Gueule de bois
Je n’ai jamais eu la gueule de bois. Je ne sais donc pas vraiment ce que ça fait de l’avoir. J’ai lu des choses, des romans, où sont vaguement décrits les symptômes. Ça fait trois jours que je me sens dans cet état second. Mais je ne sais pas si c’est vraiment la gueule de bois. En tout cas, le plaisir de la beuverie ne fut pas au rendez-vous.
Ce matin, je réalisais que demain je retourne enseigner à l’université, je vais de nouveau être face à mes étudiants, et qu’aucun de nous ne sera le même qu’ « avant ». Que vais-je faire ? En parler avec eux ? Je ne fais pas de cours de philo ni de psychologie. Je ne suis pas sûr de pouvoir faire ça. Mais bon, entre adultes qui partageons quelque chose, en l’occurrence un cours de physique, on peut bien déborder un peu en cas de force majeure et discuter de certains trucs, non ? On verra le moment venu...
Mais comment en parler ? Comment qualifier l’inqualifiable ? Peut-on même essayer de comprendre les motivations de ces terroristes ? Pour cela il faudrait penser autrement. Complètement autrement. Comme dans l’énigme que Bernard Weber proposait dans son livre « Les fourmis » : comment faire quatre triangles équilatéraux avec six allumettes, avec comme indication pour la résoudre qu’il fallait « penser autrement. » Évidemment, je n’avais pas trouvé, à l’époque, avant de lire la réponse quelques pages plus loin, penser autrement, diantre, mais comment on pense autrement ? Comment peut-on s’imaginer une seule seconde que des jeunes gens préfèrent répandre la mort autour d’eux, quand on n’aspire qu’à la vie et surtout à profiter des plaisirs qu’elle nous offre ? Cette vie si précieuse. Comment imaginer ça ? Quant à le faire au nom d’un supposé « dieu » cela m’échappe encore plus.
Savoir si nous sommes en guerre, comme l’ont répété certains politiques et commentateurs, je n’en sais rien, j’ai la chance de ne jamais avoir connu la guerre. Mais de ce que j’ai pu lire ou voir comme films sur le sujet, je n’ai pas l’impression que nous soyons vraiment en guerre. En tout cas, pas encore. Je me sens, là aujourd’hui, avec ma gueule de bois, un peu sonné, mais pas en guerre. C’est-à-dire libre de circuler librement, de manger comme je veux, et je n’ai pas peur de mourir à chaque instant. En revanche, les Syriens sont, eux, vraiment en guerre. Pourquoi ne les accueille-t-on pas décemment à venir se réfugier chez nous, au nom de notre liberté, de notre fraternité, de notre égalité ?
Et alors qu’on prie ou qu’on nous propose de prier pour la France, pour Paris, pour les victimes, et là je rejoins Yves Paccalet. Je ne suis pas sûr que des prières ou autres incantations puissent faire quoi de ce soit. Plutôt des décisions intelligentes et rationnelles basées sur des analyses factuelles. Et d’abord, pourquoi ce besoin d’un être suprême pour soi-disant nous « guider » et nous aider à aimer notre prochain ? « Mon cul, oui » comme aurait dit Zazie. Il suffit de les regarder ces dogmatiques, qu’ils soient juifs, chrétiens, musulmans, bouddhistes, et j’en passe, dans leur pseudo-humanisme avec leurs pseudo-valeurs morales. Après, chacun est libre, et c’est ça qui est beau, en France, tout au moins, de croire en quoi, en qui, il ou elle veut. Du moment que ça ne déborde pas.
Autant je me sentais « Charlie » après les attentats du 7 janvier, autant je ne me sens pas plus « français » après ceux de Paris. Je n’ai pas mis mon avatar facebook en bleu blanc rouge, parce que je crois que ce qui a été attaqué là n’est pas seulement Paris ou la France — une ville, un pays —, mais un mode de vie où l’on profite de la vie, justement. Où on aime, on se cultive, on discute, on profite, en toute liberté. Et surtout loin des carcans de tout dogme religieux qui ne sait mettre que des entraves à la liberté. La simple vie en société est déjà source de bien des restrictions de liberté (ben oui, c’est un peu galvaudé, mais je crois pertinemment que ma liberté s’arrête là où commence celle des autres, dans le respect de mon environnement, en particulier humain, en somme), pour ne pas s’en infliger d’autres qui n’ont aucune utilité, si ce n’est contraindre pour le plaisir (?) de contraindre.
Et puis c’est vrai, la veille, un double attentat sanglant à Beyrouth, complètement occulté dans les médias (pour une fois qu’ils ont de quoi parler, disséquer, disserter, etc), alors pourquoi la France plutôt que le monde ? Ce monde loin du fanatisme, qui vit sa liberté, son humanisme, son plaisir. Il n’y a pas que la France. Même si celle-ci, malgré l’état dépressif chronique de ses habitants, incarne la joie de vivre, la tolérance (égalité, fraternité), la liberté (de penser, de jouir, d’écrire, de dessiner...). Je crois profondément que la culture, le savoir, la connaissance sont les uniques remparts pour limiter l’apparition de décérébrés, de « crevures. » Ce n’est pas suffisant, mais c’est nécessaire. L’école, l’université, les livres, la culture, et tous ceux qui font tout ça. (S’)Élever vers le haut.
Enfin, malheureusement, je crains que la COP21 ne passe à l’arrière-plan [1], que le problème climatique soit encore relégué aux oubliettes (encore un complot [2] des climato-sceptiques ?), après la crise économique qui a secoué le monde, c’est une crise politique qui s’immisce sur la planète. Le réchauffement, lui, continue son œuvre, crise ou pas crise, mais c’est du long terme, croit-on, tandis que le terrorisme, l’État Islamique, c’est tout de suite maintenant. Oui, mais non. Les morts du réchauffement sont encore loin géographiquement, et ils ne sont pas criblés de balles. Pas encore. Il faudrait se payer le luxe d’affronter simultanément les deux tableaux. Ni l’un, ni l’autre n’attendront patiemment à ce que nous soyons disposés à prendre le taureau par les cornes. Après, il sera trop tard.
[1] Même si je n’ai pas de grandes attentes vis-à-vis des négociations, en revanche, j’avais quelque espoir dans les mobilisations citoyennes, mais là, c’est râpé...
[2] Après le « climategate » de 2009 savamment orchestré juste avant la COP de Copenhague, voici que des terroristes ensanglantent Paris juste avant la COP parisienne...
Guillaume Blanc
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