Chartreuse
Après avoir dérouillé les planches dans la neige de l’Obersimmental en Suisse le week-end de mi-décembre, avec le GUMS, premier car-couchette de la saison, il fallait démarrer les vacances sur les chapeaux de roue.
Vacances Ô combien attendues, une fois n’est pas coutume, la fin de semestre ayant été particulièrement chargée et douloureuse. Vendredi soir, mon dernier TD de physique de la lumière. Dernier TD de l’année. Pour un peu je vais les regretter, ce groupe-là, je l’aimais bien. Je leur raconte l’effet de serre, comment ça marche. Il faudra que je vous raconte ça, aussi, un jour, l’effet de serre. C’est d’actualité. Pas vraiment de saison. Le paquet de neige tombé depuis un petit mois sur les Alpes occidentales est impressionnant. D’autant qu’elle ne s’est pas limitée aux Alpes, les Pyrénées ont été grassement servis tout comme le centre du pays...
Je rentre chez moi. Il fait beau, enfin. Un mois de décembre pourri, globalement, à Paris. Mais quel bonheur de partir le matin sur mon vélo dans un crachin glacial, tout en sachant qu’à l’autre bout du pays ce sont d’énormes flocons qui tombent. Supporter et attendre. Patienter.
Le moment est arrivé. Le temps de faire les sacs. De vider les placards du matos entassé là pour l’automne. Remplir les sacs. Remplir la voiture. Samedi matin. 4h15. Le réveil sonne. Se lever à cette heure indue n’est pas si atroce que ça. J’enfourne les derniers sacs dans la voiture. Puis je passe par Bures récupérer José et Anne-Soisig. Je ne sais où ils vont mettre leur matos. J’ai l’impression d’avoir déjà pas mal coloniser l’espace ! Bures. 5h. Étrange agitation sur la place du village. Ça se démène autour d’une voiture avec des sacs éparpillés tout autour. Comment faire tenir le tout à l’intérieur. Quadrature du cercle. Problème résolu... Espace vital réduit.
Nous prenons la route. Comme pas mal d’autres parisiens, en fin de compte. Nous ne serons pas seuls sur l’autoroute A6. Le temps passe vite, nous papotons, nous échangeons gaiement nos places. On tourne. Lyon. On retrouve Padrig au péage. Direction la Chartreuse. Massif inconnu, nous décidons que c’est l’occasion ou jamais d’aller le découvrir.
Col de Porte. À droite la fameuse « Chamechaude » qui ponctue les compte-rendus de sorties des grenoblois. Nous dédaignons. Au parking, Martin, un pote à José, nous attend déjà. On se prépare vite fait. Moi qui rêvait d’un petit casse-coûte avant de me mettre en route... C’est qu’il est quasiment midi ! À défaut de Chamechaude, ce sera une petite Pinéa pour se mettre en jambe. Martin donne le rythme d’entrée de jeu. Avec nos gros sacs chargés pour deux jours avec matériel de bivouac, on peine à suivre. D’autant que la forêt est sublime, toute de blanc vêtue.
Si je ne tirais pas la langue comme ça, je m’arrêterais tous les trois pas pour faire une photo tellement c’est beau. Mais non. Une heure plus tard nous arrivons quatre cent cinquante mètres plus haut, au sommet. Belle vue sur la Chartreuse et sur Grenoble, là-bas, dans sa cuvette. Seuls au sommet. Inespéré. En face, Chamechaude, toujours.
Martin nous emmène dans un couloir en face nord pour descendre vers l’ouest dans la vallée du Tenaison. Il nous accompagne jusqu’au petit rappel pour franchir une petite cascade de glace avant de s’en remonter vers les siens. Nous poursuivons notre descente. La neige n’est pas folichonne, lourde et croûtée par endroits. Nous arrivons dans une clairière au bord d’un chemin à proximité d’une cabane. Petite traversée pour aborder la descente vers la rivière sur un flanc plus sympathique. Et encore. La descente en forêt, dans une neige globalement pas terrible. Dans le bas, ça touche un peu.
Nous allons chopper le pont un peu plus bas, sur le chemin, avant de remettre les peaux pour remonter vers les Rochers de Chalves. Sur la traîne forestière, la trace monte droit dans la pente. De nombreux randonneurs, à skis, en raquettes, à pieds avec les skis sur le dos (?) en descendent. Nous, nous montons. La lumière, elle, descend. La trace autoroutière finit par quitter la piste forestière pour s’engager sur un ressaut qui patine. D’ailleurs si la plupart y laisseront un peu de sueurs, d’autres y laisseront leurs peaux. De phoque. De ré-encollage express, en réchauffage à la paume de la main, en tours de scotch, et incantations diverses et variées, nous parvenons, toujours unis, en haut de la côte. Nous avons eu le temps de contempler le coucher de soleil qui illuminait la falaise ouest de la Pinéa.
Nous envisagions d’aller au sommet des Rochers de Chalves pour basculer de l’autre côté vers le chalet des Bannettes afin d’y passer la nuit. La rencontre inopinée avec deux skieurs qui descendent entre chien et loup nous refroidit : le vent semble régner en maître là-haut, la descente n’a pas l’air évidente à trouver de jour, alors de nuit... Et de surcroît le chalet semble déjà habité. Plutôt que de cohabiter et d’arriver à une heure tardive, nous décidons, sous la petite impulsion de l’un d’entre nous dont il vaut mieux taire le nom, de creuser un trou là, et de bivouaquer sous le couvert des arbres.
Tandis que Padrig se retrouve propulsé au fourneau avec pour mission de produire des litres d’eau, nous nous attelons à creuser un trou. Igloo ou pas igloo, toit ou pas toit, l’astronome du groupe décide que voir les étoiles, c’est pas plus mal. Parce que fermer un igloo aurait pris une éternité, quand à faire un toit, pas facile facile, sans outils adéquats. Plus d’un demi-mètre de neige tassée pour atteindre le sol. Nous sommes vers 1500 mètres d’altitude. Sol que nous nivelons de neige, et que nous recouvrons d’une couche de branches de sapin pour nous isoler du froid, seul moi ayant pris un matelas, avec une ultime couche de couverture de survie pour protéger les duvets.
Le repas fut festif. Soupe mijotée aux cèpes, fusili au saumon avec un soupçon d’aneth et dessert suprême de brownie au chocolat. Succulent. Merci à la cuisinière, ça change drastiquement de mon éternelle purée/jambon ou purée/thon... C’est ainsi repus que nous installons nos couchages.
Les étoiles scintillent au-delà des branchages.
...
Une sensation désagréable sur la joue exposée à l’air. Pif ! Une grosse goutte s’écrase sur mon nez. Pif...
Nous avions tout prévu : le regel radiatif nocturne, le vent, tout sauf ça : le dégel et la remontée de la mer de nuage. Les étoiles ont disparu, le brouillard est venu nous caresser les pommettes. Et oui, le redoux annoncé est là. La neige fond. Les murets de notre frêle abri se recroquevillent doucement. Les arbres gouttent. Les duvets et, de manière générale, tout ce qui est en contact avec l’air extérieur, sont trempés. En dehors. Nous sommes encore au sec, dedans. Que faire ? Après quelques minutes de tergiversations collectives, assis sur notre séant, nous retournons à la position horizontale pour tenter de dormir. On verra bien...
Certains ont rapidement trouvé le sommeil, en témoignent ces ronronnements de locomotive. Je finis par me décider de tenter de mettre la main sur mes bouchons d’oreille. Ouvrir mon duvet, j’ai trop chaud, et respirer sur le côté pour éviter les gouttes tueuses qui nous agressent de leur pesanteur. Ça fonctionne pas mal. Je pensais ne pas avoir réussi à dormir, mais au petit matin, j’ai quand même le sentiment de n’avoir pas réussi à compter tous les moutons. C’est donc bien qu’il y a eu quelques absences ce faisant. De bon matin, la brume s’est levée, le brouillard s’en est allé, les étoiles sont réapparues. L’humidité ambiante s’en est allée. Encore un petit somme, et puis ça y est, il fait jour. Vacances oblige, ce fut grasse matinée !
Le lever est un peu désagréable, tout est trempé autour de nous. Mais finalement nous avons réussi à dormir un peu, et nous n’avons pas eu froid. Une expérience intéressante en tout cas !
Petit déjeuner de thé au muësli et de brownie. Ça cale. Et puis nous plions nous affaires pour repartir. L’allègement escompté des sacs pour cause de repas avalé, se trouve largement compensé par l’alourdissement intempestif des sacs de couchages gorgés d’eau... Nous marchons à poids constant. Entre temps le soleil vient timidement nous faire un petit coucou salvateur.
Les peaux ont encore du mal à tenir sur les spatules. Mais finalement, ça le fait. Nous suivons la trace qui mène aux Rochers de Chalves à côté de laquelle nous avons bivouaqué. Bientôt le brouillard nous rejoint. Et nous enveloppe. La mer de nuage ? Nous sommes en plein dedans. Les arbres sont parés d’irréels bijoux qui scintillent sous les rayons d’un soleil timide. Sapins aux épines calfeutrées dans une gangue de glace, chandeliers de cristal qui s’épanchent vers le ciel. La Nature nous dévoile un de ses joyaux... L’humidité de la nuit aidée par le vent du nord qui soufflait en tempête a bâti cette translucide carapace arboricole. C’est beau. Je sors l’appareil photo, j’ai envie de m’arrêter à chaque pas pour immortaliser ces sculptures éphémères.
Nous progressons bientôt sur la crête des Rochers de Chalves, dans une forêt de glace. Ajoutez à cela un soupçon de brouillard avec une once de solitude et vous aurez une idée de l’ambiance particulière du lieu.
Les envies de performances sont envolées, nous profitons simplement du spectacle. La crête sommitale se poursuit vers le sud sur des kilomètres. Nous sommes juste au niveau de la mer de nuages, et parfois, au gré du ressac, quelques lambeaux de ciel bleu viennent se refléter dans les arbres de cristal qui brillent au soleil.
Nous ne pousserons pas l’exploration plus loin, et amorçons bientôt notre descente. Nous poursuivons notre périple vers le col d’Hurtières, dans un vallon enterré dans le brouillard. Nous naviguons à la boussole ou au GPS selon le degré de modernité embarqué. La traversée initiale est abrégée, parce que le brouillard c’est sympa un peu, mais il ne faut pas en abuser non plus. Nous cherchons l’échappatoire en forme de goulet d’Hurtières, faiblesse dans la falaise que nous longeons en traversée.
La pente sur laquelle nous sommes est assez raide, des traces anciennes de plaques de neige détachées, qui se sont déplacées en se déformant mais sans couler vers le bas de la pente, font apparaitre un sol herbeux sous plus d’un demi-mètre de neige. La plasticité du manteau neigeux qui s’est plissé sous l’effet de la gravité m’émerveille.
Au passage, dans cette histoire, une de mes peaux se décolle et ne tient plus que par ses extrémités. Je ne tarde pas à la perdre. Tant pis, ce n’est pas bien gênant, nous suivons une courbe de niveau. Le passage tant convoité arrive. Effectivement, ça passe. Je trace dans une neige collante, tellement collante, que mon ski sans peau se comporte tout comme son voisin avec peau. Incroyable ! Le goulet est une merveille, passage superbe entre le vallon d’Hurtières et la forêt de Génieux. Une brèche dans le mur de pierre que nous longeons depuis quelques temps et qui se poursuit au-delà. De l’autre côté, la forêt.
Nous cassons la croûte. Et puis cap au 117°, ESE, en plein dans la forêt. C’est très peu pentu, ça sent le poussé de bâton. Contrairement à ce que l’on souhaitait, on se retrouve sur le sentier. Trop à l’est. Finalement le destin fit bien les choses puisque ainsi nous pûmes profiter d’un peu de pente pour faire quelques courbes au milieu des arbres et arbustes. Slalom naturel. Pour rejoindre les platitudes tracées de raquettes qui mènent au col de la Charmette.
C’est là que les ennuis commencent. Parce que de l’autre côté du col, ça remonte, forcément. Et pour remonter, il faut nécessairement recoller les peaux sur les skis. Des peaux trempées par deux jours de ski globalement humides, des peaux gorgées d’eau, bref, des peaux qui ne collent plus. Sauf les miennes. Attachées devant et derrière, elles n’ont de toute manière pas le choix.
Les copains usent de divers stratagèmes pour tenter de retarder l’inévitable. Padrig fait des tours de piste pour chauffer la gomme, José tente de transférer sa chaleur à la colle, Anne-Soisig essore...
Le Soleil décline, il est sur le point de se coucher, il faut y aller. La recette de Padrig semble avoir fonctionné puisqu’elle lui permet d’atteindre le col salvateur sans encombre. Les peaux d’Anne-Soisig ont déclaré forfait une centaine de mètres en-dessous. Elle termine à pieds. Quant à la méthode de José, ben c’est pas la bonne, il se coltinera une bonne partie des trois cents mètres de remontée sans peau. Heureusement, la neige collait pas mal. Mais c’est hyper crevant, et quand la pente se redresse, ça devient très très galère. Lui aussi termine à pieds.
Nous arrivons à l’oratoire d’Orgeval au crépuscule. Superbe dégradé de couleurs pastels sur l’horizon ouest juste au-dessus des Rochers de Chalves. Vénus veille un peu plus haut, petit œil de diamant dans un ciel bleu noir.
Nous nous laissons glisser doucement vers le col de Porte sur la route damée, à la lueur de la frontale. Il est dix-huit heures passées quand nous arrivons à la voiture...
Ce furent mes premiers pas en Chartreuse, et... je reviendrais !
D’autres images : les miennes, celles d’Anne-Soisig, celles de José...
Guillaume Blanc
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