Fréquence d’explosion de supernova
Il y quelques temps, lors de ma petite tournée quotidienne sur le serveur de preprints arXiv — tournée qui me permet rapidement de voir quelles sont les nouvelles du monde astrophysique —, je suis tombé sur un titre qui m’attira l’œil : « Supernovæ dans le Subaru Deep Field : le taux de supernova de type Ia jusqu’à un redshift de 2. »
Ayant passé toute ma jeunesse de chercheur dans ce genre de business, la chose avait de quoi m’interpeller. En effet, après une thèse de doctorat pendant laquelle j’ai effectué une mesure du taux — ou de la fréquence — d’explosion des supernovæ de type Ia, j’ai réalisé un travail plus théorico-phénoménologique pour tenter de comprendre à quoi pouvait bien servir de mesurer un « taux » de supernova. Or cet article découvert sur « astro-ph » non seulement cite ces deux travaux, mais reprend également une idée du deuxième que je pensais tombée aux oubliettes de la science.
J’ai déjà parlé des supernovæ ici, pour les explosions dites « gravitationnelles » et là pour celles qui sont d’origine « thermonucléaires » (type Ia), mais qu’est-ce que le « taux de supernova » ?
Il s’agit tout simplement du nombre de ces explosions d’étoiles mesurée par unité de volume d’univers et par unité de temps. Historiquement, les premiers comptages se faisaient par galaxie [1]. Mais l’unité « galaxie » n’étant pas clairement définie — les galaxies ont tendance à varier d’un spécimen à l’autre —, il est rapidement apparu que le mégaparsec au cube [2] faisait mieux l’affaire. Ces mesures se font (dans l’univers lointain) à une distance cosmologique donnée. L’idée est de regarder si ce nombre évolue en fonction de cette distance (ou du décalage spectral — « redshift » —), donc en fonction de l’histoire de l’univers. En effet, comme la vitesse de la lumière — notre vecteur d’information dans ce cas — est finie, regarder loin, signifie aussi regarder tôt. L’astrophysique est une science où l’on remonte le temps — jusqu’à des milliards d’années avant l’instant présent — tout en restant tranquillement assis à notre bureau !
Ce genre de mesures est intéressant pour connaître l’évolution du taux de mortalité de certains types d’étoiles dans l’univers, puisque les supernovæ sont des étoiles qui meurent. Cela permet de remonter au taux de formation d’étoiles (le taux de naissance), qui est un paramètre plus intéressant en astrophysique que le taux de mortalité.
En effet, les supernovæ dites gravitationnelles sont le résultat de l’effondrement en étoile à neutron ou trou noir sous l’effet de la gravité du cœur des étoiles massives (plus de huit fois la masse du soleil) en fin de vie, avec rebond des couches extérieures qui tombent en chute libre dessus, provoquant ainsi le phénomène de supernova. Comme la masse des étoiles détermine leur durée de vie : plus elles sont massives, plus elle vont consommer leur carburant rapidement, et donc vivre peu longtemps, les supernovæ gravitationnelles interviennent peu de temps (à l’échelle astrophysique) après la naissance de l’étoile, à savoir quelques millions d’années. Le taux de mortalité reflété par le taux d’explosion est ainsi directement lié au taux de formation d’étoiles massives.
Inversement, les supernovæ thermonucléaires sont le résultat de l’explosion d’une naine blanche qui arrache de la matière à une étoile compagnon, augmentant ainsi sa masse, pour atteindre une certaine limite physique provoquant la fusion instable du carbone, d’où l’explosion qui détruit complètement l’étoile. Dans ce cas, l’intervalle de temps entre la naissance de l’étoile (peu massive, pour donner une naine blanche en fin de vie) et son explosion est un processus beaucoup plus long que pour une supernova gravitationnelle, qui se compte en centaines de millions d’années, voire en milliards d’années. Ce taux de supernova-là (dit de type Ia) reflète le taux de formation d’étoile mais avec un certain décalage dans le temps.
Les premières mesures du taux d’explosion de supernova ont été faites dans l’univers local, en comptant les événements qui sont apparu lentement, pendant des années, dans chaque galaxie qui entoure la Voie Lactée. Ce n’est que dans les années quatre-vingt dix lors des premières tentatives d’utilisation des supernovæ lointaines comme chandelles standards à des fins cosmologiques, que les premières mesures du taux d’explosion au-delà de l’univers local ont eu lieu. En effet, il s’agissait alors d’un « sous-produit » de la mesure de l’efficacité du logiciel construit pour détecter les supernovæ. Pour être sûr que la détection de ces étoiles nouvelles était la plus efficace possible, on effectuait des simulations en collant artificiellement de fausses étoiles de manière aléatoire dans les galaxies sur les images ; il suffisait ensuite de faire tourner le logiciel de détection : l’écart entre le nombre de nouvelles étoiles artificielles détectées et celui qui a été mis donne l’efficacité avec laquelle s’effectue la recherche. Je pense être l’un des premiers qui était plus intéressé par les conséquences astrophysiques de ce type de mesures que par la mesure elle-même.
J’ai ainsi publié deux articles, l’un sur la mesure du taux d’explosion de supernova de type Ia, le suivant sur ce que peuvent apporter ces mesures en terme d’astrophysique. Je raconte d’ailleurs les péripéties qui ont eu lieu lors de la publication de ce dernier article ici et là.
Pour mesurer le taux ou la fréquence d’explosion, il faut d’abord effectuer une recherche de supernovæ, et accessoirement en détecter (ou pas, ce qui est également une information en soi). Pour chercher des supernovæ, on prend une image du ciel à un instant donné, puis on revient plus tard prendre une nouvelle image de la même partie du ciel. Images qu’il suffit ensuite de « soustraire » l’une à l’autre, pour ne garder que les objets étant apparus dans l’intervalle de temps.
Historiquement, avant l’avènement des caméras CCD [3], c’est-à-dire au temps des plaques photos utilisant des télescopes de Schmidt, les images du ciel consistaient en de gigantesques négatifs argentiques sur plaques de verre qui pouvaient avoir plusieurs dizaines de centimètres de côté. La recherche d’étoiles nouvelles apparues entre deux époques se faisait à l’œil grâce à des machines qui éclairaient l’un après l’autre chacun des deux négatifs, un objet nouveau apparaissait comme une étoile clignotante. Depuis, l’informatique et l’électronique ont permis des progrès considérables. Les images CCD, si elles peinent à atteindre la taille des plaques photos d’antan [4], permettent en revanche de faire des soustractions entre deux clichés de manière informatique. Et ce de façon rigoureuse, où les éventuels biais sont parfaitement contrôlés, contrairement à la détection « à l’œil » sur des plaques photos.
Les objets apparus dans un coin de ciel, entre deux images, doivent être « nettoyés », il faut s’assurer qu’il s’agit bien là d’étoiles nouvelles et non d’artefacts ou d’autres objets qui peuvent simuler l’apparition d’une supernova (astéroïde, étoile variable, galaxie active...). Le nombre de supernovæ découvertes croit ainsi exponentiellement depuis une quinzaine d’années, avec l’arrivée des CCD, des études cosmologiques et des recherches systématiques dédiées.
Enfin, pour obtenir la fréquence d’explosion, il suffit de diviser le nombre de supernovæ effectivement détectés lors d’une campagne de recherche par la surface de ciel sur laquelle la recherche a été faite, pondérée par l’intervalle de temps passé à chercher. Évidemment, tout cela n’est pas aussi simple, il y a un certain nombre de subtilités à prendre en compte dans la recette !
L’idée de mon deuxième papier — dont je ne suis pas peu fier ! — est d’utiliser l’ensemble des mesures du taux d’explosion, à la fois pour les supernovæ gravitationnelles et pour les supernovæ thermonucléaires, en fonction de l’histoire de l’univers (temps ou distance) pour en déduire l’évolution de la quantité de fer dans l’univers.
En effet, à l’origine de celui-ci, au moment du Big Bang, seuls les éléments les plus légers sont fabriqués (hydrogène, hélium, lithium). Le reste des atomes que nous connaissons sur Terre sont fabriqués dans les étoiles par fusions successives, soit lors de sa vie pour les éléments dans la masse est inférieure à celle du fer (nucléosynthèse stellaire), soit lors des explosions de supernovæ (nucléosynthèse explosive). Ainsi, la totalité du fer que nous avons autour de nous est fabriqué lors des explosions de supernovæ.
Comme ces explosions d’étoiles sont a priori les uniques fabricants de fer, il suffit de multiplier l’évolution de la fréquence de ces objets par la masse de fer rejetée dans le milieu interstellaire en moyenne par un événement pour avoir l’histoire de l’enrichissement de l’univers !
On constate ainsi que plus l’univers évolue, plus la quantité de fer augmente. Comme celui-ci n’est pas détruit — c’est un élément stable —, la quantité totale augmente, même si la production stagne ou régresse. Or le taux de formation d’étoile global a tendance à diminuer (ou stagner) actuellement, donc le nombre de supernova diminue de concert, ainsi en est-il également de la production de fer...
[1] Au passage, les mesures donnent environ 1 à 2 supernovæ de type Ia par millénaire dans une galaxie typique comme la Voie Lactée, et environ 4 supernovæ gravitationnelles.
[2] Le parsec est l’unité de distance utilisé par les astrophysiciens. Il s’agit de la distance depuis laquelle on voit l’orbite de la Terre autour du soleil avec un angle de une seconde d’arc — soit 1/3600ème de degré — ce qui correspond à une parallaxe d’une seconde, d’où le nom : parallaxe-seconde. Cela correspond à 3,26 années-lumière ou 30 péta-mètres ( m). Un mégaparsec (Mpc) est un million de parsecs. Un Mpc$^3$ étant tout simplement un cube de un Mpc de côté !
[3] c’est le même principe que pour les appareils photo numériques.
Guillaume Blanc
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