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Un avion sans elle
Un polar de Michel Bussi. J’avoue avoir été scotché par le suspense, que l’auteur manie d’une main de maître. Le scénario est ainsi découpé en petites séquences qui font passer le lecteur d’un personnage à l’autre le maintenant parfaitement en haleine. Pour la peine, ça se lit rapidement, le fin mot de l’affaire n’étant lâché que dans les ultimes pages. Le style léger fait un peu roman de gare, facile, les personnages aussi, avec un petit côté feuilleton à l’eau de rose. À croire que j’ai bien aimé ça, puisque j’ai dévoré les 573 pages au gré de mes aller-retours en RER (et malgré quelques rapports de stages à lire impérativement).
C’est l’histoire du crash d’un avion, sur le Mont Terrible, fin décembre, dans la tempête de neige. Aucun survivant sauf un bébé, éjecté lors de l’accident. Sauf qu’il y avait DEUX bébés à peu près du même âge dans l’avion. Deux petites filles. Deux familles vont donc se déchirer pour récupérer l’enfant survivante — ça se passe au début des années quatre-vingt, donc bien avant les tests ADN. Deux familles que tout sépare : le niveau social, l’humanité. Le premier serait ainsi incompatible avec la seconde. Une sorte de dichotomie à la Groseille / Le Quesnoy, Groseille en mieux, Le Quesnoy en pire. Sauf que là, il n’y a qu’un enfant pour deux. Le Dieu pognon va-t-il l’emporter ? Rassurez-vous, la morale est sauve.
Le titre fait référence à la chanson homonyme de Charlélie Couture, « Comme un avion sans aile » qui nous berce tout au long de l’intrigue.
D’ailleurs, au passage, il est fait mention d’une autre chanson du même Charlélie Couture, « La ballade de Serge K. » qui raconte « La virée nocturne d’un privé solitaire » et qui faut inévitablement écho aux errances de Crédule, le privé solitaire du roman. Mais ce titre me fait penser à un autre roman, « La ballade de Lila K » ; la coïncidence ne peut pas être fortuite, c’est ma culture musicale qui laisse à désirer...
On sait donc dès les premières pages qu’un rebondissement attend le lecteur à la fin de l’ouvrage, soit dix-huit ans après le crash. Mais les pages défilent rapidement.
La chute (du roman !) est un peu rude à mon goût. Toute l’histoire est jusque-là remarquablement bien ficelée, pour autant que j’ai pu en juger, mais la fin semble expédiée. L’auteur paraît avoir oublié qu’une personne marchant dans la neige laisse inévitablement des traces, même si celles-ci sont éphémères. Tout le reste est analysé, disséqué, mais la-dessus, rien. Mélanie semble marcher sur la neige, et non dans la neige... Elle piétine en attendant les secours, mais apparemment sans laisser de traces.
Par ailleurs, mon petit côté astronome pinailleur a relevé l’unique mention au ciel étoilé, p. 526 de l’édition poche : « [...] les deux seules constellations qu’il était capable de reconnaître, la Grande Ourse et Véga, venaient de disparaître. » Et là, je tique, car si la Grande Ourse est bien une constellation, en revanche, Véga est une étoile, de la constellation de la Lyre. Et puis, pour m’amuser, je suis allé voir un peu plus loin, parce que j’interprète le fait que la Grande Ourse « disparaît » comme quoi elle se couche derrière l’horizon. Or à la latitude du Mont Terrible [1] où se trouve Marc qui fait cette observation, la Grand Ourse est une constellation circumpolaire, donc qui ne se couche jamais. Certes, elle aurait pu disparaître derrière un obstacle mais vu que Marc est sensé être à proximité du sommet de la colline jurassienne... Véga est à peu près à l’opposé de la Grande Ourse par rapport à l’étoile Polaire. Peu de chance, donc, qu’elle se couche en même temps que la Grande Ourse, ni même qu’elle disparaisse simultanément avec elle derrière un obstacle.
Ceci étant, cette nuit-là, celle du 3 au 4 octobre 1998, Véga s’est effectivement couchée derrière l’horizon vu du Mont Terrible, vers 5h30 du matin. Or nous savons que Marc, témoin de ce coucher héliaque, arrive à Montbéliard à 6h29. D’après viamichelin, il faut environ une heure pour aller en voiture du pied du Mont Terrible jusque là. Et il a fallu que Marc descende de la montagne sachant qu’il a mis deux heures à y grimper... Or le 4 octobre 1998, l’aube « astronomique [2] » est arrivée à 5h52, mais il fait alors encore bien nuit. On commence à y voir clair au moment de l’aube « civile » qui a eu lieu ce jour-là à 7h02, le soleil s’étant levé à 7h34. Marc est donc probablement descendu du Mont Terrible au pas de course, de nuit.
Je n’ai vraiment rien d’autre de plus intelligent à faire que de m’amuser à disséquer tout ça. Encore une chose, en cherchant ce fameux Mont Terrible sur une carte, j’ai fini par le trouver, en Suisse, à une dizaine de kilomètres de la frontière franco-suisse. D’ailleurs, il s’appelle plutôt Mont Terri. Donc le versant sud-ouest « français » ben, y’en a pas. Quelques autres collines peu ou prou de la même altitude le séparent de la France.
Bref, je pinaille. Enfin, même en faisant abstraction de ces petites erreurs astronomiques et cartographique — un comble pour un auteur par ailleurs géographe ! — l’absence de traces de pas dans la neige me laisse dubitatif...
[1] Ses coordonnées sont : 47°23’ 31« N et 7°09’42.69 » E, altitude 804 m
[2] On définit un crépuscule ou aube astronomique quand le soleil se situe entre 18° et 12° sous l’horizon, un crépuscule nautique quand il est situé entre 12° et 6° sous l’horizon, et un crépuscule civil entre 6° et son couché ou son levé.
Guillaume Blanc
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