Les tribulations d’un (ex) astronome

Meije, la désirable...

lundi 12 août 2013 par Guillaume Blanc

Après une petite semaine de grimpe-camping-baby sitting qui se résuma à poursuivre des ombres sous un soleil résolument estival et proprement provençal à Orpierre, nous avions décidé de prendre un peu de hauteur pour goûter la fraîcheur de l’altitude. Retour samedi 3 août vers la civilisation, nous décidons de monter au refuge du Promontoire lundi, pour grimper bivouaquer au sommet du Grand Pic de la Meije mardi soir. Sauf que mardi soir, le mauvais temps arrive. Bref. Je vous passe les détails, la scrutation du bulletin météo, les coups de téléphone avec Frédi et Nathalie les gardiens du Promontoire...

Dimanche matin, alors que je m’étendais en long et en large pour une journée de farniente, un mail laconique de Frédi me prévient que côté météo c’est aujourd’hui ou jamais (enfin, disons pour passer avant la perturbation) pour réaliser notre projet. Branle-bas de combat, on réveille les copains qui pionçaient encore sous la tente à Orpierre, on briefe la grand-mère et la tata qui vont garder Sarah en un temps record, on prépare nos sacs dans le même intervalle, on avale une assiette de pâtes, et direction la Grave.

Nous arriverons à choper la benne de 15h55. Là, pas moyen d’avoir des états d’âmes sur la mécanique, si nous voulons éviter d’arriver au refuge à une heure vraiment indécente, tout en ménageant nos guiboles, pas le choix, la case « téléphérique » est obligatoire. Essentiellement parce qu’il est là. 16h17, nous descendons vers le départ des Enfetchores. Avec un petit détour inutile en sus.

Ces fameux Enfetchores, passage mythique pour accéder à la Meije en face nord. Une façon particulièrement ludique de monter au refuge du Promontoire, entre marche « avec les mains » en serpentant au milieu des vires, un petit bout de glacier, une vue phénoménale sur la face nord de la Reine du coin, une brèche à traverser, puis à redescendre selon un cheminement scabreux. Un coucher de soleil sublime pour couronner le tout.

L’épine dorsale des Enfetchores sous l’œil du Grand Pic

Frédi m’avait dit : « Arrivez quand même avant 22h... » Nous avons tenu parole à quelques minutes près. Un peu plus long que prévu, les Enfetchores ! Mais tellement chouette ! Les gardiens nous attendaient impatiemment pour se mettre — enfin — les pieds sous la table. Merci pour leur patience... Le refuge est archi-plein, il y a même des dormeurs dehors, qui nous ont entendu arriver avec nos gros sabots tous de pointes hérissés. Désolé...

Comme le refuge est archi-plein nous colonisons les derniers recoins pour la nuit. Nuit qui fut longue, contrairement à la plupart des autres cordées : nous n’avions pas d’impératif pour partir. Réveil à 7h, donc. Petit déjeuner. Puis je m’imprègne du topo, chose que dans la précipitation je n’ai pas encore eu le temps de faire. Nous devions être six à monter bivouaquer là-haut. Nos deux roommates sont prêts rapidement et démarrent. Dans l’intervalle, entre l’enfilage du baudard et le chaussage des pompes, Frédi nous donne des nouvelles du ciel pour le lendemain. Un petit vent frais de 60 à 70 km/h est prévu à 4000 m. Un petit coup de fil aux prévisionistes, et le couperet tombe : ce sera 58 km/h à 4000 m dès 6h. Avec une augmentation au fil des heures. C’est un peu trop pour notre petite expérience : aller jouer les funambules là-haut avec cette contrainte extérieure ne m’enchante pas outre mesure. Éloge du renoncement.

Mais que faire pour néanmoins profiter de cette belle journée ? Nous n’avons pas nos chaussons, donc les voies d’escalade au-delà du 5 sont à éviter. Frédi nous propose la Meije Orientale par le col du Pavé. Difficulté : PD+, durée : 7h. L’idée chemine et percole. Ce sera donc la Meije Orientale. Nous terminons de nous arnacher, et c’est parti, à l’heure où la plupart des alpinistes transpirent depuis des heures.

Nous traversons sous l’éperon du Promontoire, pour remonter le glacier des Étançons sous la face sud, et grimper la face ouest du col du Pavé. Le glacier des Étançons a beau rétrécir d’année en année comme peau de chagrin, il garde tout de même quelques belles crevasses ; et la pente de glace sous le col se révèle un chouïa compliquée, quelques grosses crevasses à éviter, une courte zone tourmentée à franchir. Puis rimaye.

Sous le Pavé, la plage ?

Je fais l’erreur de vouloir suivre des traces dans la neige vers le départ de la face rocheuse. De loin, ça ne paraissait pas très dur, mais de près c’est une autre paire de manche. De fait, il aurait fallu descendre un peu plus bas. Ça m’énerve, déjà que nous avons explosé l’horaire de l’approche, et maintenant, je me permets de me gourer. Là-dessus, on se prend une volée de caillasses. Mais seul mon moral est touché : l’envie de faire demi-tour et de passer l’éponge s’immisce en moi. Heureusement, mes compagnons sauront me remotiver. Nous remettons donc les crampons pour repartir du bon pied. Et ça passe très bien. Nous ne verrons plus de pierre siffleuses dans la suite...

Nous atteignons rapidement la brèche Casimir, ce qui me conforte pour la suite : on a des chances de ne pas bivouaquer sur l’arête ! De fait, deux heures plus tard, après une chevauchée fantastique entre roc et azur, nous arrivons au sommet. Meije Orientale. Qui nous offre une vue imprenable sur le Doigt de Dieu qui domine le panorama, piton rocheux surplombant la face sud de la Meije, faisant ainsi la nique au Créateur (et accessoirement à la gravité).

Sur l’arête sud-est, le sommet en vue

Là, le beau temps faisant son office et la perspective d’une descente rapide, tout au moins pour sa partie un tantinet technique, nous firent nous prélasser quelque peu entre la poire et le fromage. Bain de soleil sommital. Le panorama, bien qu’un peu écrasé par le soleil à l’aplomb — ou peu s’en faut, est tout a fait fréquentable, même si le Mont Blanc est noyé dans les limbes.

Au bout d’une heure de ce régime, nous nous dirigeons vers la descente, enfonçant souvent jusqu’à mi-cuisse dans une neige gavée de soleil. Comme l’après-midi touche à sa fin, je propose à la cantonade de passer la nuit au refuge de l’Aigle, même s’il est fermé (mais quand même ouvert) et interdit d’accès. Proposition acceptée à l’unanimité. C’est ainsi l’occasion de profiter encore un peu de cette montagne, de ses lumières bientôt vespérales, avant de profiter de celles qui ne manqueront pas d’être sublimes, à l’aube. Et puis, c’est aussi l’occasion d’une nuit historique dans ce haut-lieu de l’alpinisme. D’autant que j’apprendrai par la suite qu’il va être démonté en septembre prochain pour faire peau neuve.

Austérité entre Pic Gaspard et Pavé...

Au fil des heures, les cordées redescendent de leur traversée de la Meije au compte-goutte, pour venir rejoindre le refuge, au prix d’un ultime effort pour atteindre l’éperon sur lequel gît le cocon salutaire. Vers une heure du matin, les deux dernières cordées s’immiscent dans le refuge. Qui affiche complet. Pas mal pour un moribond !

Refuge de l’Aigle

Pour ma part, après un dîner frugal — nous avions opté pour la légèreté, repas froid sans réchaud ni popote — je me délecte des belles lumières sur la montagne, avant de rejoindre mon pieu. Je dors comme un bienheureux, bouchons d’oreilles délicatement vissés là où il se doit. Réveil au petit matin, par les lueurs de l’aube. Tant qu’à être resté là, j’en profite pour me lever et aller profiter du spectacle de la nature, l’appareil photo en bandoulière.

Aube

L’aube est toujours magique, dégradés de couleurs dans un ciel immaculé dont je peine à me lasser, éclairages des montagnes, juxtaposition des différents plans de perspective. Chacun sa couleur, chacun sa lumière. Puis dans un ultime rosissement de l’horizon, un rayon de lumière vive, orangeâtre, traverse le ciel d’un coup. L’astre du jour vient d’ouvrir un œil. Les montagnes s’éclairent. D’abord pâlottes, elles retrouvent bientôt leur parures de lumière habituelles. Grimpant les degrés dans un ciel limpide, le soleil poursuit son ascension diurne...

Dans l’intervalle, le vent s’est levé rafraîchissant substantiellement l’air ambiant. Ce fameux vent qui a changé nos plans. À voir la vitesse à laquelle les nuages défilent là-haut, il doit être là et bien là, ce fameux vent. Pas de regrets.

Tandis que le soleil gravit méticuleusement sa trajectoire dans le ciel, le petit refuge s’agite de l’intérieur. Ça se réveille doucement, ça se lève tranquillement. Nous profitons du moment de flottement correspondant pour avaler notre petit-déjeuner, afin d’évacuer la place ensuite. Le vent est glacial dehors, la gore-tex de mise.

Le regel est bon sur le glacier du Tabuchet. La descente sera longue, même si les quelques névés dans la partie haute seront largement mis à contribution. Le sentier n’en finit pas de zigzaguer. Puis, au-delà d’un ultime virage, le torrent. Fond de vallée. Reste une bonne heure de marche pour rejoindre La Grave et la voiture.

Descente au-dessus de Villar d’Arène

Les photos !


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