Les tribulations d’un (ex) astronome

Papillons de nuit

Samedi 31 juillet et dimanche 1er août 2010
lundi 30 août 2010 par Guillaume Blanc

Après deux week-ends annulés pour cause de météo trop incertaine, celui-ci fut le bon. Les prévisions restaient stabilisées sur grand beau. Un coup du sort failli pourtant avoir raison de notre motivation (enfin de le mienne, surtout), c’est le fameux chassé-croisé des juillettistes et aoûtiens. Samedi matin était prévu « noir » sur les routes de France dès l’aube, voire même avant. Or nous avions prévu de partir en voiture tôt samedi. Qu’à cela ne tienne, nous avons décollé vendredi soir à 22h30, dans l’idée de dormir quelque part en route, mais d’avoir quitté l’A6 avant le gros du flux.

Ça a bien fonctionné jusqu’à 1h30, nous avions la pêche, on a bien roulé malgré un trafic bien dense. Et puis à 1h30, tandis qu’Anne-Soisig somnolait sur le siège passager, les paupières ont commencé à se faire lourdes. Je me suis arrêté sur une aire, incroyablement peuplée malgré l’heure indue. Le petit somme a duré en fait deux heures, et quand je reprends le volant à 3h30, le flux de voitures a décuplé ! Le moindre petit grain de sable provoque des ralentissements. Tant bien que mal, nous atteignons Mâcon, où nous quittons l’A6, pour une autoroute bien moins fréquentée, celle de Genève. Je roule encore un peu, puis m’arrête sur une aire déserte. Je m’apprêtais à baisser le dossier de mon siège pour finir ma nuit, quand Anne-Soisig suggère de prendre les duvets et d’aller s’installer dehors dans l’herbe, à côtés des tables de pique-nique.

Il fait grand jour quand on se réveille à 8h30 — après seulement trois petites heures de sommeil ! — sous le regard médusé de quelques familles qui s’arrêtaient là pour petit-déjeuner au grand air. Comprenant que bon gré mal gré la nuit est terminée, nous plions duvets et matelas. Petit-déjeuner, même si le réveil un peu précoce fait que je n’ai pas vraiment faim. Anne-Soisig prend le volant pour la dernière ligne droite, jusqu’à Chamonix.

Plutôt que d’aller nous poser dans la poussière de l’immense parking de la gare du Montenvers, nous nous garons à côté du lac des Gaillands, superbe mare aux canards qui prend des reflets de Mont Blanc entre deux algues vertes, dernier (?) écrin de nature au fond d’une vallée superbement bétonnée. Pique-nique, et préparation des sacs sur un banc à l’ombre des grands pins, avec pour spectacle les arabesques des canards sur l’onde verte. Nous partirons même à pieds directement de là.

Le téléphérique a beau exister, nous monterons quand même les 1200 mètres qui nous séparent du Plan de l’Aiguille à pieds. Avec un petit challenge dès le départ : pas de pont pour traverser l’impétueux torrent des Favrands qui rugit à gros bouillons. Il faut improviser si on veut éviter le bain de pieds, chaussés ou pas. Quelques gros cailloux judicieusement déplacés font l’affaire. En équilibre sur deux bâtons, avec nos gros sacs sur le dos, nous garderons les pieds au sec. Entraînement spécial Népal !

À quelques encablures, le bitume : la rampe d’accès au tunnel, avec ses dizaines de voitures et poids-lourds qui attendent patiemment de pouvoir y accéder pour le traverser. Trois heures d’attente, qu’ils disaient en arrivant dans la vallée. Il faut être motivé !

Le sentier n’est pas très fréquenté, mais nous croisons malgré tout quelques pèlerins qui ont choisi la marche plutôt que les câbles. Nous gravissons les dénivelés avec légèreté, tant le chemin est agréable. Pente parfaite, sous-bois ombragé. Entre deux branches, le Dôme du Goûter et le Mont Blanc nous éblouissent de toute la blancheur de leurs neiges éternelles. L’Aiguille du Midi nous domine de toute la hauteur de sa face nord et joue avec quelques nuées virevoltantes.

Au-dessus de la limite des arbres nous arrivons sous les câbles du téléphérique. Les bennes montent à vide — l’après-midi tire sur sa fin — et redescendent chargées à ras-bord de touristes hystériques. On les voit plonger sur Chamonix, juste en contre-bas. Retour vers la sécurité bétonnée. Dichotomie des paysages. Immaculé en haut, transfiguré en bas. Désert de roc et de glace en haut, anarchie de civilisation en bas. La vue panoramique sur Chamonix et ses banlieues est accablante. Je ne l’avais encore jamais vu sous cet angle. Une véritable ville engoncée dans une vallée étroite, aux flancs abrupts. Jusqu’où peut aller la frénésie humaine ? Jusqu’en haut de l’Aiguille du Midi. Les câbles passent au-dessus de nos têtes et s’enfilent près de deux milles mètres plus haut. La petite cabine rouge qui se balance là-haut semble dérisoire. Et pourtant...

Pourtant les câbles qui la suspendent vont nous pourrir la vue, oscillants systématiquement dans le ciel entre nous et le Mont Blanc. Ça fait beau, sur les photos, des câbles en travers du Mont Blanc. Mais l’accès au bassin du Géant, par delà l’Aiguille du Midi, est à ce prix. Tout le monde peut ainsi aller goûter de la haute montagne, soit de loin, en escarpins, soit de près, le temps d’un aller-retour de téléphérique, dans la journée. Autrement, la marche d’approche serait bien bien longue pour aller voir ou faire le Grand Capucin ! Ah, que voulez-vous, c’est ça, le progrès.

Nous faisons une petite pause au refuge du Plan de l’Aiguille, le temps de boire un petit quelque chose. Là, la dame nous indique l’endroit rêvé pour bivouaquer. À côté du seul point d’eau du coin. Je m’imaginais l’endroit en question rempli de tentes bariolées, il n’en fut rien. C’est plat, c’est calme, c’est dans l’herbe, à côté d’une belle source qui gazouille, c’est beau, belle vue sur l’Arête des Papillons qui nous attend demain, l’Aiguille du Peigne, au-dessus, l’Aiguille du Midi. Le téléphérique s’est effacé derrière le détour du sentier, la ville est tout en bas, mais on ne la voit pas. Bref, on se croirait presque loin de tout. Nous sommes seuls.

Nous dînons de bonne heure, soupe, purée/fromage ou pain/fromage, tisane... Il aurait alors fallu s’engoncer rapidement dans les duvets, dormir un bon coup, récupérer de la nuit précédente, trop courte... Il aurait fallu... Mais la nature environnante nous proposait une autre alternative. Un de ses spectacles dont elle seule a le secret. C’est ainsi que perchés sur un bloc de granit posé là par quelque géant facétieux, nous avons profité silencieusement du coucher de soleil qui illuminait de reflets dorés la face nord des Aiguilles de Chamonix. C’était le grand beau, prometteur. Le granit compact de l’Aiguille du Peigne, juste au-dessus de nous, se parait de ses plus beaux atours pour saluer le crépuscule de l’astre du jour. Ce n’est que lorsqu’il eu disparu derrière les Aiguilles Rouges — féérie terminée —, que nous pûmes envisager d’aller nous coucher !

Nous ne savions pas trop à quelle heure, le matin, arrivait la première benne au téléphérique, sûrs que dès lors, nous ne serions plus seuls sur notre Arête des Papillons. Nous avons ainsi mis le réveil à 4h30, histoire d’espérer être à 6h30 à l’attaque de la voie.

Après une trop courte nuit sous les étoiles, nous avons un peu de mal à émerger. Le ciel est nuageux, ce qui ne concourt pas à nous motiver. L’impulsion pour ouvrir les yeux et engager la mécanique sur la pente du lever tarde un peu à se manifester. Toujours est-il qu’après un petit déjeuner chaud — thé et brownie —, nous réussissons à décoller vers 5h40. Je ne sais plus trop quand nous sommes arrivés au pied de l’arête, mais déjà, plus bas, d’autres cordées arrivaient. Nous avons un peu d’avance. Un peu.

Il faut d’abord remonter un imbroglio de blocs imbriqués avant de buter sur le premier ressaut. Et donc la première longueur. Anne-Soisig s’y colle. Pendant ce temps, nos poursuivants nous rattrapent. Nous dépassent. Deux cordées d’anglais. Avec guides. Dans l’intervalle, Anne-Soisig s’est posée sur un relais, je peux la rejoindre. Je dépasse tout ce beau monde juste avant la fissure à poings. Et ben bonjour le quatrième degré chamoniard ! Heureusement qu’il y a deux pierres coincées dedans, sinon, je ne passais pas ! Ensuite, à califourchon sur l’arête effilée — un pied au nord, un pied au sud —, avant de la rejoindre au relais.

Les deux cordées nous re-dépassent. Ce petit jeu durera jusqu’en haut. Une troisième arrive, un guide de Cham’ avec une demoiselle. Ou une dame. Bref, tout ce petit monde va joyeusement s’amuser à s’emmêler les cordes, à s’emberlificoter, à se dépasser pour mieux se repasser. À s’attendre pur mieux se rattraper. Nous arriverons en haut à peu près tous ensembles.

Heureusement, l’escalade est plaisante, on discute au relais, les guides fument une clope. Moi je m’en prends plein la tronche — bonjour l’air pur de la montagne ! — m’enfin... Rocher superbe, granit fabuleux, et forcément, vu la fréquentation, pas une seule prise « tiroir », elles sont toutes à leur place et elles y restent solidement attachées. Anne-Soisig prend la tête sur les deux premières tours, elle me cède la place pour les deux dernières. J’attaque donc par mener la cordée par la longueur de « la boîte aux lettres » avec un joli pas de V pour en sortir. Ça bouchonne un peu vu que devant, la cordée avec le guide anglais et la fille traîne la patte. Elle en chie un peu. Au départ du relais dans le trou, le bouchon qui recouvrait une de ses bouteilles d’eau sur la poche latérale de son sac à dos s’envole et disparaît dans l’abîme. Je suis juste derrière, attendant patiemment qu’elle avance. Je m’amuse à surveiller l’eau dans sa bouteille, désormais libre de se faire la malle, pour peu que l’inclinaison du sac dépasse un seuil critique. Le pas suivant est vertical, je me retrouve donc juste sous elle. Le niveau d’eau aux abords du goulot libéré vacille dangereusement sous les déhanchements de la donzelle. Pour finalement dépasser le rebord ! J’esquive la douche. J’espère que ce n’est que de l’eau et non un mélange gluant de quelque substance poisseuse...

Finalement l’arroseuse traverse sur un autre versant, je peux désormais suer tranquillement sur mes pitons, et tirer sur les prises sans craindre l’arrosage. Le pas délicat est sympathique, surtout avec un gros sac sur le dos. Le piolet que nous trimbalons en vu d’un hypothétique névé à la fin de la descente racle contre le rocher juste au-dessus de ma tête. Et comme j’ai opté pour zapper le relais, j’en suis quitte pour un « tirage » de folie. Heureusement, la sortie est « à vache » : je peux tirer comme un âne sur la récalcitrante corde. Relais confortable au sommet de la troisième tour.

Doucement mais sûrement, nous poursuivons ainsi. Brèche, puis quatrième et dernière tour. Un dernier petit bout d’arête effilée, superbes lames de granit que l’on embrasse à pleines mains, avec le vide qui s’enfuit sous les pieds. Nous arrivons ainsi au bout de l’arête des Papillons. Ça se bouscule un peu au portillon, car d’autres cordées nous rejoignent débouchant d’une voie d’escalade, les « lépidoptères », qui arrive juste là. Le sommet est encore loin, c’est une autre course, pour une prochaine fois. Il est midi, environ, nous n’avons pas vraiment le temps de nous lancer dedans : un bon bout de route nous attend encore pour rentrer au bercail.

Mais d’abord il nous descendre d’ici. Après un rappel, nous rejoignons un couloir. nous troquons alors les chaussons contre les grosses chaussures que nous trimballons dans le sac. Je range la corde un peu prématurément : après un passage un peu scabreux, nous tirons finalement un autre rappel. La suite est tranquille sur une sorte de sente balisée de cairns. Nous aurions même pu éviter le passage délicat en tirant directement un rappel. Bref.

Nous arrivons juste au-dessus du fameux névé. Nous tergiversons sur la manière de prendre pied sur la chose. Pendant ce temps, un guide et deux clients débarquent, le guide nous demande notre piolet, pour tailler des marches à ses clients. Guide qui se révéla être Yannick Graziani, un « grand ponte » comme on dit. Finalement, nous avions tergiversé pour bien peu de chose, le névé est franchi en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire.

Reste la question de la descente : le téléphérique nous tend la main, il faut bien le dire. Anne-Soisig redoute un peu d’y aller à pieds avec sa patte folle, nous décidons de passer voir les tarif. Cela nous ferait gagner un peu de temps pour reprendre la route... Nous fixons la barre à 15 euros. Au-delà, nous descendons à pieds, en-deçà, nous le prenons. C’est 12 euros. Je me déleste donc des affaires qui remplissent et alourdissent mon sac, et part chercher le matériel de bivouac que nous avions laissées cent mètres plus bas, caché dans l’anfractuosité d’un rocher.

À mon retour, nous embarquons dans la cabine. En quelques minutes nous arrivons en ville. Petit détour par le marchand de glaces. Deux kilomètres de marche le long de la route pour rejoindre le lac des Gaillands. Et la voiture. Nous repartons vers la capitale vers 17h30, pour arriver chez nous peu avant minuit. Encore une escapade rondement menée.


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