner rapidement une somme d’argent importante ; alors on les voit arriver, les vautours hypocrites. »
« Que pouvions-nous faire, donc ? Vivre ? C’est exactement dans ce genre de situation qu’écrasés par le sentiment de leur propre insignifiance les gens se décident à faire des enfants. »
« S’il n’y avait pas de voitures, on se demande vraiment de quoi les hommes pourraient parler. »
« La vie sexuelle de l’homme se décompose en deux phases : la première où il éjacule trop tôt, la seconde où il n’arrive plus à bander. »
« Une opportunité historique exceptionnelle de dépeuplement raisonné s’était offerte au début du XXIe siècle, poursuivait-elle, à la fois en Europe par le biais de la dénatalité et en Afrique par celui des épidémies et du sida. L’humanité avait préféré gâcher cette chance par l’adoption d’une politique d’immigration massive, et portait donc l’entière responsabilité des guerres ethniques et religieuses qui s’ensuivirent, et qui devaient constituer le prélude à la Première Diminution. »
Guillaume Blanc
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