Les tribulations d’un (ex) astronome

Des étoiles sur l’Oberland Bernois

mardi 17 mars 2015 par Guillaume Blanc

Il y a des sommets, comme ça, qu’il vaut mieux éviter. Des refuges aussi.

On devait aller en Valpelline [1] poser nos skis, passer un week-end tranquille loin de tout et de tous dans un refuge non gardé planqué, découvrir les immensités glaciaires du bas Valais, un véritable programme aux petits oignons. Et puis la météo, sacrée météo, s’est mise de la partie, gros mauvais temps venant du sud, foehn et tutti quanti, on s’est dit en dernière minute que l’on aurait tout intérêt à aller voir plus au nord si le temps ne serait pas plus accueillant.

C’est ainsi que la veille du départ, changement de programme, nous irons finalement du côté de Lenk dans l’Oberland Bernois. Presque tout le car dans le même refuge, la Wildhornhütte, puisqu’il n’y avait guère le temps d’imaginer autre chose. Il y avait de la place, c’est déjà ça. La carte promettait malgré tout monts et merveilles, même si le sigle de la dépose héliski sur la carte suisse au niveau du Wildhorn — le sommet du coin — pouvait laisser craindre le pire. Quand le gardien, dans un français plus qu’approximatif, tandis que j’essayais de confirmer ma réservation, m’annonce la couleur, cinquante-huit francs suisses la demi-pension, gloups, me dis-je. C’est que le franc suisse a grimpé depuis la dernière fois où j’y suis allé (et je trouvais déjà ce foutu pays hors de prix !).

Une première journée fort sympathique, où nous arrivons, miraculeusement, à croiser peu de monde. Mis à part un groupe de skieurs un peu bizarres, avec des skis sans fixations de rando, sans sacs à dos et avec des grosses combinaisons sur notre premier sommet, l’Iffighore. J’ai mis des plombes à réaliser qu’ils étaient en totale contradiction avec nous autres. Il a même fallu qu’un autre gars me le confirme de vive voix, un autre randonneur à skis, normal quoi : oui, ces gugusses étaient descendus d’un hélico le matin même au sommet du Wildhorn. Enfoirés de tricheurs (riches). Ma seule consolation fut de me dire que la seule et unique partie de la montagne en excellente neige — le reste était croûté, trafollé [2], dur, agité, pourri — était les 200 m qu’ils venaient de se taper à remonter à pieds avec leurs enclumes sur les épaules ! Et que nous avons descendu avec un plaisir sans nom.

La suite, remontée en face, sur une superbe crête jusqu’au sommet du Niesehore, puis descente droit dans la pente, déjà bien regelée par la couverture nuageuse et les quelques flocons qui virevoltaient entre grisaille et azur dans un soleil voilé et sur le déclin, pour arriver au refuge. Et de constater qu’une forêt dense de skis en peuple l’extérieur. C’est tellement de bonne augure que je m’attarde dehors à bricoler un truc ou l’autre, à regarder les gens qui continuent d’arriver, et surtout à mater la neige qui tombe, fins flocons, étoiles délicatement ciselées par une précieuse nature géométrique. Je n’ai pas du tout envie d’aller voir dedans ce qui s’y trame, ce peuple serré qui enfume forcément l’intérieur des quatre murs. Alors je traîne dehors. Il ne fait pas froid, il floconne légèrement, les étoiles tombent directement du ciel. J’ai littéralement la tête dedans.

Et puis quand même, il faut bien finir par s’y résoudre. Entrer. À peine ai-je poussé la porte de la salle commune que le gardien me tombe (gentiment) dessus avec son collègue (à deux c’est mieux !) pour me dire (ou plutôt me faire comprendre) que non, pas de sac à dos ici. Bon, OK, je vais poser ma besace dans notre dortoir attitré, à l’étage.

Pas d’eau courante au refuge, pas grave, ça arrive à des refuges très bien. La bouteille d’eau de un litre et demi ? Neuf francs suisses ! Et huit francs suisses les deux litres de thé à l’eau de fonte... La Suisse dans toute sa splendeur. Bon, ils étaient à la bourre pour le dîner, annoncé à 18h30, il a commencé à 18h37 — l’horloge se déglingue. Il a fallu se battre pour avoir du rab, à chaque fois le numéro de tablée était demandé et noté. Nous passons l’éponge après le premier rab (radin) de polenta, imaginant que le dessert finirait bien à combler la dent creuse. On se dit en rigolant qu’ils pourraient bien nous servir une salade de fruits.

Bingo, un grand ramequin avec un fond de fruits au sirop. On en rêvé, on l’a eu. Du coup, j’ai mangé mon bout de pain et fromage du midi en guise de digestif. Après quoi, ça allait mieux, je me sentais serein pour la nuit. Même si la facture, les fameux cinquante-huit francs suisse, a du mal à passer.

Ah, faut que je vous dise aussi : il y avait un poêle qui trônait dans la pièce commune, mais interdit de faire sécher quoi que ce soit à proximité ! Parce que oui, en général après une journée à marcher en ski, non, on n’a pas transpiré, non, rien n’est mouillé, on arrive au refuge tout frais, tout secs, comme si on allait bosser de bon matin en costard-cravate et souliers vernis. Du coup, j’ai stocké les pompes de ski trempées, les peaux trempées, les gants trempés, les chaussettes trempées, dans le dortoir où il caillait pas mal, les trucs n’avaient aucune chance de sécher un tant soit peu d’ici le lendemain. Bref.

La rigueur suisse.

Le petit-déj’ fut épique : soixante gus et gusses qui débarquent dans le réfectoire simultanément, ça fait du monde. Les pov’ gardiens étaient aussi débordés qu’inefficaces. Mais il a fallu encore lutter pour avoir un deuxième petit bol de confiote, sous prétexte qu’on avait égaré le premier. Bref.

Le pire dans tout ça, c’est que le matin au réveil, toute la carcasse de la bâtisse gémit sous le vent. P’tain ! Encore une journée dans le vent... Ça n’arrête pas cette année ! Contre mauvaise fortune, bon cœur — après tout, il fait beau —, je suis motivé pour aller voir ce Wildhorn, mais surtout pour aller voir derrière. Sauf que si le vent n’a pas fléchi avec le temps, en revanche les nuages se sont amoncelés avec joyeuseté dans l’intervalle, pour nous boucher le panorama avant de nous boucher la vue tout court. À tel point que les soixante gugusses qui se dandinaient sur leurs skis (nous y compris) se sont pointés sur un sommet, ou plutôt un tas de cailloux qui faisait office de sommet (avec cairn et tout et tout), qui n’était pas le bon. Certes dans le brouillard, rien ne ressemble plus à un sommet où on monte d’un côté et où ça redescend de l’autre, qu’un autre sommet (où on monte d’un côté et où ça redescend de l’autre). Bref.

La seule consolation c’est que les hélicos n’ont pas pu s’y poser non plus pour vomir leurs hordes de guignols. Dire que depuis la veille, tout à mes différentes sudations, je m’imaginais une kyrielle de moyens pour lutter contre ces éventuelles machines infernales qui auraient l’outrecuidance de venir la contrarier là, ma sudation. Un capitaine Haddock proférant une flopée d’injures et courant en agitant ses skis au-dessus de sa tête vers l’affreuse bestiole métallique dans l’espoir qu’elle s’enfuit, de peur.

Le vent, le brouillard, tout cela n’a pas incité au programme initial. Nous rebroussons donc chemin. Au passage nous tentons de monter sur un autre sommet — le Schnidehore — qui nous semblait joli et accessible. Mais vingt mètres avant de l’atteindre le vent devient si violent que je ne peux plus avancer sur ce bout de pente raide en neige dure. Ni reculer d’ailleurs. Le visage fouetté par cette furie déchainée, je laisse mes skis sur place, je profite de la violence de la chose pour proférer quelques jurons à voix haute, pensant qu’ils seraient dilués dans le flot tempétueux — il n’en fut rien — et vais voir à pieds de quel bois je me chauffe / le sommet. Le sommet est bien là. Le bois dont je me chauffe, non. Un beau sommet pointu, qui monte d’un côté et redescend de l’autre, avec quand même un gendarme en guise de furoncle sur le bas-flanc. La plupart des autres resteront en contre-bas scotchés par Éole. On redescend dans une neige pourrie.

La suite s’éparpille vers les fonds de vallée pour retrouver le car qui nous ramènera à la capitale. La Suisse m’a tuer. J’exécute mes derniers francs suisses dans le dîner du dimanche soir ; je ne tiens pas à revenir dans ce pays de voleurs à l’accueil si glacial de si tôt. Après tout, il y a aussi des montagnes ailleurs. Ou alors je dormirais dehors, la prochaine fois, avec mon réchaud pour me faire ma flotte.

Les photos

[1Partie italienne du bas Valais, au sud de la Dent d’Hérens.

[2Neige parcourue de traces de skieurs - je n’ai jamais réussi à trouver l’origine exacte de cet adjectif, ni même son orthographe exacte (traffolé, trafolé, trafollé ?). Ce n’est pas faute d’avoir posé la question à l’Académie Française, qui ne l’a trouvé dans aucun de ses dicos...


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