Nouveautés pédagogiques (pour moi)
... et peut-être pour les étudiants !
Voici ci-dessous un compte-rendu succinct des diverses approches pédagogiques novatrices pour moi (car je n’ai rien inventé, tout cela existe ici et là depuis des lustres).
Il y a un certain nombre d’années, je parlais par ici d’une nouvelle façon (pour moi) de procéder en classe de TD (Travaux Dirigés) à l’université. Au bout de huit années, j’en suis revenu, comme si j’avais atteint les limites de la méthode, il me fallait passer à autre chose. Dans mon UFR (Unité de Formation et de Recherche) de physique à l’université Paris Diderot, nombre de collègues ont changé de méthode en 2014 lors d’une réflexion collective sur les pratiques pédagogiques. Têtu, et convaincu que « ma » méthode donnait des résultats si ce n’est bon, tout au moins corrects, je n’ai pas voulu en changer. Depuis, j’ai suivi un certain nombre de colloques « Enseigner la Physique à l’Université », un certain nombre de formations en pédagogie, le tout a (lentement) infusé dans mon esprit. Je me suis finalement rendu compte qu’il fallait que j’évolue moi aussi. Après coup, faire passer les étudiants au tableau me paraît assez violent — j’aurais détesté ça, à leur place —, et si certains travaillaient en amont chez eux pour préparer les exercices, en vérité peu le faisaient, et les séances de TD, outre pour celui ou celle qui était au tableau, s’apparentaient plutôt à une plage de relaxation.
C’est pourquoi j’ai décidé cette année de changer littéralement. J’ai essayé les TD en petits groupes. Lors de la première séance, j’ai demandé aux étudiants de se mettre par groupes de quatre, de chambouler les tables pour se faire et former ainsi des îlots dans la salle. Je ne leur demande plus de chercher les exercices chez eux, ce qui ressemblait plus à un prêche dans le désert, ils travaillent désormais pendant la séance, a minima. Je leur ai demandé de trouver un nom pour leur groupe, afin de pérenniser un peu la chose. Et surtout, je leur ai dit de travailler sur les exercices ensemble, de poser d’abord leurs questions à leurs voisins, et seulement en dernier recours de me demander. Enfin, à chaque séance je demandais à un groupe de rédiger le corrigé de la séance, de me le rendre à la fin. Après chaque séance je corrigeais leur corrigé, le scannais et le mettais à leur disposition sur notre plateforme de cours en ligne.
Les étudiants ont été plutôt content de fonctionner de cette manière, et finalement moi aussi. Plutôt que de rester passifs pendant l’heure et demi de TD, ils travaillaient et avançaient sur leur compréhension des exercices et du cours. Assez souvent, ils étaient déjà au travail quand j’arrivais, et encore plus souvent ils ne voyaient pas le temps passer. Il est beaucoup plus facile de faire de la pédagogie différentiée de cette façon, les (grosses) différences de niveau au sein d’une même classe ne sont plus problématiques. Ils pratiquent l’apprentissage par les pairs, ceux ou celles qui ont compris expliquent aux autres, ce qui tire tout le monde vers le haut.
Il y a évidemment quelques bémols, ce n’est pas la recette miracle. Certains groupes sont peu stables compte tenu d’une certaine versatilité des étudiants : entre ceux qui viennent de temps en temps et ceux qui arrivent un peu quand ils veulent, où quand ils y pensent, il faut s’adapter. Outre les fluctuations de présence, il y a toujours une certaine évaporation :
Et puis surtout, ce n’est pas ça qui permet de réussir à coup sûr. Malgré l’assiduité (le nombre de présences divisé par le nombre total de séances) élevée et le travail fourni en séance, certains étudiants ne réussissent pas à l’examen, en haut à gauche sur le graphe suivant :
Dans cette unité d’enseignement (UE), nous n’avons pas de contrôle continu, seulement un partiel à mi-semestre et un examen terminal. Les deux notes sont bien corrélées, mais il y a des fluctuations :
En particulier, la progression entre le partiel (à mi-chemin) et l’examen (à la fin) n’est pas systématique :
Elle est même légèrement négative (la moyenne de la différence entre la note d’examen et celle de partiel est de -0.5), néanmoins plus l’assiduité est grande, plus la progression est positive (ou plutôt moins négative)...
Il est cependant difficile de quantifier quoi que ce soit, d’une part il s’agit d’une seule expérience sur un groupe relativement petit (24 étudiants), d’autre part le partiel et l’examen peuvent n’avoir pas été calibrés exactement pareil en terme de difficulté et de longueur. D’autant plus que le partiel ne dure qu’une heure et demi, alors que l’examen dure trois heures, que le premier porte sur la moitié du programme tandis que le second sur la totalité.
Ce qui compte à mes yeux est mon ressenti positif sur cette façon de procéder, ainsi que celui des étudiants : les plus assidus étaient enthousiastes.
Pour la suite, j’aimerais trouver des leviers pour améliorer la réussite de celles et ceux qui se donnent les moyens en terme de travail et d’assiduité, de limité l’aspect « libre service » et d’essayer de limiter l’évaporation. Vaste programme !
L’année dernière je vous parlais de mon premier (demi-)cours d’amphi, et notamment du mauvais retour des étudiants sur mon cours sur diapositives. J’ai laissé mijoté quelques mois, je suis allé assister au colloque « Enseigner la Physique dans le Supérieur » à Grenoble cet été, où il y avait une session sur les cours inversés.
Il ne s’agit pas, comme la crème du même nom, de faire cours la tête en bas, mais plutôt de demander aux étudiants de lire ou de voir le cours préalablement chez eux avant de venir. L’enseignant n’est plus un passeur de connaissances, celles-ci sont acquises par l’intermédiaire d’autres supports que la craie ou les diapositives, il devient un facilitateur d’apprentissage. Les heures dévolues à la présence des étudiants en face de l’enseignant sont mises à profit pour d’une part répondre aux questions des étudiants sur le cours, pour tester leurs connaissances et leurs compréhension du-dit cours, et éventuellement pour faire quelques exercices d’application en préparation des TDs.
Lors de ce colloque, une présentation m’a particulièrement intéressée, celle de Sylvie Zanier qui présentait un retour d’expérience d’amphi inversé.
Quelques cogitations estivales plus tard, j’ai décidé de sauter le pas et de me lancer. La première étape a été de fabriquer le support de cours que les étudiants auraient à étudier chez eux. Je n’avais pas le temps, l’envie, le talent de faire des vidéos comme cela se fait souvent en pareille circonstance, je me suis donc limité à écrire un polycopié. Qui devait être prêt avant le début de mon cours. Ainsi fut fait.
Mais alors en quoi consistait les amphis ? Lors de chaque séance, je passais environ une dizaine de minutes à répondre aux questions des étudiants sur la partie du cours qu’ils avaient à lire. Puis je leur posais à mon tour des questions pour tester leur compréhension du cours lu, en leur proposant plusieurs réponses ce qui me permettait d’avoir un retour sur leurs réponses à l’aide de l’outil VotAR. Je faisais une sorte de pause à peu près au milieu, sous forme d’une petite manip’ ou bien une petite vidéo en lien avec le sujet. Et puis un ou deux exercices d’application. Ça c’est le schéma général, qui pouvait varier d’une séance à l’autre.
Il m’a fallu beaucoup de travail pour trouver des listes de questions pertinentes, des exercices d’applications, des pauses culturelles intelligentes, ou des petites expériences intrigantes (ou pas) ou spectaculaires (ou pas).
Les étudiants m’avaient reproché de ne pas avoir écrit au tableau, alors j’ai écrit au tableau. Les questions, les exercices, les solutions. J’ai très peu utilisé le vidéo-projecteur.
J’ai beaucoup apprécié cette façon de procéder, plus en contact avec les étudiants, moins professoral à sens unique et plus dans l’écoute et la transmission. Les retours des étudiants lors du traditionnel questionnaire de fin de cours sont plutôt bons, même si ce n’est pas dithyrambique. Des choses à améliorer. Et puis c’est quand même un sacré bouleversement pour eux, d’autant que la première partie du cours est faite traditionnellement au tableau.
Comme toujours il est difficile voire impossible de quantifier cette pratique sur la réussite des étudiants. La première partie du cours, faite traditionnellement au tableau et à la craie pourrait servir de témoin, d’autant que le partiel arrive exactement entre cette partie et la mienne. Mais c’est un témoin bancal, puisque ce sont les mêmes étudiants, sur deux parties différentes du programme. De fait, en comparant l’année dernière et cette année, la moyenne au partiel était de 6,6 en 2017 et 10 en 2018, 41 % des étudiants ont eu la moyenne au partiel en 2017 et 51 % en 2018. En 2017, la moyenne à l’examen était de 7,6 tandis qu’elle est de 9,2 en 2018. 30 % des étudiants ont eu la moyenne à l’examen en 2017, 47 % en 2018. Mais les partiels ne sont forcément pas identiques en terme de longueur et de difficulté, ni les examens, tous cela n’est donc pas vraiment comparable.
Pour revenir sur le questionnaire de fin de cours, 46 étudiants ont répondu, globalement ils ont trouvé que le cours était clair, bien structuré, mais auraient préféré refaire au moins une partie du cours en amphi, ce qui transpire dans les commentaires libres, où l’on me suggère de revenir en amphi sur les notions et les démonstrations importantes du poly. Néanmoins ils ont apprécié très majoritairement d’avoir des questions de compréhension et des exercices d’application en amphi. Ils trouvent que les amphis manquaient de dynamisme, mais ont quasiment tous apprécié les intermèdes culturels. 67 % déclarent avoir lu les pages demandées du poly avant le cours. Poly qu’ils trouvent clair, compréhensible et utile. Compte tenu de ces remarques, pour l’année prochaine, je pense faire un point sur les notions les plus importantes du cours à chaque amphi, et mettre les questions et exercices sur des slides pour améliorer le dynamisme et le rythme.
Pour conclure cette partie sur la classe inversée, j’ai également utilisé ce concept dans mon cours Physique et Société, pour lequel j’ai rédigé un polycopié. Cette fois, en présentiel, nous avions du temps pour des exercices d’application et des discussions sur le cours vu à la maison. Cela a été, je crois, plus apprécié des étudiants, que de passer le temps en cours à ce que je déroule ce que je voulais leur raconter.
Cette année j’ai également essayé les grilles d’évaluation critériées en travaux pratiques. Une telle grille se présente sous la forme d’un tableau avec une entrée listant un certain nombre de critères, compétences, connaissances que l’on souhaite évaluer, l’autre entrée du tableau est découpée en « niveaux » : inacceptable, insuffisant, correct, excellent, par exemple. Chaque case de la matrice décrit plus précisément ce qui est attendu selon le critère et le niveau correspondant.
On peut se contenter de mettre des croix dans les cases, ce qui donne un aperçu précis du niveau du TP évalué. On peut aussi attribuer un barème à chaque case afin de transformer tout cela en une note.
Je n’ai pas de retours d’étudiants sur cette façon de les évaluer ; les enseignants de l’équipe y étaient plutôt favorables à une exception près. Évidemment, notre « grille » n’est pas parfaite, des modifications et ajustement y seront nécessaire pour les années futures (d’autant que les TP sont complètement remodelés dès la rentrée prochaine). De mon point de vue, par rapport à une notation plus standard des compte-rendus de TP, cela m’a permis de noter de manière plus équitable et surtout d’évaluer plus justement le travail effectué et le rendu des résultats selon les canons de la physique. Je pense que cela a permis aux étudiants de progresser dans leur manière de faire leurs compte-rendus, dans la mesure où ils voyaient d’un coup d’œil où ils pouvaient progresser. De fait, des progrès notables sur pas mal de points avaient été fait entre les compte-rendus correspondants aux séances standards et l’examen de TP à la fin [1].
Dernier point que je voulais évoquer dans mes innovations pédagogiques personnelles : les QCM. J’ai effectivement utilisé cela comme système d’évaluation dans mon enseignement Physique et Société. J’ai voulu tenter un QCM avec degrés de certitude, dans l’idée d’essayer de lever l’ambiguïté de savoir si la réponse donnée est due au hasard ou pas. Pour chaque réponse à une question l’étudiant doit donner un pourcentage de certitude, entre 0 et 100 % (ou plutôt par pas de 25 %). Le nombre de points accordés à la réponse (1 si juste, -0.25 si fausse) est pondéré par le degré de certitude donnée par l’étudiant.
Les étudiants ont trouvé cela injuste au premier abord. Peu ont utilisé toute la gamme possible, biaisant ainsi l’idée que j’en avais, c’est-à-dire de favoriser les étudiants qui sont certains de leurs résultats. En gros, à peu près tous ont estimé toutes leurs réponses presque certaines ou certaines, rendant finalement ces degrés de certitude caduques. Je ne les ai pas comptés dans la note : quoiqu’il en soit, avec ou sans, cela ne changeait pas chose. Et j’ai abandonné l’idée pour les contrôles suivants. Peut-être qu’elle reste intéressante pour un quiz non évaluatif testant un niveau de connaissances.
Je me suis également posé des questions sur le package LaTeX à utiliser pour fabriquer des QCM. Dans un premier temps j’ai essayé le package alterqcm, mais je n’ai pas trouvé le moyen d’ajouter une troisième colonne au tableau (pour mettre des degrés de certitude), donc peu de flexibilité. Il y a aussi AMC, mais là aussi, il m’a paru compliqué d’ajouté une troisième colonne, même si cela semble faisable. Finalement, j’ai jeté mon dévolu sur une solution plus simple que j’ai trouvé dans un document sur LaTeX (pp. 106-107).
Une des difficultés que j’ai rencontré est de poser des questions sans ambiguïté, ce qui n’est pas toujours évident, surtout quand on est seul dans l’équipe enseignante, donc sans regard autre sur les questions. Il faut ainsi passer un certain temps pour le mettre au point, et parfois cela ne suffit pas : certaines questions sont restées ambiguës et les étudiants les ont vues. L’avantage est que même pour une solution non numérique cela demande peu de temps à corriger. Ce n’est pas à généraliser surtout en physique où la rédaction de la solution d’un problème est importante, mais dans certains cas ou certains enseignements, ça peut être utile. Et pas forcément uniquement pour évaluer mais pour tester certaines connaissances sous forme de quiz...
Cette année pour la première fois j’ai voulu mettre à profit les diverses formations, lectures, colloques, en pédagogie universitaire qui me sont tombées sous la main depuis quelques années, et en particulier les colloques Enseigner la Physique à l’Université, que je contribue à organiser depuis 2015. D’ailleurs les inscriptions pour le prochain, les 9 et 10 juillet 2019, sont ouvertes !
[1] Dans cet enseignement, les étudiants ont quatre séances de TP de 3 h toutes les deux semaines. Ces séances, qui leur permettent de découvrir, en binômes, un montage expérimental et de faire des mesures avec, sont l’objet d’un compte-rendu succinct rendu en fin de séance qui est l’objet d’une note (qui compte peu) déterminée à l’aide de la grille. À l’issu de ces quatre séances, ils ont une séance de révision où on leur donne l’énoncé de quatre sujets d’examen de TP. L’examen aura lieu ensuite pendant 1 h 20, individuellement, sur une partie des TP vues en séances, et fera l’objet d’un compte-rendu similaire. Ils ont l’énoncé des quatre sujets à l’avance, ils en tirent un au sort au moment de l’examen.
Guillaume Blanc
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