De la télé...
Daniel Pennac (Monsieur Malaussène)
Revenons quelques années en arrière. Jusqu’à mes disons 13-14 ans, il n’y avait pas de télé à la maison (je ne remercierais jamais assez mes parents). Certes, chez les copains elle y était, et chaque après-midi passé chez eux voyait le passage obligé, quasi-rituel, devant quelque dessin-animé, le temps d’une petite heure. Probablement guère plus. Ça dépendait. Car à la campagne, il y a tellement de choses infiniment plus drôles et passionnantes à faire que de rester cloîtrer devant cette boîte à images. Toute une enfance et une pré-adolescence loin de la télé. Quelle chance inouïe !
Puis pour je ne sais plus quelle raison (une émission sur la région, probablement, bref, un évènement à ne pas rater), mes parents se sont fait prêter une télé. Une vieille télé noir et blanc, capricieuse, qui plus est. Puis on leur en a donner une. Toujours aussi pourrie. Mais c’était LA télé. Sauf qu’elle n’a jamais trôné dans la pièce principale, celle qui est chauffée, où tout le monde se retrouve pour vivre et manger. Non, elle avait été remisée dans la pièce du fond, celle qui n’est pas chauffée. En hiver, je peux vous dire qu’il fallait une grande motivation pour aller regarder la télé. Et tout le monde de se mettre sur le vieux lit, sous des tonnes de couvertures, pour mater l’image tremblotante, en noir et blanc, de LA télévision. Et bien entendu, pas de zappette, fallait tirer au sort celui qui allait devoir s’extraire du nid pour aller changer de chaîne. En plus il fallait régler le canal à chaque fois. L’image n’était jamais terrible, terrible...
Malgré tout je devenais accro à cette bête-là. Quel gamin ou ado ne le serait pas ? Pour rien au monde je n’aurais loupé Zorro le samedi soir, ou MacGyver le dimanche après-midi (d’ailleurs il fallait se dépêcher de rentrer de notre balade en montagne pour ne pas louper l’épisode hebdomadaire, en début d’après-midi). Et tant d’autres... Pourtant, je ne la regardais pas tant que ça. Sauf pendant quelques vacances où je n’avais rien de prévu : c’est facile, la télé, il suffit de se mettre devant, et hop, les heures passent comme si de rien était. Et de fait les heures passaient. Les vacances aussi. Certains week-ends y passaient aussi. Probablement les pires de ma vie : un week-end devant la télé. Je regardais les émissions dites enfantines (c’était Récré A2 à l’époque), les feuilletons débiles (X-or et compagnie !), mais aussi quelques bons films (il y en avait), ou émissions. Il y avait même une émission d’astronomie pour la jeunesse à une époque. C’était sur la 3. Avec un concours. Que j’avais fait. Et comme ça j’avais gagné un stage d’une semaine dans un petit observatoire du côté de Toulouse, à Aniane. Trop fort, non ? Il y avait aussi ce superbe dessin animé, que j’adorais, Les mystérieuses cités d’or, que je n’avais jamais réussi à voir en entier, seulement quelques épisodes clairsemés, par-ci, par-là (j’ai constaté qu’il repassait en ce moment, sur la cinquième...). C’est que ça demande une certaine discipline de regarder une série comme ca, épisode après épisode. Pour la peine je me suis payé les DVD. Et récemment, j’ai enfin pu regarder toute la série, en entier, et dans l’ordre !
Ce n’est que quand je suis parti de la maison pour étudier, après le bac, que mes parents sont passés tout d’un coup et en même temps à la couleur et au magnétoscope. Un magnétoscope, ça change la vie : on est plus obligé de veiller jusqu’à des heures pas possibles pour voir le décollage d’Ariane... La nouvelle télé avait une télécommande : on devient encore plus fainéant avec ça... Je n’étais plus là pour en profiter. Sauf pendant les vacances. Mais il n’y avait toujours que la une, la deux, et la trois d’accessibles (dans les montagnes, vous savez...). Comme ça, je n’ai pu voir Twin Peaks qui passait sur la 5 de l’époque et dont Lenoir n’arrêtait pas de dire le plus grand bien sur France Inter. Ni les Guignols sur canal. Ça doit être pour ça que l’actualité ne m’a jamais vraiment passionné : je ne suis pas tombé dans les Guignols quand j’étais petit !
Je n’ai jamais eu de télé dans ma chambre d’étudiant. L’idée ne m’avait même pas effleuré l’esprit. Quand j’étais en école d’ingénieur, j’avais des amis qui se passionnaient pour la série X-Files. Du coup je suis allé regarder une saison complète sur la télé commune de la cité U. C’était le samedi soir. Tous les samedi soirs. C’était sympa, on était une quinzaine à se retrouver là, pour voir ça, chaque semaine. Je crois qu’on avait droit à deux épisodes pour le même prix. Pas trop mal foutu, cette série, du moins au début. Mais les séries finissent toujours par s’essouffler.
Bref, je ne regardais la télé que de manière épisodique. Et c’était très bien comme ça. Puis je suis arrivé à Paris, je suis tombé amoureux, on a habité ensemble, elle avait récupéré une petite télé. J’ai découvert de nouvelles chaînes. Et aussi que jusque-là je n’avais pas perdu grand-chose avec la 6, un peu plus avec Arte (même si la plupart du temps, ça volait trop haut pour moi). Et petit à petit, on rentre dans le cercle infernal : le soir, quand on rentre à 8h ou 9h du labo, c’est bien plus facile de se vautrer devant la télé que d’ouvrir un bon bouquin ou de discuter. J’ai détesté a posteriori ces soirées télé. Puis j’ai détesté la télé. Probablement parce que je n’étais pas capable de la gérer comme j’aurais voulu. J’étais son esclave. Dès que je vais chez quelqu’un, et que la télé est allumée, viouwwww, mon regard et mon attention sont systématiquement et irrémédiablement attirés par les images qui scintillent. Je suis le seul comme ça (avec les bébés de moins de trois ans) : les gens sont capables de discuter, de parler, de manger, de vivre normalement, avec ce fond sonore et visuel, là, dans un coin de la pièce, comme s’il s’agissait d’un meuble comme un autre. Moi non. Comme un gamin, ou une mouche, je reste attiré par le tube cathodique. Comment font les gens ? Et plus fondamentalement pourquoi avoir ce truc allumé, si personne ne le regarde ni ne l’écoute ? Surtout quand on est a table. Quelle horreur ! Quand on regarde un film à la télé, les gens autour trouvent normal de parler, faire du bruit, vivre, quoi. Normal, ce n’est que la télé. Moi quand je regarde un film, à la télé, notamment, j’aime bien que ce soit dans le silence, histoire d’en profiter un peu. Et du coup les gens font pareil au ciné, maintenant : ils se croient devant la télé...
Aux États-Unis, pendant quelques mois j’ai eu une télé dans ma chambre. Je n’avais rien demandé, la chambre était louée avec. Grave erreur. J’ai donc arrêté de lire le soir, et je regardais la télé. Sauf que. Sauf qu’à la télé américaine, sur la centaine de chaînes que j’avais, il n’y avait rien de bien. Rien de rien. Les films, c’est même pas la peine, ils sont coupés toutes les 10 minutes par 10 minutes de pub. Un film de 2 heures dure 4 heures. Autant dire que je zappais avant la fin. Pour tomber sur un autre film sur une autre chaîne. Un film déjà commencé. Et encore, au bout de deux-trois pubs, je re-zappais. Et ainsi de suite. Je n’ai pas vu un seul film en entier. À la télé du moins. Je n’ai pas trouvé de chaîne vraiment intéressante non plus. Même Discovery Channel distillait des reportages chocs de poursuite en voiture de la police ou des scènes de chirurgie. De quoi vous dégoûter de regarder des documentaires. Rien. Quedalle. Malgré le flot (100 chaînes), tout n’était que vide. Pire que chez nous... Au moins nous, on peut se vanter d’avoir Arte, même si des fois, c’est un peu trop intello (pour mon petit cerveau, en tout cas), et quelques émissions sympas sur la 3... Y’a la cinquième aussi, je ne n’ai jamais pu regarder, car ne diffusant que dans la journée, dommage...
Je me suis donc rendu compte que la télé, c’était nul. Pour les films, y’a le cinéma. Pour les émissions intellos et les infos, y’a la radio. Pour les jeux débiles je ne perds rien. Je n’ai plus regardé la télé depuis mon retour des États-Unis en 2002. Une heure devant la télé est une heure de perdue !
Je n’ai pas la télé ici, en Italie. Je n’ai jamais regardé la télé italienne. Certes, on dit que ça aide pour apprendre une langue. Mais on m’a aussi dit que la télé italienne était nullissime. Alors... je crois que je perds rien.
Je pense que la télé est une des plaies de notre société. Le pire c’est que tout le monde trouve que la télé c’est nul, qu’elle ne distille que des âneries, mais tout le monde la regarde quand même. Certes, c’est la solution de facilité quand on rentre du boulot fourbu, le soir... N’empêche. C’est un signe que les gens n’ont plus rien d’intéressant à faire ou à se dire. C’est quand même incroyable que lors des grandes pannes d’électricité aux États-Unis, par exemple, on observe un pic de naissance 9 mois plus tard ! Les gens ne font plus l’amour, ils jouissent bêtement devant leur télé. Ils ne se parlent plus, ils ne lisent plus, ils ne font plus rien. Pire, ils sont complètement influencés par cette sacro-sainte boîte. La preuve en est le documentaire de Michael Moore, Bowling for Columbine, dans lequel il démontre que la criminalité excessive aux États-Unis est due au sentiment de peur et d’insécurité entretenue justement sans relâche par la télé.
Que dire de ces feuilletons télé-réalité où on regarde des gens vivre, genre le loft (pourquoi un titre anglais, d’ailleurs ?). J’étais aux États-Unis quand ce truc immonde est apparu en France. J’étais ahuri de voir comme tout le monde en parlait. Même France-Inter. Même Le Monde. Phénomène de société. Du coup ça a dû faire grimper l’audience. Heureusement, ce fût éphémère. Je crois. Le pire c’est que tout le monde trouvait ça ignoble, mais se vissait quand même devant l’épisode journalier ou hebdomadaire, je ne sais pas. Et ça alimentait des kilomètres de conversations stériles.
Je ne sais pas ce qu’il en est des programmes actuels de la télé en France, mais ce n’était déjà pas très reluisant il y a quelques années. J’ai vu passer des pétitions dans la communauté scientifique pour éviter que ne disparaisse une des seules émissions scientifiques existantes : Archimède sur Arte. Je ne sais pas si ça a marché ou pas, mais ça montre bien que la télé se contente de rabaisser le niveau intellectuel de la population, plutôt que d’essayer de l’élever. C’est tellement plus facile ainsi... Remarquons cependant que tous les pays de la planètes ne sont pas égaux devant la télé. Je discutais récemment avec un collègue britannique, qui me disait que la télé de son pays diffuse régulièrement des émissions scientifiques, voire des émissions sur l’astronomie. Et même sous forme de séries à épisodes... Le genre de truc qu’on ne verrait pas de ce côté-ci de la Manche !
Toutefois la télé peut avoir son utilité. Ainsi ma mère regarde souvent le feuilleton du soir, un truc policier gentil, ou des choses genre l’Instit, qui ne font de mal à personne. Mais outre le fait que je ne peux plus l’appeler entre 21h et 22h30 (ben oui, vous aimez être dérangé quand vous êtes en plein milieu de l’intrigue, vous ?), elle, elle bosse quand elle regarde la télé. Elle en profite pour casser des noix (et oui, comme ça on a des sachets de noix toutes prêtes à ingurgiter), pour éplucher des fruits et légumes qu’elle va faire sécher dans sa machine, et tant d’autres choses. Et je peux vous dire que quand elle me donne ses sachets de pommes séchées, je lui accorde tous les feuilletons du monde !!
Ceci étant, j’espère que si un jour j’ai des enfants, j’arriverais à leur épargner la télé au maximum. C’est vrai que c’est pourtant un allié de choix : il suffit de mettre les mouflets devant et on a la paix pour un temps. Combien de fois ai-je vu ça ? Mais la télé développe-t-elle la créativité, la curiosité, le rêve que pourrait apporter à la place un jeu de construction ? Non ! Elle abrutit. J’ai discuté de ça avec une jeune mère de famille, scientifique de surcroît, qui n’était pas d’accord. Pour elle la télé était un instrument ludique d’apprentissage. À condition de savoir le gérer. Peut-être. Mais combien de mères de famille prennent ce genre de bonnes résolutions et finissent par craquer ? La télé c’est ingérable : autant ne pas en avoir, pour éliminer le problème à la base.
Même si, malheureusement, de nos jours il semble difficile d’avoir des enfants et de ne pas avoir de télé. Un tel comportement reviendrait probablement à les exclure de la cour de récréation, où, j’imagine, nombre de conversations tournent autour des séries en vogue. Quand j’étais moi-même au collège, le phénomène était encore très ténu, si bien que je me sentais parfaitement intégré même sans avoir vu le dernier épisode de Ulysse 31 ou d’Albator. Mais aujourd’hui... ? Reste à tenter de la gérer un tant soit peu, cette télé, si elle devient un instrument d’intégration. Ce que je trouve dommage, on l’aura compris !
Bref, en attendant d’aborder le problème des enfants et de la télé dans mon cas précis (faudrait déjà que je trouve leur mère, ce qui l’un dans l’autre reporte l’examen du problème à une date ultérieure), je peux encore profiter de ma liberté, je peux me marrer quand je vois, en me baladant dans la rue le soir, ces myriades d’appartements aux reflets bleutés sautillants. Je jubile de ne pas être enchaîné comme eux. Des enchaînés volontaires.
Guillaume Blanc
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