Les tribulations d’un (ex) astronome

Science, climat et liberté d’expression

vendredi 23 octobre 2015 par Guillaume Blanc

À l’approche de la COP 21, les médias (France 5, Libération, Rue89, Pour la Science...) fourmillent d’articles sur le climato-scepticisme, ce courant négationniste du réchauffement climatique, ou de son côté anthropique. Le monsieur Météo de France 2, auteur d’un bouquin négationniste a été mis à pied par sa rédaction. On se demande s’il faut donner la parole à ces personnes ? Dès qu’un article fustige les climato-sceptiques, les forums frisent l’insurrection : mais diable, et la liberté d’expression alors ?

Oui mais, n’en déplaisent à ces amateurs de débats passionnés entre pour et contre, la science — et la climatologie est une science — ne se construit pas en débattant dans la sphère publique. Elle se construit éventuellement avec des débats entre experts — c’est-à-dire spécialistes du domaine en question — mais pas avec monsieur Untel qui croit tout savoir parce qu’il a vu un documentaire à la télé ou madame Unetelle qui pense que ça doit se passer comme ça parce que tel livre dit que. Non. La science n’est pas démocratique de ce point de vue. Elle est, tout simplement. En tant que somme de connaissances sur la Nature (au sens large), on ne peut simplement décider par référendum que non, finalement les pommes qui tombent à cause de la gravité, c’est pas cool [1], on va en changer. La gravité est. Donc les pommes tombent. Point barre.

Il en est de même pour les sciences du climat. Les climatologues ont montré depuis longtemps que la planète se réchauffe, et qu’elle se réchauffe à cause de notre pollution. Il n’y a pas à tergiverser, c’est comme ça. C’est la connaissance scientifique. Ce n’est pas en faisant un sondage sur la réalité du réchauffement climatique, que celui-ci existera ou pas. Il existe. Tout comme la gravité existe, que l’on y croit ou pas.

Donc vouloir à tout prix un débat public sur ces choses est vain. Le débat a lieu dans la sphère scientifique, pour discuter de choses pointues, de telle ou telle avancée, mais il ne peut avoir lieu dans les médias. Comme dans tous les domaines scientifiques, certaines choses sont acquises, comme la gravité newtonienne qui fait tomber les pommes, même la gravité relativiste qui permet aux GPS de fonctionner assez précisément, et puis il reste des choses qui sont actuellement discutées par les scientifiques experts, comme par exemple la théorie quantique de la gravitation. Il ne viendrait pas à l’esprit de tout un chacun de venir mettre son grain de sel dans le débat entre théoriciens sur la gravité quantique (cela nécessite un certain bagage pour accéder au niveau du débat en question). Il en est de même pour le climat : certaines choses sont acquises : l’effet de serre, le fait que le CO2 absorbe le rayonnement infrarouge, le fait que la planète se réchauffe, le fait que ce soit dû aux gaz à effet de serre que l’on injecte dans l’atmosphère depuis un siècle et demi. Après, évidemment, il y a des discussions sur des points plus précis (simulations, observations, etc), mais uniquement au sein de la communauté. La climatologie fait appel à des concepts de physique, de chimie, de géophysique, de météorologie, etc, c’est une science qui n’est pas forcément théoriquement compliquée comme la gravité quantique, en revanche elle est extrêmement complexe au regard des systèmes qu’elle étudie (interactions entre l’atmosphère, les océans, la cryosphère, les continents, la biosphères, qui sont chacun pris séparément déjà des systèmes extrêmement complexes). Ce qui implique que l’on ne puisse pas s’improviser climatologue du jour au lendemain, tout comme on ne s’improvise pas spécialiste de gravité quantique. Le citoyen lambda ne peut donc honnêtement pas prendre part au débat sur les sciences du climat.

Et je mets dans la case « citoyen lambda » tout ceux qui ne sont pas experts du domaine, ce qui englobe également les scientifiques dont la climatologie n’est pas le champ d’expertise : ce n’est pas parce que je suis astrophysicien que je suis à la pointe des connaissances de la climatologie, même si je me permets de faire un cours de Licence sur les aspects physiques du sujet. Donc aussi reconnus et prestigieux soient-ils — Prix Nobels, Ministres et compagnie —, ils n’ont souvent pas leur place dans l’arène du débat climatique scientifique. Sauf s’ils ont fait l’effort de s’approprier le domaine, de publier des articles scientifiques (avec revue par les pairs, etc), auquel cas, ils sont devenus des spécialistes [2]. Mais un (ou plusieurs) livre grand public ou un site web ne peut être un raccourcis crédible.

Donc cette tentative de muselage médiatique des négationnistes est plutôt saine, et ne remet pas en cause la liberté d’expression. Parce que les négationnistes en question ne sont pas des experts en climatologie. Les plateaux télé qui se régalent de débats entre experts et détracteurs sont ainsi malhonnêtes, car c’est mettre face à face, bien souvent, la réalité scientifique avec la verve [3] du contradicteur de l’autre côté. Le débat est donc biaisé et se réduit à un vulgaire « show » sans être présenté comme tel.

Pour quoi le réchauffement climatique fait-il tant parler de lui (tant de paroles, virtuelles ou pas, pour si peu d’actes...) ? Contrairement à la gravité quantique qui n’a (encore) que peu d’influence sur notre vie quotidienne, la science du réchauffement climatique en a quelque peu ! De fait, tout un chacun pense pouvoir (devoir ?) y ajouter son grain de sel. Oui, mais non. Malheureusement peut-être... Mais l’élévation de température à la surface de la Terre depuis le XIXe siècle ne souffre d’aucun débat : c’est une observation, c’est comme ça. Nier cela c’est comme nier la rotondité de la Terre !

En revanche ce qui peut être l’objet de débats, ce sont les mesures que la société humaine peut prendre pour tenter de limiter les dégâts du réchauffement : économies d’énergie, taxe carbone, etc. Et les négateurs n’ont de cesse de retarder ce débat, pour des raisons idéologiques (scepticisme poussé jusqu’à l’absurde ou mouvement libertarien [4]) ou plus souvent et plus puissamment pour des raisons économiques (agir contre la réalité du réchauffement climatique nécessite d’agir contre les énergies fossiles et la formidable économie qui se trouve derrière) comme le montre le documentaire de Laure Noualhat « Climatosceptiques, la guerre du climat » en instillant le doute dans les esprits sur une réalité scientifique.

[1C’est vrai, après tout, une fois par terre, il faut se baisser pour les ramasser... Et puis là, elles pourrissent aussi plus vite... Donc si on pouvait dire à M. Newton d’arrêter ses bêtises, hein !

[2Comme par exemple, Richard Muller, physicien au LBL et professeur à l’université de Berkeley.

[3Souvent ces gens sont d’une éloquence et d’un charisme plus forts que les experts, comme Claude Allègre sur le climat ou les Bogdanov pour tout ce qui touche à l’astrophysique.

[4J’avais d’abord, naïvement mis « libertaire, » mais comme on me l’a fait remarquer en commentaire, j’avais confondu avec le libertarianisme !


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