Les tribulations d’un (ex) astronome

Quand les journalistes propagent la peur des ondes...

mardi 20 décembre 2016 par Guillaume Blanc

Je suis tombé sur la recension d’un nième livre sur les ondes électromagnétiques sur le site de Reporterre. Un article dithyrambique, au titre éloquent : « Un précis scientifique magistral et accessible sur les ondes électromagnétiques » Alors, si c’est « scientifique » c’est forcément de la bonne came. Et l’article de commencer ainsi : « Oui, les champs électromagnétiques ont un effet sur l’organisme. Au-delà de certains niveaux d’exposition, on constate des effets biologiques immédiats et flagrants. Oui, de nombreuses études établissent des liens entre les ondes électromagnétiques et certaines pathologies, parfois graves. » Ce qui est quelque peu exagéré, comme on va le voir...

C’est ainsi que, par curiosité disons « sociologique », j’ai envoyé un message (sans conviction) à Reporterre leur demandant les références de ces « nombreuses études, » le tout auréolé du sérieux béotien et naïf qui vient vraiment aux nouvelles, en précisant que je suis enseignant et que je n’ai rien trouvé sur le sujet. Et contre toute attente, j’ai reçu quelques jours plus tard une réponse de la part de l’auteur de la recension. Qui m’envoie ainsi un long message avec plein de références, effectivement. On y trouve beaucoup de choses qui n’ont pas de valeur scientifique, comme la vidéo d’une conférence de Luc Montagnier (qui verse aussi accessoirement dans l’ésotérisme de la mémoire de l’eau ces derniers temps, mais là n’est pas mon propos), des rapports parlementaires (comme celui de la député Abeille, avec une proposition de loi basée sur le principe de précaution qui a fait l’objet d’un communiqué de l’Académie de Médecine), les sites des associations Robin des Toits, Criirem, etc. Et puis il y a, entre autre, le rapport Bioinitiatives 2012 et celui d’une étude américaine émanant du National Toxicology Program, dont les résultats partiaux ont été publiés sur un serveur de préprints.

Le premier, Bioinitiatives 2012, prétend faire la synthèse de plus de 1800 études sur les effets néfastes des ondes électromagnétiques sur la santé. Sa méthodologie a néanmoins été fortement critiqué dans la communauté scientifique : « le rapport Bioinitiative, un exemple de mauvaise science », et pour la version 2007 : « Le rapport BioInitiative, ou l’apparence de sérieux scientifique » ; un rapport de l’AFSSET 2009 [1] précise que « Les différents chapitres du rapport [Bioinitiative 2007] sont de rédaction et de qualité inégales. Certains articles ne présentent pas les données scientifiques disponibles de manière équilibrée, n’analysent pas la qualité des articles cités ou reflètent les opinions ou convictions personnelles de leurs auteurs. »

Quant à l’étude américaine, publiée en ligne en mai 2016, il s’agit de l’étude de l’impact des radiofréquences utilisées en téléphonie mobile sur les cancers des rats et des souris. Elle conclut que « sous les conditions de cette étude de 2 années, les lésions hyperplastiques et les tumeurs des cellules glial du cerveau et du cœur observés pour les rats mâles sont considérées comme vraisemblablement dues à l’exposition du corps entier aux radiofréquences typiques de la téléphonie mobile. Aucun effet observé sur les rat femelles. » Et rien n’est dit sur les souris. Il s’agit d’un résultat partiel. Néanmoins, il semble que la revue par les pairs de ce travail pointe un certain nombre de problèmes méthodologiques et d’interprétation des résultats, ce qui questionne la pertinence des résultats annoncés... À suivre... ?

Le journaliste me donne encore d’autres références, anciennes, comme un rapport de la NASA de 1981 sur les interactions des champs électromagnétiques avec le corps humain. Difficile d’y trouver des informations pertinentes, même si on y parle de morts dues aux ondes électromagnétiques, il s’agit de champs dont la puissance est sans commune mesure avec ceux qui nous intéressent ici, à savoir ceux de la téléphonie mobile pour l’essentiel. De surcroît la science a pas mal évolué en trente ans, tout comme l’exposition aux ondes. Un autre article cité est une étude de Banik et al de 2003 (« Bioeffets des micro-ondes - une brève revue »). On y parle d’exposition aux ondes électromagnétiques, essentiellement pour les micro-organismes, avec un paragraphe concernant les humains et les animaux, en particulier des effets génétiques, mais on ne sait pas à quelle puissance est l’exposition...

Évidemment, la liste de référence du journaliste est volontairement biaisée, il voulait me faire plaisir et me montrer qu’il y a effectivement plein d’études qui montrent que les ondes électromagnétiques c’est super dangereux pour la santé : il n’allait pas me donner toutes celles qui montrent qu’il n’y a pas de danger. Je constate néanmoins qu’il semble confondre « véritable étude scientifique (avec revue par les pairs) » à savoir une brique de plus dans la construction du savoir scientifique, avec « étude tout court » ou même film, reportage, conférence grand public, article de loi, etc, qui parle de science ou de technologie. La façon dont se construit la science n’est visiblement pas bien comprise même chez les journalistes qui parlent de sciences et des technologies qui en découlent. Leur objectivité est biaisée, peut-être par l’idéologie écolo... Ou alors, l’explication est peut-être bassement matérielle : la peur ça fait vendre !

Donc finalement, je suis resté sur ma faim, la (pourtant longue) liste de références envoyée sensée me montrer que oui les ondes électromagnétiques émises par les technologies courantes sont dangereuses pour la santé, n’a rien démontré du tout. Entre rapports biaisés, vidéos sur Youtube, sites d’associations dogmatiques ou proposition de loi, rien de convainquant dans ces « nombreuses études » !

De fait, mon interlocuteur ne mentionne pas — à dessein ? — une vaste étude sur l’impact des téléphones portables sur la santé humaine, qui est l’étude Interphone de 2010 qui a été publié dans des revues à comité de lecture, qui ne conclut rien de significatif, si ce n’est qu’il faut poursuivre les recherches : voir le communiqué de l’Organisation Mondiale de la Santé à ce sujet ou bien cet article dans Science et Pseudo-Sciences ; au passage, que dire de la crédibilité d’un organisme comme Robin des Toits qui ne retient de cette étude seulement ce qui va dans le sens idéologique de son cheval de bataille (« cette étude montre des risques de cancer du cerveau accrus de 40 % chez les utilisateurs d’un téléphone mobile pendant une durée de 10 ans à raison d’une demi-heure d’utilisation par jour. »), en oubliant les réserves sur les erreurs et les biais que les auteurs de l’étude émettent eux-mêmes : « Dans l’ensemble, aucune augmentation du risque de gliome ou de méningiome n’a été observée avec l’utilisation de téléphones mobiles. On a suggéré un risque accru de gliome aux niveaux d’exposition les plus élevés, mais les biais et les erreurs empêchent une interprétation causale. Les effets possibles d’une utilisation intensive à long terme des téléphones mobiles nécessitent des recherches plus approfondies. » C’est de la manipulation pure et simple, donc de la malhonnêteté intellectuelle.

Si les ondes électromagnétiques émises par nos diverses et nombreuses technologies quotidiennes doivent avoir un impact sur la santé humaine, c’est le téléphone portable qui doit être l’objet d’études en priorité, puisque le corps (la tête en l’occurrence) est à proximité immédiate de l’émetteur tandis que les autres types d’émetteurs d’ondes (lignes électriques hautes tensions, wifi, antenne relais...) sont loin, et l’intensité du champ décroit avec la distance, tandis que sa puissance décroit avec le carré de la distance. Il y a peu de chance que le quidam soit affecté par ces derniers. Pour le moment, donc, aucune étude sérieuse ne montre un quelconque objet de préoccupation sanitaire.

Je me suis permis également d’envoyer au journaliste un article qui montre que les médias ont une certaine part de responsabilité dans la propagation : « Les avertissements des médias sur les effets néfastes sur la santé de la vie moderne se réalisent-ils ? Une étude expérimentale sur l’intolérance environnementale idiopathique attribuée aux champs électromagnétiques. » par Witthöft et Rubin, 2013. Et dont la conclusion est : « Les rapports des médias sur les effets nocifs des substances soi-disant dangereuses peuvent augmenter la probabilité de ressentir des symptômes feignants l’exposition à ces substances et de développer ensuite une sensibilité apparente. Un engagement plus important entre journalistes et scientifiques est requis afin de contrecarrer ces effets négatifs. »

Ce à quoi j’ai eu droit à la réponse laconique « Merci de votre retour Monsieur Blanc. Envoyez-moi votre cours à l’occasion. » (car j’ai mentionné le fait que je fais un cours « Physique et société » où je parle des de la problématique des ondes électromagnétiques dans la société.). C’est tout. Je pensais qu’avec mon retour, il aurait a minima changé son article, pour commencer par des assertions un peu moins incisives et un peu moins fausses [2]. Mais non. Je rêvais. Du coup, j’en ai remis une dernière couche, évoquant ma déception sur ce point, lui envoyant également le chapitre de mon cours sur les ondes, et puis l’article in extenso mentionné ci-dessus de Witthöft et Rubin (2013)... Et en lui disant que s’il interviewait l’avocat de l’association Robin des Toits, il devrait aussi (et surtout) interviewer des personnes comme Anne Perrin, auteur et coordinatrice de l’excellent ouvrage sur le sujet : « Champs électromagnétiques, environnement et santé. »

À propos de l’ouvrage dont il est question dans l’article. Son auteur, Carl de Miranda, bien que polytechnicien et diplômé de Sup’Élec’ (si on en croit son CV sur son site), n’est pas du tout scientifique, et verse plutôt dans le spiritisme. Il est consultant en habitation et utilise le Feng Shui (« un art millénaire d’origine chinoise qui a pour but d’harmoniser l’énergie environnementale d’un lieu de manière à favoriser la santé, le bien-être et la prospérité de ses occupants », source wikipédia), la détection des ondes électromagnétiques et la technique de la « psychologie de l’habitat » pour « améliorer une habitation existante »... Forcément qu’un petit bouquin sur les ondes électromagnétiques ne peut qu’alimenter son fonds de commerce. Quelque part, ça m’irrite fortement qu’une recension dithyrambique de ce livre soit sur un site comme Reporterre. Bref, l’honnêteté intellectuelle devrait me faire lire ce bouquin avant d’en parler, mais je ne sais que trop ce que je vais y trouver, et acheter ce bouquin à ce charlatan, je rechigne un peu. Je vais quand même faire l’effort, tout comme je l’ai fait pour un bouquin des Bogdanov, et pour celui de Gervais sur le climat. Je vais revenir vous en parler dès que je l’aurai trouvé...

[1L’AFSSET était l’Agence Française de Sécurité Sanitaire de l’Environnement et du Travail, elle a fusionné en 2010 avec l’Agence Française de Sécurité des Aliments pour devenir l’ANSES, Agence Nationale chargée de la SÉcurité Sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail

[2J’avais même commencé d’imaginer qu’il me propose d’aller faire mon cours à la rédaction de Reporterre — j’angoissais déjà à l’idée de raconter tout ce que je raconte dans ce cours à un parterre de journalistes écolos convaincus... Heureusement, rien de tel n’est sorti !


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