Les tribulations d’un (ex) astronome

Push ! La vie au bout des mains

samedi 16 juin 2018 par Guillaume Blanc

En furetant sur Facebook, je suis tombé sur la recension d’un nouveau bouquin de grimpe sur le site de Denis Crabière. Ça m’a donné envie de le lire. Il se trouve que peu de temps après, en furetant dans ma librairie, il était là. Achat compulsif. Un pavé, l’engin. Il s’agit de « Push ! » de Tommy Caldwell. Cinq cents pages.

Ça faisait un moment que je n’avais pas lu de bouquin de montagne, il y en a de plus en plus, on ne sait plus quoi lire pour aller à l’essentiel. Je ne suis d’ailleurs pas sûr que l’abondance renouvelle vraiment le genre. Au contraire, peut-être. Il y en a quelques uns que j’ai particulièrement bien aimé, j’en ai parlé ici. Pas tout le temps, mais souvent. Ceci étant, récemment, il y a quand même eu « Ailefroide altitude 3954 » de Rochette, une magnifique bande dessinée autobiographique…

Un bouquin de montagne, ça se lit pas mal, mais ce n’est jamais — rarement, en tout cas — de la grande littérature. C’est en général juste bien pour qui connaît le milieu, la technique. Ce qui tient en haleine, c’est l’ascension, la façon dont elle est vécue et racontée. Je crois que les derniers bouquins de montagne que j’ai lu ce sont ceux de Ueli Steck… « Speed », « 8000+ » et « Une autre vie » ; « Une autre vie » qui se termine par : « L’important c’est que je sois conscient du danger à chaque instant et que je puisse le maîtriser. Alors je continuerai de chercher en montagne des défis excitants, sans me tuer. » Le dernier livre de la « machine suisse » est paru le 24 mai 2017. Le 30 avril 2017, Ueli Steck se tuait sur les pentes du Nupse au Népal. Visiblement, il y a eu un grippage dans l’engrenage. Sans être de la littérature de haut vol ces bouquins sont fascinant pour appréhender un peu de l’intérieur à quoi ressemble un montagnard hors du commun, capable de prouesses incroyables.

Les bouquins de montagne que j’ai lus étaient souvent des récits, des biographies ou autobiographies, voire des romans d’alpinisme, d’alpinistes. J’ai rarement lu des histoires de grimpeurs purs. À part un bouquin d’Alain Robert, surtout par curiosité de voir qui se cachait derrière le bonhomme.

J’ai donc commencé la lecture de « Push ! La vie au bout des doigts » du grimpeur américain Tommy Caldwell. Que je ne connaissais pas. Si ce n’est que tandis que je lisais son bouquin, ou bien un peu avant que je commence, le record de vitesse du Nose était battu à trois reprises par la même cordée Honnold/Caldwell à une semaine d’intervalle, le dernier passant sous la barre des deux heures, ce qui a eu un petit écho dans les médias spécialisés. Le nom de Honnold m’était familier, j’ai son bouquin sur mes étagères depuis un moment, dans la pile « à lire ». Bref, je ne suis pas vraiment au fait des exploits et des athlètes de la grimpe, en particulier américaine.

El Capitan
Le Yosemite en janvier 2001, et le mur de El Capitan. On distingue le Half Dome au fond.

Ce qui est incroyable, c’est qu’une fois qu’on est entré dans le bouquin de Caldwell, il devient difficile de le lâcher. Pourtant c’est rien de plus que son autobiographie, depuis ses premiers pas jusqu’à son ascension réussie en libre de la voie de big wall la plus dure du monde, le Dawn Wall sur El Capitan. De la grimpe sportive, même pas de sommet, seulement une falaise, certes, pas n’importe laquelle. Mais pas de quoi en faire tout un plat. Cinq cents pages en l’occurrence. Et pourtant…

Et pourtant, ce gars qui a à peine mon âge a vécu des trucs incroyables dans sa vie. C’est un grimpeur, pas un alpiniste. Un grimpeur. Pur. Et bon. Professionnel. À vingt deux ans, alors qu’il accompagne sa copine Beth Rodden, une des meilleurs grimpeuses du monde elle aussi au Kirghistan pour le tournage d’un film de grimpe pour un sponsor, ils sont pris en otage pendant 6 jours, avant qu’ils ne parviennent à s’échapper quand Caldweel réussit à balancer un de leur ravisseurs dans le vide. Un an plus tard, il perd son index gauche dans une scie circulaire. Malgré cela, il devient un grimpeur extrêmement fort réussissant des voies qui lui avaient résistées avec ses dix doigts. Il « libère » quelques voies sur « El Cap » la falaise mythique du Yosemite, big wall de son état. El Capitan.

« Le rythme singulier des promenades en montagne a le pouvoir de polir les rugosités de l’ego » (p. 120)

Son livre se lit très bien, comme un bon roman d’aventure. Mais pas seulement, il va plus loin que ses prouesses. On y retrouve ses interrogations existentielles, ses doutes, ainsi que sa persévérance, son abnégation pour mener à bien ses projets. Un côté « humain » qui finalement le rend sympathique. Tout y est depuis sa naissance prématurée jusqu’à son ascension du Dawn Wall. En passant par son père qui lui communique le goût de la grimpe, sa relation compliquée avec sa première femme Beth Rodden, elle aussi championne de grimpe. Puis il se fait larguer, et oui, humain le bonhomme, normal, en somme. La différence avec le commun des mortels, peut-être, est qu’il profite de chaque épreuve que la vie met en travers de son chemin pour rebondir et aller encore plus loin, plus haut, plus fort, plus heureux. Mieux. La résilience poussée à la perfection.

« Ma vie avait toujours été gouvernée par la même logique : tout effort donne des résultats. La chance n’existe pas en escalade. On n’a que ce qu’on mérite. » (p. 195)

J’ai eu quelques craintes au moment de sa rencontre avec celle qui allait devenir sa femme et la mère de ses enfants, Becca Pietsch, qui est très bigotte, peur que le grimpeur ne verse dans le mysticisme et les bondieuseries. S’il évoque une éventuelle « force » supérieure qui le pousserait à faire ce qu’il fait, cela reste sobre et ne va, heureusement, pas plus loin.

Outre les « big wall » et en particulier El Cap qu’il connaît comme sa poche, Caldwell a aussi fait la première traversée du Fitz Roy en Patagonie avec Alex Honnold. Honnold n’avait alors pratiquement jamais mis de crampons, et Caldwell à peine plus. Pourtant grâce à leur rapidité, ils bouclent la chose en cinq jours, le temps d’un créneau de météo favorable, entre deux perturbations. Ce que personne, pas même les alpinistes les plus aguerris, n’était parvenu à faire. Il étaient partis avec deux sacs à dos de 25 et 35 litres… Savant calcul ou bien pure inconscience et coup de bol ? Si Honnold semble être effectivement du genre casse-cou et tête brûlée, en revanche Caldwell est très calculateur dans ses projets et ne laisse rien au hasard. Encore que, Honnold était parti avec une paire de crampons inadéquate, c’est une autre cordée qui lui en passera une. Crampons d’alu et chaussures d’approche non cramponnable... Ils ont obtenu le Piolet d’Or pour ça… Donc si, un peu alpiniste quand même, Caldwell.

Et puis, il y a le « Dawn Wall » ; projet dans lequel Caldwell s’est lancé à corps perdu après son divorce. Sept années à chercher une voie, un chemin dans une paroi de granit lisse haute de 900 m. Sachant que certaines prises ne sont pas plus grosses qu’un grain de beauté, on imagine le travail… Et puis une voie la voie trouvée, il a fallu la « libérer », la grimper en libre morceau par morceau. Et enfin, cerise sur le gâteau, enchaîner les morceaux dans l’ordre. C’est ce qu’il a fait avec Kevin Jorgeson, entre fin décembre 2014 et janvier 2015. 19 jours en paroi. Deux longueurs en traversée en 9a (ou peut-être seulement 8c+ !!).

« La découverte d’un gratton de la taille d’un grain de beauté et d’une fissure microscopique m’avait tellement ragaillardi que je savais désormais quelle direction suivre au cours de l’année à venir. » (p. 394).

Ce genre d’exploit ne me fait pas forcément rêver, je vois ça au même titre qu’un gymnaste ou un coureur de 100 m qui va s’entraîner pour effectuer la figure parfaite ou grappiller des pouillèmes de secondes, ce qui n’enlève rien à la performance, ceci étant. Mais comme je grimpouille un peu, cela me touche quand même un peu plus, d’autant que je comprends (un peu) le travail nécessaire pour en arriver là. Les récits d’alpinisme à la Ueli Steck, par exemple, me transportent finalement un peu plus... Peut-être que la composition avec les éléments et la nature y est moins artificielle ?

El Capitan, versant est
Le Dawn Wall doit se trouver quelque part dans cette face.

Bon, ils utilisent de la magnésie, notamment pour marquer les prises. « Il s’arrêtait et, suspendu à la corde, il examinait les prises. Avec un peu de magnésie, il marquait les bosses qui allaient lui servir à réaliser sa séquence de mouvements. » (p. 323). Rien de dramatique, mais quand les meilleurs font ça, après tout le monde le fait ! À Bleau, on trouve des traits de magnésie partout même sur les blocs les plus faciles, ce qui pose un problème non seulement éthique, mais sur la pérennité de l’escalade… À quand le Dawn Wall sans magnésie ?

Deux ans plus tard, Adam Ondra, qui n’avait jamais fait de big wall, ni de nuit en portaledge, et dont la spécialité n’était pas forcément les murs de granit tout lisses, répéte la voie en une semaine. Caldwell, Ondra, on est dans la cours des grands.

Un chouette bouquin, donc, qui devrait ravir les amateurs de grimpe mais aussi ceux de montagne en général. Peut-être que les non-amateurs de ces choses de verticalités et d’altitudes y trouveront également leur compte dans le récit de ces aventures hors-norme. C’est bien écrit, bien rythmé, le pavé s’avale sans douleur, et même avec un grand plaisir. Caldwell ne l’a pas écrit tout seul, il a su s’entourer des bonnes personnes pour mettre en mots ce récit d’une vie. Qui continue, heureusement.


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