Les tribulations d’un (ex) astronome

Pêle-mêle sur la transition énergétique

samedi 8 février 2014 par Guillaume Blanc

J’avais envie de faire un article de fond sur le sujet, mais il est vaste, alors je me contenterais, dans l’immédiat, de poser ici quelques réflexions. Je me rends compte que le sujet est trop compliqué techniquement et trop important pour être abandonné à l’écologie politique. La preuve en Allemagne, où les écologistes politiques ont signé l’arrêt du nucléaire, faisant ainsi rallumer des centrales à charbon, infiniment plus polluantes et dangereuses que le nucléaire [1]. Certes cette politique a au moins eu le mérite de leur permettre de mettre en place une véritable politique d’économie d’énergie : en 10 ans les ménages allemands consomment 25 % de moins d’électricité que les ménages français, à niveau de confort égal [2]. Évidemment, avec un tarif de l’électricité deux fois plus élevé Outre-Rhin, ça aide à éteindre les lumières inutiles !

C’est probablement ça qui nous manque en France : un tarif de l’électricité qui reflète un coût de l’énergie un peu plus réaliste. Actuellement, elle est quasiment gratuite, l’électricité ! Comment inciter le péquin moyen à l’économiser ? La faute au nucléaire quelque part (et à la politique énergétique qui va avec), mais surtout à la non prise en compte de l’ensemble du coût de la filière. Et le démantèlement d’une centrale, ça va coûter cher !

D’ailleurs, parlons-en du démantèlement : François Hollande a promis d’arrêter Fessenheim rapidement, la plus vieille centrale française. Mais certainement pas la plus obsolète. Le coût du démantèlement étant proprement astronomique, pourquoi ne profitons-nous pas de ces centrales jusqu’à la fin ? Elles peuvent encore être en pleine forme pendant dix à vingt ans ! Quand elles ne seront plus dans le coup, alors, oui, il faudra se poser la question de la part de l’énergie nucléaire dans le cocktail français. Mais avant ? Le coût de déconstruction de ces centrales avant terme va être démentiel pour la société.

Venons-en au « nucléaire ». J’étais plutôt pour, dans la mesure où c’est une source d’énergie non carbonée, donc rejetant peu de gaz à effet de serre, permettant ainsi de lutter contre le réchauffement climatique. Je me suis rendu compte néanmoins qu’en tant que ressource non renouvelable, le carburant des centrales (l’uranium) est de fait en quantité limité sur Terre, le nucléaire n’a pas une durée de vie illimitée. Avec la consommation actuelle, il y en a peu ou prou pour encore environ un siècle [3]. Par ailleurs si la génération IV de réacteurs voit le jour, les ressources deviendront, certes toujours non renouvelables, mais néanmoins suffisamment abondantes pour « voir venir. » Sauf que cette génération IV de réacteurs n’est pas encore « prête » au stade industriel, qu’il lui manque entre autre, un stock de combustible suffisant (comme le plutonium produit dans les réacteurs actuels)... [4]

Le nucléaire, quoiqu’il en soit, ne sera jamais LA solution unique au changement climatique : le monde produit actuellement seulement 12 % d’électricité d’origine nucléaire, augmenter cette fraction (outre les divers problèmes sociétaux que cela peut poser) significativement reviendrait à diminuer l’espérance de vie du stock d’uranium. Donc pas possible.

Les énergies renouvelables, maintenant. Pour la biomasse, qui a l’avantage d’être neutre d’un point de vue gaz à effet de serre, je ne suis pas très au fait des derniers développements. Je peux seulement dire que le chauffage au bois est très polluant (particules fines, produits cancérigènes issus combustions incomplètes...), ce n’est donc pas une solution envisageable globalement. Le biogaz est déjà récupéré. Restent plus ou moins l’éolien et le solaire, deux sources intermittentes, inépuisables tant que le Soleil sera là [5], mais néanmoins dépendante de la localisation géographique, en particulier pour récupérer l’énergie solaire rayonnée.

Celle-ci peut l’être de différentes façons, par effet photo-électrique à l’aide de panneaux photovoltaïques, thermique, en récupérant le rayonnement thermique (la chaleur) solaire pour réchauffer un circuit d’eau sanitaire, par exemple, ou encore thermodynamique (centrale thermodynamique à concentration). Le photovoltaïque semble avoir pas mal d’inconvénients, parmi lesquels, l’utilisation d’éléments « non renouvelables » et rares, celle d’utiliser de vastes surfaces au sol (fermes solaires), et enfin celle d’être peu efficace sous des latitudes moyennes. Pour produire de l’électricité à grande échelle, le solaire thermodynamique à concentration semble très prometteur, même s’il faut malgré tout aller chercher l’énergie du soleil là où elle se trouve, comme l’envisage le projet Desertec.

Le stockage de l’électricité pose ici problème, afin d’en disposer même quand le vent ne souffle pas ou quand il fait nuit. Les batteries, même si elles font des progrès tous les jours, permettront certainement d’équiper bientôt une voiture digne de ce nom. En revanche pour alimenter une ville en énergie, c’est fort peu probable que la solution arrive par là. Il semblerait plutôt que ce stockage puisse se faire sous forme d’hydrogène. Production d’hydrogène avec le surplus d’énergie, stockage sous forme pressurisée, mais plus probablement sous forme solide dans une « éponge à hydrogène, » puis utilisation dans une pile à combustible pour la production d’électricité « à la demande. » D’autres solutions sont à l’étude, stations de transfert d’énergie par pompage (STEP), réservoirs d’eau reliés situés à des altitudes différentes ; stockage d’air comprimé dans des cavités souterraines ; stockage sous forme de chaleur dans des sels fondus au sein des centrales solaires à concentration ; enfin, une solution d’avenir pourrait être un stockage délocalisé, en utilisant par exemple les millions de batteries des futurs voitures électriques qui restent garées en moyenne 95 % du temps... [6]

La mise en réseau « intelligent » des sites de production d’électricité et des consommateurs permettrait également de redistribuer celle-ci « en temps réel » des régions productrices vers les ragions consommatrices pour assurer un certain équilibre [7].

Il est fort à parier que la solution du futur sera en fait une mixture de ces différentes propositions.

Donc, si le développement à grande échelle des énergies renouvelables telles que l’éolien et le solaire pose des problèmes aujourd’hui insurmontables dues à leur intermittence intrinsèque, en revanche des solutions commencent à poindre pour les utiliser. De fait aucun scénario énergétique n’envisage de se passer des énergies renouvelables qui devront dans un futur proche fournir une bonne partie de l’électricité. En France en particulier.

Dans l’immédiat, il serait bon de ne pas avoir tous ses œufs dans le même panier, et donc, en France, d’augmenter la production d’énergie renouvelable, sans pour autant démanteler des centrales qui fonctionnent encore très bien. En cas d’accident, comme à Fukushima, c’est tout le pays qui est paralysé, si toute l’énergie provient de la même source.

Il serait bon également d’augmenter substantiellement le prix de l’électricité, afin d’inciter à économiser la précieuse substance. Ou d’avoir une politique d’économie d’énergie digne de ce nom.

Je n’ai pas parlé des transports, mais il est fort probable que l’énergie du futur pour les véhicules soit de l’électricité stockées dans des batteries ou sous forme d’hydrogène et transportée ainsi. On est ainsi ramené au problème que je viens de discuter.

Donc ces quelques réflexions, issues de lectures, de discussions avec des collègues physiciens, chimistes, des ingénieurs du nucléaire, des écolos... Je ne suis pas spécialiste en énergie, seulement physicien, ce qui me permet peut-être d’avoir un regard un peu objectif sur cette problématique. Parce que certes, le nucléaire, c’est dangereux, mais militer pour sortir du nucléaire sans que la technologie n’ait de solution efficace de remplacement est une gageure. Ces citoyens qui manifestent contre l’énergie nucléaire, ils s’éclairent, je suppose, à la bougie ? Et n’ont pas de réfrigérateur ? Je l’espère, en tout cas, qu’ils soient au moins cohérents avec eux-mêmes !

Je pense donc que la « transition énergétique » ne peut pas être démocratique, mais qu’elle demande des choix technologiques compliqués que seuls des « experts » sont à même de proposer aux dirigeants. Que nos dirigeants ne se feront pas embobiner par des militants écolos pour arrêter le nucléaire, ce qui serait une catastrophe dans l’état actuel de la technologie. Un retour au charbon assuré !

[1Je sais qu’il existe en France une association au nom explicite « Sortir du Nucléaire » ; existe-t-il seulement le pendant « Sortir du Charbon » ?

[2Voir, par exemple : « En finir avec le nucléaire, pourquoi et comment » de Bernard Laponche et Benjamin Dessus.

[3D’après la World Nuclear Association, on a 5,4 millions de tonnes d’uranium de disponible, or actuellement, on en consomme mondialement 68 000 tonnes par an. Au rythme actuel, ça laisse donc environ 80 ans. En augmentant la part de l’électricité nucléaire dans le camembert mondial (17 % de l’électricité mondiale à l’heure actuelle, mais seulement 7 % de la consommation énergétique totale), l’horizon des ressources se situe entre 2090 (si on reste comme ça), et 2026 (si on multipliait par cinq la production nucléaire annuelle).

[4Voir, par exemple : « Nucléaire : quels scénarios pour le futur ? » dialogue à cinq voix, dont Michel Chatelier, travaillant au CEA dans le domaine de la fusion, Patrick Cricri, économiste dans le domaine de l’énergie, Daniel Heuer, directeur de recherche au CNRS et spécialiste des réacteurs de génération IV, Sylvestre Huet, journaliste scientifique à Libération, auteur du blog Science² et Isabelle Joncour maître de conférences en astrophysique à Grenoble.

[5L’éolien est également une énergie « solaire » : les vents qui balayent notre planète sont provoqués par des différences de pression et de température de l’atmosphère réchauffée par le Soleil. Le Soleil en a pour quelque 4,5 milliards d’années à vivre ainsi. Le temps de voir venir...

[6Voir par exemple : La Recherche n° 47 de février 2012

[7Voir par exemple : La Recherche, n° 462, mars 2012


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