LSST : un grand télescope pour un relevé synoptique du ciel
Encore un télescope ! Décidément, les astronomes n’arrêtent pas de planter ces champignons aux formes de plus en plus futuristes — hallucinogènes ? — sur les montagnes du monde. Régulièrement, un nouvel instrument ou ensemble d’instruments arrive et prend place dans l’arsenal des astronomes ; tandis que d’autres sont délaissés, ayant vécu leur temps. La science avance.
Le « télescope pour un grand relevé synoptique » est ainsi sur le point de sortir de terre. Son berceau est le Mont Pachón, au Chili, à quelques encablures d’autres observatoires prestigieux. Le sommet de la montagne a été raboté à grand renfort d’explosifs. Aplani.
Mais qu’est-ce qu’un télescope pour un grand relevé synoptique ? Appelons-le LSST pour nous simplifier la vie, selon son acronyme anglais « Large Synoptic Survey Telescope, » même si ce n’est pas d’une poésie profonde ! Ce LSST, donc, est un télescope qui va être dédié à la réalisation d’un relevé du ciel sans précédent. Pendant dix ans, il va observer le ciel austral méthodiquement, collecter patiemment la lumière des astres qui peuplent nos nuits, qu’ils soient dans l’univers proche, les objets du Système Solaire, ou bien dans l’univers lointain, très lointain, les galaxies. En passant par les étoiles de notre galaxie, la Voie Lactée, et toutes les populations de galaxies entre les deux. Sans oublier le ciel qui varie dans le temps, étoiles variables, galaxies actives, ou supernovae... Synoptique [1], c’est donc pour ce panorama du ciel qui va fournir quelques pelletées de grain à moudre à une bonne partie de la communauté astronomique et astrophysique internationale.
Grand, parce que c’est la moitié du ciel qui sera cartographiée [2]. Un relevé quatre fois plus vaste que celui réalisé par le SDSS (Sloan Digital Sky Survey).
On aurait pu ajouter profond dans l’acronyme, puisque il ira chercher des objets très très peu lumineux, revenant à observer la lueur d’une bougie à environ 170 000 kilomètres de distance [3], à savoir environ la moitié de la distance de la Terre à la Lune !
Pour cela un télescope dédié à la réalisation de cette cartographie du cosmos va être construit. Doté d’une caméra CCD avec un champ très grand, 9,6 deg (contre 1 deg pour la caméra Megacam installée en 2002 au foyer du télescope Canada-France-Hawaï à Hawaï), installée au foyer tertiaire d’un télescope à l’optique très compacte, avec un miroir principal de 8,4 m de diamètre au centre duquel se trouve le miroir tertiaire de 5 m taillé dans le même cylindre de verre [4]. Une monture azimutale pour être la plus rigide possible et réagir en des temps extrêmement courts : une image sera composée de deux poses de 15 secondes chacune, avec 3 secondes de temps "mort" entre les deux (lecture des CCD et fermeture de l’obturateur), à la fin des deux poses, le télescope bouge automatiquement sur le champ suivant en une poignée de secondes. Toutes les quatre nuits, la totalité du ciel visible est observé.
Tout cela implique des défis technologiques sérieux. Ainsi, la caméra CCD — sorte d’appareil photo numérique géant ultra-sophistiqué —, cœur névralgique du système, va contenir 189 capteurs CDD de 4000 x 4000 pixels, soit trois milliards de pixels au total. Le plan focal aura un diamètre de 63 cm. La caméra elle-même ressemblera à un cylindre de 1,65 m de diamètre et de 3,7 m de longueur. La vitesse de lecture d’une image sera stupéfiante au regard de la taille, à savoir deux secondes. Les capteurs CCD seront « épais » afin d’être plus sensibles dans le proche infra-rouge [5], par rapport aux CCD classiques.
La mécanique de la monture (supportant quelques 300 tonnes) devra être capable de bouger d’un champ à l’autre en moins de cinq secondes, et ce toutes les 40 secondes, soit plus de 900 pointages par nuit, et ce pendant plus de dix ans ! Le tout doit être particulièrement rigide pour limiter les vibrations sur les images. De la mécanique de précision d’une grande robustesse et d’une grande longévité...
En effet, pour atteindre ses objectifs scientifiques, le LSST devra scruter le ciel pendant dix ans. La construction est sur le point de commencer sur le sommet raboté d’El Peñon. La première lumière est attendue en 2019, pour un début du relevé proprement dit en 2021. Jusqu’en 2031, donc. Le coût global du projet est de 850 millions de dollars, dont environ 40 % pour la construction du télescope et de la caméra, 40 % pour le faire tourner pendant 10 ans (soit 100 000 dollars par jour !) et 20 % dédiés au traitement des données.
D’ailleurs, en parlant de données, avec une telle caméra, le flot sera considérable : près de 30 To par nuit (soit 30 000 Go — soit environ trente disques durs actuels standards) et sur 10 ans, cela fera 60 Po (60 000 000 Go) ! La manipulation et le traitement d’une telle quantité de données représente également des défis intéressants.
Tout cela pour engranger les observations d’une dizaine de milliards de galaxies et autant d’étoiles, dans six bandes spectrales. Le spectre visible sera effectivement décomposé en six bandes qui seront matérialisées par des filtres placés devant la caméra. Des filtres de soixante-quinze centimètres de diamètre pour 25 kg pièce !
Parmi cette myriade de données attendues (mais pas avant une bonne quinzaine d’années) sur notre univers, celles qui vont m’intéresser particulièrement sont les galaxies. En effet, l’analyse de la répartition en trois dimensions des galaxies dans l’univers permet d’en déduire pas mal de choses sur cet univers. Dont sa composition en énergie et en particulier en énergie noire, ce concept mystérieux que nous devons invoquer pour expliquer certaines de nos observations (l’accélération de l’expansion de l’univers), qui emplirait 70 % de la masse de l’univers.
Ainsi l’idée est de récupérer un sous-échantillon de galaxies de très grande qualité [6] (40 % du total soit tout de même 4 milliards de galaxies au bas mot). Mais pour les besoins de la science que j’ai décrite succinctement, outre les positions sur la voûte céleste, une indication de distance sera nécessaire. Celle-ci est donnée de prime abord par le décalage spectral ou décalage vers le rouge : plus une galaxie est loin de nous, plus elle s’éloigne rapidement en vertu de l’expansion de l’univers, et plus on observe son spectre décalé vers les grandes longueurs d’onde (donc vers le rouge) par effet Doppler-Fizeau.
Sauf qu’il sera a priori impossible d’obtenir un spectre [7] de chacune de ces galaxies, cela nécessiterait beaucoup trop de temps d’observation sur des très gros télescopes. La seule solution sera de calculer des décalages vers le rouge dits « photométriques, » c’est-à-dire en essayant de deviner le spectre de la galaxie — et donc son décalage lié à sa vitesse — à partir du flux mesuré dans chacun des six filtres. Le seul hic, c’est que cette méthode est beaucoup moins précise qu’avec un véritable spectre. Il faudra néanmoins faire avec !
Pour obtenir des décalages vers le rouges — « photométriques » — les plus précis possibles, il faut que les mesures de flux (ou de la quantité de lumière émise (et reçue) par ces galaxies ; ce que l’on appelle la « photométrie ») soient les plus précis possible. LSST a l’ambition de calibrer [8] ces mesures à mieux que 1 % sur l’ensemble du relevé, ce qui n’a jamais été fait avec une telle précision. Pour cela il faut comprendre parfaitement comment la faible lumière des astres est absorbée sur son trajet, en particulier par l’atmosphère et les divers composants optiques de l’instrument.
L’atmosphère doit ainsi être bien comprise et en particulier l’évolution spatio-temporelle de certains composants (l’ozone, la vapeur d’eau, les aérosols). De même, pour améliorer l’efficacité des observations, il est prévu d’observer le ciel même quand les nuits ne sont pas parfaitement claires, mais quand un voile de cirrus absorbe inégalement une partie de la lumière. Il va donc falloir « faire avec » et comprendre comment ces nuages non uniformes dans le temps et l’espace affectent la calibration photométrique des images. Un petit télescope de 1,2 m de diamètre sera placé à côté du LSST pour observer l’atmosphère sur la même ligne de visée et en même temps, afin de pouvoir mieux en soustraire les effets perturbateurs sur les images astronomiques obtenues.
En attendant de voir les premières images, nous simulons, pour voir si ça peut marcher, pour construire les logiciels qui nous permettrons ensuite de travailler sur les vraies données. Encore un peu de patience...
[1] Adjectif issu du grec ancien σύνοψις signifiant « vue d’ensemble ».
[2] Soit 20 000 deg$^2$, l’ensemble de la sphère céleste représentant environ 40 000 deg$^2$. Un degré carré étant (abusivement) défini comme l’angle solide d’une pyramide à base carrée sous-tendue par des angles plans d’un degré. Du coup, $\Omega = L^2$ pour un rayon de valeur l’unité, $L$ étant la longueur d’un côté de la base de la pyramide. Cette longueur est donnée par : $L = 2\cdot \sin \theta /2$ où $\theta$ est l’angle correspondant à 1°. Donc $\Omega = 4\cdot \sin^2(0.5°) = 4\cdot \sin^2(\pi/360)$, donc $1\ \textdeg^2 \simeq (2\pi/360)^2\ \textsr \sim 3.046\cdot 10^-4\ \textsr$. La surface totale de la sphère étant de $4\pi$ sr, cela donne $4\pi/3.046\cdot 10^-4 \simeq 41253\ \textdeg^2$.
[3] La puissance lumineuse d’une bougie est d’environ 0.07 W. Par ailleurs, le flux correspondant à une magnitude $m$ est donné par $f = f_0 \cdot 10^-\fracm2.5$ où $f_0 = 2\cdot 10^-8\ \textW\cdot \textm^-2$ qui est le flux de l’étoile Véga à une longueur d’onde de 550 nm. Donc la distance à laquelle se trouve une bougie dont la magnitude observée est $m$ est donnée par : $D= \sqrt\fracL4\pi f$. Pour $m=27.5$, on obtient $D$ = 170 000 km.
[4] La surface collectrice est donc équivalente à celle d’un unique miroir de 6,5 m de diamètre.
[5] Si la couche sensible, celle où interagissent les photons qui vont se « transformer » en électrons par effet photoélectrique, est trop fine, les photons les moins énergétiques (proche infra-rouge) la traverserons sans s’arrêter ; d’où l’idée d’augmenter l’épaisseur de cette couche.
[6] C’est-à-dire une quantité de lumière (ou de photons) mesurée avec un grand rapport signal sur bruit (> 20).
[7] Un spectre, c’est la quantité d’énergie lumineuse, ou le nombre de photons, en fonction de la longueur d’onde.
[8] La « calibration » consiste à relier une mesure expérimentale qui contient un certain nombre de biais liés à l’instrument et aux conditions de la mesure, à une valeur « physique » universelle. Par exemple, en astronomie photométrique, on mesure des quantités de photons (d’électrons, en fait) sur l’image d’une étoile ou d’une galaxie qui dépendent du temps d’exposition, de la taille du télescope, de leur trajet dans l’atmosphère et à travers les composants optiques, du rendement des capteurs CCD, de l’électronique de lecture de ces CCD, etc. Au final, on veut des flux exprimés en unités physiques reproductibles c’est-à-dire le plus possible indépendant de tous ces artefacts...
Guillaume Blanc
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