Les tribulations d’un (ex) astronome

Cactus et tarentule

samedi 14 août 2010 par Guillaume Blanc

Décidément, j’aime pas les réunions scientifiques, colloques et autres réjouissances à l’autre bout du monde (ou pas, d’ailleurs). J’avais pas vraiment envie d’aller à Tucson cet été, pendant une semaine, pour participer à la réunion annuelle de la collaboration sur le projet « LSST » dans lequel j’ai débarqué il y a quelques mois. Pourtant, comme j’ai bossé un peu, j’avais potentiellement des choses à montrer aux autres. Et puis la collaboration est essentiellement américaine, et je n’avais encore vu en chair et en os ceux qui la font outre atlantique. Bref, il me fallait y aller.

Et hop, plutôt que d’aller profiter de la fraîcheur des montagnes dans les Alpes, je me retrouve au milieu du désert de Sonora dans le sud de l’état de l’Arizona à passer mes journées dans la glaciale — climatisée — atmosphère d’un hôtel ultra luxueux. Pas très loin de la frontière mexicaine. Douze heures d’avion, en deux fois, avec un stop à Chicago, pendant quatre heures. J’étais un peu naze en arrivant, dimanche soir, à Tucson. À l’aéroport, j’ai retrouvé deux collègues également parisiens. L’un d’entre eux avait réservé une voiture de location pour nous rendre à l’hôtel luxueux, perdu au milieu de nulle part.

Je m’attendais à un truc au milieu d’un désert sans intérêt — je n’avais pas le moins du monde potassé le guide touristique du coin avant de partir — je me retrouve au milieu d’un désert rempli de cactus énormes, comme dans les films, qui visiblement n’existent que dans cette région. Des cactus saguaro, superbes.

Il est apparu rapidement évident que pour profiter du paysage par ici, il fallait y aller de bonne heure. Avant le lever du soleil. Après, l’atmosphère devient rapidement cuisante. Je suis ainsi allé faire un petit tour mardi matin avec Pierre, mon collègue de chambrée. Nous avons pris un sentier au hasard, mais il n’allait pas vraiment là où nous aurions aimé qu’il aille. Et le hors-sentier peut très vite se révéler épineux. Par la suite, j’ai récupéré une carte des sentiers alentours, qui se révéla particulièrement utile pour mes escapades matutinales.

Mardi soir, j’ai séché le banquet. Pas vraiment faim, ras-le-bol de bouffer : il y a déjà de quoi s’empiffrer quatre fois par jour, les « coffee breaks » pouvant être assimilés à de véritables repas avec muffins et cookies, jus de fruits... Et puis m’étant réveillé avant l’aurore ce matin-là, je commençais à être crevé et à devenir asocial. La preuve, j’ai séché le banquet. À la place j’ai enfilé mon short et chaussé mes baskets, et je suis aller faire un tour sur la colline la plus proche. Entre chien et loup. Je n’étais pas très rassuré à l’idée de poser le pied par inadvertance sur un serpent à sonnette ou un scorpion, mais je me disais que ces bêtes-là devaient bien dormir une fois que le soleil est couché. Heureusement que j’avais glissé ma frontale dans mes bagages, elle fut utile pour descendre de mon perchoir. Quoi qu’il en soit pas de mauvaise rencontre, et malgré la chaleur extérieure, j’ai pris un bon bol d’air. Exactement ce dont j’avais besoin !

Je trouvais ça marrant, au début, de me retrouver dans un coin pareil. Mais finalement, j’ai assez rapidement saturé. Mercredi matin, comme la veille je m’étais couché avec les poules, ou pas loin, j’ai pu me lever vers 4h45. J’ai laissé mon colocataire dormir et me suis glissé furtivement hors de la chambre, avec short et baskets, la carte et ma frontale. Car il fait encore nuit, même si l’aube commence à pointer le bout de son nez. Orion se lève tout juste à l’est...

Je suis parti en courant, pas très rassuré, j’avoue, à l’idée des bestioles que j’étais susceptible de croiser sur ma route. J’avançais quand même relativement bien en éclairant vaguement là où je mettais les pieds. J’ai eu parfois un peu de mal à suivre le sentier. Une habitude... Tout au bout je le perds, rejoins une sorte de collet en crapahutant sur des rochers, et finalement le retrouve. Au détour duquel je tombe nez-à-nez avec une bestiole grosse comme une souris, avec huit pattes toutes velues. Une tarentule. Là, mon cerveau préconditionné, mais non habitué à ce genre de rencontres fait faire à mon corps un superbe bond en arrière doublé d’un cri perçant. La bestiole, effrayée par tant de brassage d’air, s’en retourne mollement dans on terrier. Purée, ça veut dire que tous les trous que je croise sur le chemin sont des nids de tarentules ? Bon, ben on va regarder encore un peu plus où on met les pieds !

Le soleil n’est toujours pas levé, mais l’horizon, désormais dégagé, se fait plus brûlant, l’astre semble sur le point d’en jaillir. Je repars au petit trot, profitant encore de l’ombre, avant d’être scotché sur place par la chaleur. Pourtant, au gré des circonvolutions du sentier, je parviendrais même à rester à l’abri du soleil quasiment jusqu’au bout. Inespéré. Ce ne fut pas si long que ça, car au bout de deux heures et demi je suis de retour à l’hôtel. J’ai eu droit à un sommet de colline fraîchement ensoleillé. La végétation est splendide éclairée dans ces conditions. L’hôtel est en vue, je suis bientôt arrivé, comme en témoigne le monde que je croise désormais. Y compris des collègues de la réunion... Oups, je suis pris sur le fait...

Douche et petit-déjeuner, chat avec Anne-Soisig. Puis session plénière. Deux cents personnes dans une salle, ça fait un drôle de petit bruit de fond, pendant que l’orateur s’exprime, un peu comme des souris qui rongent des graines : les tapotis de dizaines de doigts sur les touches des ordinateurs portables dont tout scientifique ne peut pas se passer, y compris en conférence.

C’est ce matin-là, plus tard dans les sessions parallèles, que je présentais mon truc. Ça fait des années que je n’avais plus fait ça, et l’exercice m’angoissait un peu. De fait, la bouche pâteuse et l’anglais hésitant, ce fut bien bien laborieux. Honte à moi ! M’enfin, malgré la simplicité de ce que j’ai fait, les pontes du domaine ont — peut-être — eu l’air d’apprécier. À suivre ?

Après-midi tranquille. Le soir, je me fais entraîner pour aller manger en ville. Comme je ne bois que du coca, je ramène tout ce petit monde imbibé sain et sauf au bercail. Malgré une heure de couché un peu tardive j’arrive à me lever à 5h30. Je remonte l’Alamo Springs Trail pour aller profiter du lever de soleil sur les hauteurs. Et faire des photos de l’impressionnante végétation qui orne ces collines rocheuses. Le cactus dans le soleil matutinal vaut bien ça. Je croise une tortue sur le chemin. Autre métabolisme.

Pendant mon petit-déjeuner, fait de fruits frais — myrtilles, fraises, melon, pastèque, framboises — et de muffins, un « roadrunner » se balade sur la pelouse. Il a vraiment la gueule de « Bip-Bip. » L’Amérique...

J’assiste aux sessions plénières du matin, puis avec Éric et Cécile, nous décidons de nous éclipser quelques heures pour aller faire un peu de tourisme. En fin de compte, la région vaut peut-être le détour. Nous allons ainsi visiter Biosphère 2, qui se trouve à une trentaine de miles de là. Cette histoire qui m’avait fasciné quand j’étais gamin, c’est l’occasion d’aller y voir de plus près. Une visite intéressante, d’un lieu désormais utilisé par l’université d’Arizona à Tucson à des fins scientifiques sur l’étude de l’impact du climat sur la végétation.

Après un petit arrêt pour déguster un sandwich de steak, nous arrivons juste à temps pour la pause café et ses cookies. J’assiste à la dernière conférence. Ce soir-là, le dernier, nous allons dîner en ville. La veille, c’était bière, ce soir-là, ce fut margarita (coca et eau, respectivement, en ce qui me concerne !). Au retour, petite balade sous les étoiles. Pour tenter de faire honneur aux étoiles filantes, les Perséides. En fait il n’y en eu pas beaucoup. Décevante pluie. Le ciel est correct, on voit la Voie Lactée, mais pas exceptionnel. Peut-être que la pollution lumineuse des villes alentours a-t-elle raison de la profondeur espérée. Peu de météores, mais quelques repères qui reviennent. Carré de Pégase, le petit triangle de la Lyre, le Triangle de l’Été, le Dauphin... Souvenir de nuits étoilées d’adolescent.

La fin de la soirée se poursuit dans la piscine pour les uns, au lit pour les autres — moi, en l’occurrence, j’ai oublié de prendre un maillot de bain dans ma valise. Bouillon vespéral.

Le lendemain, c’est le départ. Le taxi-navette commandé (et payé) arrive en retard, je commençais à stresser un peu. Ma collègue Cécile s’est joint à moi pour aller à l’aéroport. Pendant ce temps, les autres écoutaient en direct le résultat du Decadal Survey, une prospective effectuée par le National Research Council américain — l’Académie des Sciences —, en vue d’établir des priorités en terme de financements sur les projets à venir dans la prochaine décennie en astronomie et astrophysique. LSST est arrivé en tête des projets au sol. Il paraît que ce fut la standing ovation dans la salle de conférence Tortolita ! Donc on va avoir de quoi s’amuser dans l’avenir.

Le retour en avion fut tranquille : petite visite rapide de l’aéroport de Dallas, puis (trop) courte nuit. J’ai même réussi à dormir un peu au milieu de mes lectures.

Il fait plus froid à Paris dans dans la plus fraîche des climatisations du sud de l’Arizona. C’est plus humide aussi. Il pleut.


Des images, cactus et cie.


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