Les tribulations d’un (ex) astronome

Cours d’amphi

lundi 5 février 2018 par Guillaume Blanc

Pour fêter ma treizième année d’enseignement, je me suis offert un cours d’amphi. Enfin, un demi-cours d’amphi. Depuis que je suis enseignant-chercheur — maître de conférences — l’idée même de faire un cours en amphi m’effrayait. Me retrouver seul, seul maître à bord, au foyer de tous les regards d’étudiants étalés dans une pénombre plus ou moins voulue — souvent un lampadaire sur deux, au mieux, fonctionne correctement — au-delà de l’estrade, devoir animer une heure trente, deux heures de cours, sorte de one-man show me tétanisait d’avance. De fait, je n’ai jamais postulé pour un cours d’amphi. Travaux dirigés, travaux pratiques, oui. Les groupes sont plus restreints, l’attention générale est souvent diluée ailleurs que sur le prof. Ma timidité s’en sortait bien, ainsi. Mais j’ai toujours aimé les défis, sortir de ma zone de confort, aller jeter un œil par-delà la rambarde qui s’ouvre sur le précipice (mais j’aime aussi prendre mon temps, hein ! J’ai de nombreux collègues qui se sont lancés dans le cours d’amphi très rapidement, parce qu’il s’agit là de l’archétype de l’enseignant-chercheur ?). Dompter la peur du vide. J’ai ainsi fait un premier pas vers le parapet il y a quatre ans, quand je me suis lancé dans un cours optionnel à moi tout seul. Cours qu’il a d’abord fallu présenter aux étudiants. En amphi. J’ai dû prendre mon courage à deux mains. Et puis ensuite mener la barque treize séances durant. Des heures et des heures de préparation. Que dis-je des heures, des jours et des jours. Des semaines et des semaines. Mais j’avais franchi un cap. La préparation, la clef. Surtout ne pas improviser. L’idée de franchir une marche supplémentaire — un cours interactif en salle devant une vingtaine d’étudiants est une chose, un cours en amphi, devant une centaine d’étudiants [1], en est une autre — ne m’avait pas vraiment effleuré l’esprit, les profs qui veulent enseigner en amphis courent les rues, alors je me suis jamais pressé au portillon.

Et puis, et puis, l’opportunité finalement. En conjonction avec un moment dans ma carrière où je devais probablement me sentir prêt pour grimper une marche de plus, aller voir derrière ce fameux rideau ce qu’il y avait. La curiosité, en somme. Pourtant, parler en public me terrorise toujours autant. Ces derniers temps, la moindre présentation orale me stresse, m’assèche (la bouche, qui devient désagréablement pâteuse), et j’en passe. Mais bon, j’essaye quand même de me lancer de temps en temps, pour éviter de me reposer sur mes lauriers. Alors que penser d’un cours en amphi ? Il va falloir prévoir des litres d’eau pour réhydrater la bouche périodiquement ! Challenge à la hauteur, sommet à atteindre ? Peut-être, mais néanmoins prêt pour tenter l’aventure. Et l’opportunité donc. Un collègue qui part à la retraite, un demi-cours disponible, un enseigement que je connais bien par ses travaux dirigés et ses travaux pratiques depuis quelques années. J’ai décidé de relever le défi.

J’ai eu un peu de mal à me mettre à écrire mon cours. C’était l’été, ça sentait les vacances, je ne savais pas par quel bout commencer. Je ne savais pas comment m’y prendre. De nombreuses questions existentielles s’entrechoquaient dans ma tête. Cours à la craie ou bien cours sur vidéoprojecteur ? Micro ou pas micro ? Comment maintenir l’attention des étudiants ? M’appuyer sur un bouquin ou bien réinventer la roue ? J’ai donc lu un bouquin de pédagogie universitaire [2], qui bien que non spécifique à la physique donnait pas mal de (bons) conseils. De surcroît validés par la recherche en pédagogie, didactique, psychologie, etc.

Cours à la craie ou bien cours sur écran avec un vidéoprojecteur ? Mon bouquin préconisait un cours par vidéoprojection. J’ai pesé le pour et le contre, le fait de devoir écrire des kilomètres à la craie, contre la possibilité de pouvoir montrer des schémas plus chiadés, des images, des photos, des vidéos illustratives. Le deuxième support, m’a semblé plus didactique, il l’emporta. L’idée aussi d’avoir un support me rassurait sans me l’avouer, en fait.

Micro ou pas micro ? Ma lecture donnait des éléments de réponse. Micro, oui, j’en aurais probablement besoin. Ma voix porte peu, je le sais. Et je ne voudrais pas m’égosiller pendant une heure et demi à chaque fois. Ce sera donc micro. Il s’est avéré que même les étudiants ont trouvé cela plus confortable. Dans un des deux amphis où je dispensais mon cours, j’avais même droit à un micro mains libres, je pouvais me la jouer « one-man-show » ; dans l’autre, il fallait que le tienne à la main, et donc que je jongle avec la télécommande-pointeur de l’ordinateur et éventuellement autre chose. Trois mains n’auraient pas forcément été de trop.

Comment maintenir l’attention des étudiants ? Sachant que les études (savantes) montrent que l’attention baisse dangereusement au bout d’environ vingt minutes. Il faut donc régulièrement changer de rythme pour « réveiller » l’auditoire (ou simplement le maintenir éveillé !). Pour cela j’ai adopté plusieurs techniques. D’abord il y a les questions sur le cours qui se déroule. Une question de cours, une application numérique, bref, quelque chose pour d’une part rompre la monotonie et d’autre savoir si je pars dans les limbes ou bien si les étudiants me suivent. Au départ je pensais utiliser une technique toute bête qui consiste à poser une question avec quelques choix possibles, et d’associer chacun des choix à un carton coloré, et de demander aux étudiants de brandir devant eux le carton de couleur correspondant à leur choix. Cela permet d’avoir grosso-modo d’avoir la couleur de l’amphi. Et puis ma collègue m’a parlé de « VoTAR » une technique similaire, mais moins archaïque, qui utilise une application sur smartphone pour photographier les cartons de couleur et compter ainsi le nombre de chacune des réponses données. Quatre réponses possibles, un carré divisé en quatre couleurs, que l’étudiant tourne devant lui selon sa réponse. L’avantage, outre le côté quantitatif, c’est que l’on peut afficher le résultat (et la photo de l’amphi) à l’écran, moyennant une connexion wifi sur le téléphone et l’ordinateur ! Je n’ai jamais réussi à connecter mon téléphone au wifi universitaire Eduroam. J’ai bien tenté de contacter le service technique soi-disant adéquat de l’université, sans aucune réponse de leur part. Lettre morte. Alors j’ai généré le wifi avec mon téléphone. J’ai donc ponctué mon cours de questions VoTAR, auxquelles une fraction (moitié ? tiers ?) des étudiants répondaient, jouant le jeu. J’avais un problème sur les ailes de l’amphi, l’objectif de mon téléphone ne me permettait pas d’avoir les deux simultanément. J’alternais.

D’autres astuces pour briser le rythme, des pauses, une ou deux par séance, sous forme soit artistique, soit musicale, soit culturelle, le tout en lien (plus ou moins) avec le cours. Ces « pauses » nécessitaient d’avoir une sonorisation de l’amphi. J’ai donc testé le son via la prise jack de mon ordinateur, pour me rendre rapidement compte que ce n’était pas ça. Heureusement, le vidéoprojecteur de l’amphi permet de s’y connecter en HDMI. Ce qui fonctionna. J’avais même apporté mon enceinte bluetooth les premières séances, au cas où. J’ai demandé aux étudiants s’il connaissait des chansons, des musiques, des œuvres d’art, etc, en relation avec la thématique. Quelques uns m’ont répondu. On a fait profité les autres. J’ai fait des petites manips aussi. À deux reprises. Je pourrais probablement en faire quelques autres avec un peu de matériel. Et de quoi filmer pour projeter sur l’écran… À suivre…

Outre le temps que j’ai passé à écrire mes transparents sous latex avec beamer — une fois que je m’étais décidé à faire des transparents, j’ai hésité entre powerpoint et latex ; dès la première formule mathématique, l’hésitation fut levée —, j’ai également passé un temps non négligeable à chercher des choses pour mes « pauses » !

M’appuyer sur un bouquin ou bien réinventer la roue ? N’étant clairement pas capable de réinventer la roue surtout quand nombre d’illustres collègues l’ont déjà fait, la question était plutôt de savoir sur quels supports allais-je m’appuyer. L’un d’entre eux était évident, il s’agissait du cours sous formes de diapos de mon prédécesseur. Quoiqu’il en soit, il fallait en respecter l’ordre et la trame, car le reste de l’enseignement, travaux dirigés et travaux pratiques, s’y basait. Il s’agissait d’un cours de magnétostatique et d’induction magnétique en L2. Pour la première partie, je me suis basé essentiellement — outre sur le cours précédent — sur le livre de Benson, volume 2, « Électricité et magnétisme, » 5e édition. J’ai même cassé ma tirelire pour me l’offrir. J’ai même proposé aux étudiants d’en lire certaines parties à la bibliothèque. Pour la partie sur l’induction, je me suis basé essentiellement sur le cours de mon prédécesseur.

Si j’étais assez paniqué par l’idée de voir ma première séance approcher, comme stipulée dans le livre de pédagogie universitaire, je l’ai super bien préparée. Tracée au cordeau. Elle s’est très bien passée. Au son près : je n’avais pas encore percuté que je pouvais utiliser la connexion HDMI ! Par la suite, tout s’est bien passé. De mon point de vue. Je trouvais l’exercice même assez grisant. Chef d’orchestre pendant une heure et demi. Je sortais de mon cours légèrement euphorique. Serait-ce une drogue que d’enseigner ?

Lors de la dernière séance, j’ai quand même eu la surprise d’avoir 45 étudiants dans l’amphi. Je n’en attendais pas tant. Je leur ai fait passer un petit questionnaire pour avoir du retour sur mon cours. Verdict unanime et sans appel : le cours sur transparents, c’est trop soporifique, pas assez dynamique ! D’autant que je leur distribuais la version papier avant. Certains ont même proposé des idées pour améliorer ce point : donner des diapos à trous, un « poly » moins complet, à compléter donc, histoire de se maintenir éveillé. Ou bien faire des morceaux au tableau.

À suivre…

[1En l’occurrence, ils étaient environ 120 étudiants inscrits à ce cours, mais je n’en ai probablement pas vu plus d’environ 70 avec des fluctuations importantes.

[2Enseigner à l’université, conseils pratiques, astuces, méthodes pédagogiques, de Markus Brauer, Éditions Armand Colin


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