Ittoqqortoormiit
Un petit village sur la côte est du Groenland, à peu près à mi-chemin entre l’extrémité nord et l’extrémité sud de l’île, au bout de la péninsule de Scoresby. D’ailleurs son nom danois est Scoresbysund, d’après le nom de l’explorateur et surtout baleinier anglais William Scoresby qui cartographia cette partie de la côte est du Groenland en 1822. Son nom groenlandais, Ittoqqortoormiit, signifie curieusement « grande maison. » Un peu plus de cinq cents âmes scotchées au beau milieu de nulle part. Village seulement accessible en hélicoptère la plupart du temps, et en bateau, quelques semaines par an.
Des maisons de bois disséminées sur les hauteurs au-dessus de la mer. Au-dessus du fjord Scoresby Sund.
L’étape n’était pas prévue. La vie au Groenland n’était pas au programme autrement que sous la tente au milieu de la neige, de la glace et du roc. Monde minéral. Le froid — polaire — en a décidé autrement. Je me suis ainsi retrouvé dans ce village a attendre le prochain avion pour des lieux plus cléments. J’y ai ainsi passé un peu plus de trois jours, trois jours de vent et de neige, ce qui n’a pas invité particulièrement à la vadrouille champêtre. Trois jours cloîtré entre quatre murs. En débarquant là, une profonde excitation s’est emparée de moi : le coin avait l’air tout à fait charmant avec ses petites maisons colorées disséminées ici et là sur fond de banquise et d’iceberg bleuté. Seulement voilà, j’eu vite fait le tour des lieux. Le mauvais temps faisait se cloîtrer les groenlandais, et toute (timide) tentative d’approche vers l’occupant danois se solda par un échec.
Petit village donc, envahi par la neige. Des rues que l’on repère grâce aux lampadaires qui les bordent, jalons métalliques débordant de la couche de neige ; lampadaires éclairant une paire d’heures au cœur de la nuit qui n’est déjà plus bien épaisse. Bientôt les habitants pourront faire l’économie de l’éclairage, même la nuit. Privilège polaire. Éphémère, certes.
Des tonnes de neige. Pas de voiture. Des motoneiges. La neige s’entasse, le niveau des rues s’élève. Le passant passe ainsi au niveau des toits des maisonnettes. Des maisonnettes qui se lovent dans des nids de blancheur, boucliers naturels contre le vent sournois.
Un hôpital, un poste de police, un policier, un office du tourisme minuscule qui fait aussi agence de voyage à l’accueil digne de la température extérieure, un musée qui ne ressemble malheureusement à rien, un supermarché, un bar ouvert seulement le vendredi soir, une station météo, une église.
Arpenter les rues d’Ittoqqortoormiit (Itto, pour les intimes) nécessite de bonnes chaussures et quelques couches de vêtements superposées. Le temps que j’y ai passé était à la neige, pas grand-monde dehors. Le groenlandais se calfeutre. À côté d’une maison d’un beau bleu écaillé, une voiture émerge à peine de la neige, attendant patiemment des jours meilleurs. Un peu loin, la cabine d’un bateau dépasse à peine, dans une cour, coulé dans son élément cristallisé, venant rappeler à l’improbable badaud que la neige et la glace allaient finir par disparaître pour laisser place aux étendues navigables. Quelques cris d’enfants, quand même, qui sortent de l’école. La routine quotidienne.
Tout en bas du village, la mer. Vaste étendue plate et blanche. Immobile. Figée. Au loin, de gros glaçons, gigantesques icebergs aux reflets bleutés prisonniers de cette gangue de glace. La banquise étreint encore le fjord. Sous la neige, la plage.
En attendant la débâcle, en juin, en attendant que d’improbables bateaux viennent stationner au bord de l’eau, la banquise sert à garer les attelages de chiens de traîneau. Le traîneau à chiens reste un des meilleurs moyens de se déplacer là-bas, où la chasse est l’activité principale. D’ailleurs au détour d’une rue, sur un chassis de bois, une peau d’ours blanc est écartelée, en train de sécher...
Finalement j’ai passé le temps dans la Guest House, en haut du village. Seul. Dans un silence feutré, ponctué de temps à autre par le vrombissement d’une motoneige qui passait sur la route, devant la fenêtre. Rien à faire pour que les secondes s’écoulent plus vite. Ruminer mon échec pendant que les copains continuaient le périple, là-bas dans les montagnes, au nord-ouest d’Itto. Moi, j’attendais. Lion en cage. Dorée.
Guillaume Blanc
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