Les tribulations d’un (ex) astronome

Petit train magnétique

samedi 10 novembre 2018 par Guillaume Blanc

Cet article date de 2015, mais il comprenait un raisonnement qui s’est avéré faux. Le voici mis à jour, avec l’explication, a priori, juste.

À l’automne 2015, un collègue m’envoyait une petite vidéo sur youtube :

Comme je sortais de trois mois d’enseignements d’électromagnétisme, cela m’a interpelé. Je me suis demandé si je pouvais arriver à faire un truc pareil moi aussi.

J’ai donc commandé un rouleau de 50 m de fil de cuivre de 0,8 mm de diamètre sur Amazon, ainsi que des petits aimants de néodyme de 10 mm de diamètre et d’un millimètre d’épaisseur. Le tout est reçu pendant les vacances de Noël.

Je fabrique le tunnel en enroulant le fil sur un bout de bois cylindrique de 13 mm de diamètre. J’essaye avec une pile AAA de 1,5 V. Déconfiture : il ne se passe absolument rien. Mais une pile AAA a un diamètre de 10 mm, donc les aimants que je me suis procuré ayant le même diamètre, ils ne dépassent pas. Je subodore alors que le contact électrique entre les aimants et le fil de cuivre n’est pas bon.

Mais où trouver des aimants avec le diamètre adéquat ?

En furetant sur google, j’ai rapidement trouvé un site spécialisé dans la vente d’aimants, magnet-shop.com. Là j’achète une série de petits aimants de 12 mm de diamètre, de 4 mm d’épaisseur, des aimants au néodyme N40 nickelés.

Ces aimants sont très puissants, il faut faire attention en les manipulant de ne pas se faire pincer. Ils sont par ailleurs assez fragiles : à force de s’entrechoquer en s’attirant mutuellement, ils finissent par se briser...

Je reprends mon petit tunnel en fil de cuivre, et après avoir mis deux aimants l’un sur l’autre de chaque côté de la pile, et dans le bon sens de surcroît, Ô miracle de la physique, ça fonctionne ! Ma pile encapuchonnée de ses aimants est proprement avalée par le tunnel !

Avalée, certes, mais pas avec la puissance que l’on peut voir dans la vidéo. Dans la foulée, j’ai voulu faire un tunnel plus long afin de le rabouter pour en faire un cercle, mais ma locomotive est trop freinée, elle a du mal a foncer toute seule. Je me disais alors que mon tunnel était trop étroit, les frottements trop intenses. J’ai voulu essayer de fabriquer un tunnel de diamètre plus grand, en utilisant un tube de métal que j’avais sous le coude ou un manche de balais, mais je n’y suis pas arrivé. Le fil de cuivre que j’avais n’arrivait pas à rester en place, les spires ainsi formées se détendaient au fur et à mesure tout en refusant de rester jointives, comme si ce plus grand diamètre (plus grand rayon de courbure) faisait passer ce matériau dans le régime élastique (retour à un état proche de l’état initial après déformation selon une hystérésis), alors que le plus petit diamètre permettait d’arriver directement dans le régime plastique (pliage). Mais les expériences en la matière sont difficilement reproductibles ; un bout de fil déjà utilisé ne se comporte pas de la même façon qu’un bout de fil « neuf. »

J’ai trouvé un site en ligne qui vend des rouleaux de fil de cuivre de tout diamètre. Ce n’est pas donné, mais je vais, je crois, investir dans un rouleau de fil de diamètre plus important (1 mm typiquement), pour voir si je peux l’enrouler sur un tourillon de bois lisse de diamètre 20 mm...

Un essai avec du fil de cuivre de 1 mm de section sur un tourillon de bois de 14 mm de diamètre donne de biens meilleurs résultats que du fil de 0,8 mm de section : les spires du tunnel restent plus jointives, le fil est moins « élastique. »

Pour revenir à notre petit train magnétique, comment fonctionne-t-il exactement ?

Principe de fonctionnement
Le tunnel en fil de cuivre est représenté par une spirale noire, qui devient rouge quand il parcouru par un courant, c’est-à-dire au niveau de la pile. Le champ magnétique généré par ce courant est schématisé en rose. La pile est représentée en orange. Les aimants de part et d’autre en bleu. Leurs champs magnétiques dipolaires sont schématisés en vert, avec leurs vecteurs moments dipolaires magnétiques. Sous le schéma, l’intensité du champ magnétique généré par le courant électrique dans le solénoïde est schématisé en fonction de la position. Le gradient de ce champ intervient aux extrémités, quand il varie entre 0 et une valeur maximale.

Les aimants en néodyme sont conducteurs de l’électricité, ils permettent donc de faire circuler un courant électrique I dans la portion de fil de cuivre qui se trouve entre les deux pôles de la pile, en contacts avec les aimants. Ce courant circulant dans le tunnel en fil de cuivre — un solénoïde ! —, créé un champ magnétique dans la partie du solénoïde parcouru par le courant. ce champ est à peu près uniforme à l’intérieur du tunnel, dirigé dans le sens de circulation du courant, c’est-à-dire du pôle + vers le pôle - de la pile. Ce champ magnétique est approximativement donné par l’expression : B_{\text{solé}} = \mu_0 n I, où I est l’intensité du courant électrique, n est le nombre de spires par unité de longueur et \mu_0 = 4\pi\cdot 10^{-7}\ \text{m}\cdot \text{kg}\cdot {s}^{-2}\cdot \text{A}^{-2} est la perméabilité du vide ou constante magnétique.

Les aimants de part et d’autre de la pile, génèrent un champ magnétique dipolaire, avec un moment dipolaire magnétique M. Les deux moments dipolaires magnétiques des deux aimants de part et d’autre de la pile doivent être opposés pour que la pile se meuve. L’expression de ce moment est donné approximativement par : BS\ell/\mu_0, où S est la surface de l’aimant, et \ell sa longueur.

La force qui pousse la pile — le train ! — à se mouvoir dans le tunnel est dû au gradient — c’est-à-dire la variation par rapport à la distance — du champ magnétique du solénoïde. Dans un champ extérieur non uniforme (\overrightarrow{B_{\text{solé}}}) un dipôle magnétique subit une force :

||\overrightarrow{F}|| = ||\overrightarrow{\text{grad}}(\overrightarrow{M}\cdot \overrightarrow{B_{\text{solé}}})|| \sim M\cdot ||\overrightarrow{\text{grad}}(B_{\text{solé}})|| \sim M \cdot \dfrac{dB}{dx}

On peut prédire théoriquement l’ordre de grandeur de cette force.

Avec mon multimètre basique j’ai mesuré un courant d’intensité environ 2 A ; avec un teslamètre de compétition emprunté aux salles de TP de l’université, j’ai mesuré une composante longitudinale du champ magnétique de 0,4 T au centre de deux aimants accolés. Le nombre de spires entre les extrémités de la pile est d’environ 20. Cette longueur (incluant les aimants) vaut 6,4 cm, ce qui fait n = 3,2 spires par cm. Ainsi, le champ magnétique dans le solénoïde vaut environ : 7,85\cdot 10^{-4}\ \text{T}. On peut supposer que ce champ varie de 0 à sa valeur nominale sur une longueur correspondant à une spire, soit 3,2 mm. Donc le gradient de champ magnétique vaut environ : 0,25\ \text{T}\cdot \text{m}^{-1}.

Le diamètre des aimants vaut 12 mm et leur longueur 4 mm, soit 8 mm pour deux aimants accolés. Donc le moment dipolaire magnétique d’un double aimant vaut : 0,3\ \text{A}\cdot \text{m}^2.

Ce qui finalement donne une force d’intensité approximative : 75\ \text{mN}.

La pile pèse environ 12 g, son poids est donc de 120 mN, environ (et 25 g soit 250 mN avec deux aimants de chaque côté). On obtient donc une force longitudinale de l’ordre de grandeur du poids de la pile, donc largement susceptible de lui permettre de se déplacer.

D’ailleurs, on peut estimer expérimentalement l’ordre de grandeur de la force « magnétique. » En plaçant le tunnel de cuivre sur un plan incliné d’un angle \theta par rapport à l’horizontale, on peut regarder jusqu’à quelle inclinaison la pile « remonte » dans le tunnel. On note l’angle correspondant, \theta_{\text{max}}.

Sur la vidéo suivante, on constate que la pile (relativement neuve) remonte très bien le tunnel pour des angles inférieurs à 30°. Et pour 40°, elle commence à sérieusement patiner. La chose n’est pas d’une grande précision, mais donne un ordre de grandeur. Ainsi, avec \theta_{\text{max}} = 40^{\circ}, la composante du poids parallèle à la pente est P_{\parallel} = mg\sin \theta_{\text{max}}, soit ici, avec une masse m = 25\ \text{g} et l’accélération de la pesanteur, g = 10\ \text{m}\cdot \text{s}^{-2}, on obtient 0,16 N. L’ordre de grandeur est donc cohérent avec la valeur calculée plus haut...

Dans cette histoire, la pile étant (quasiment) en court-circuit, elle chauffe rapidement, et se décharge également très vite... Ce n’est probablement pas le moyen de déplacement le plus efficace et donc le plus économe en énergie !


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