L’urgence climatique est là, palpable, prégnante. L’urgence environnementale, même. Réchauffement climatique, biodiversité, pollutions. Tous les clignotants sont au rouge vif. Depuis environ un an, une prise de conscience générale — en France, tout au moins — semble avoir pris corps. Grâce, peut-être, entre autres, à Greta Thunberg ou à mon collègue Aurélien Barrau, monté au créneau en verve. Le rapport intermédiaire du GIEC dit « rapport 1.5°C » est assez alarmant : chaque fraction de degré évité en termes de réchauffement, et c’est une batterie de catastrophes en moins, plus on limite, moins on risque de tomber dans des phénomènes irréversibles comme la fonte totale des calottes polaires. Cette semaine des climatologues français publiaient les résultats de leurs modèles, la température en 2100 — dans 80 ans —, pourrait atteindre 6 à 7 °C. En moyenne. Dans le pire des cas. Mais on en suit la trajectoire, du pire des cas. 7°C en moyenne c’est au moins 10°C dans les régions arctiques, et combien en montagne ? 15 °C ? Adieu pergélisol, adieu glaciers, ces beautés de la nature, réserves d’eau douce multicentenaires. Bref, les problèmes d’alimentation en eau potable ont une grande chance d’arriver plus tôt que prévu (comme la fonte des banquises, des calottes polaires, des glaciers). Sans compter tout le reste : les migrations humaines, la baisse de biodiversité, les maladies, etc.
Compte tenu de cela, pourquoi ne pas cesser séance tenante nos activités diverses et variées pour nous concentrer sur le problème ? Réfléchir aux solutions à y apporter, commencer à mettre en œuvre ce que nous pouvons mettre en œuvre. Réduire les émissions, trouver d’autres moyens de subvenir à nos besoins énergétiques, entre économies et productions alternatives, décarbonées. Et ce au sein d’un système économique et social à revoir, pour réduire les inégalités, une nécessité, un impératif.
Si on apprenait qu’une attaque extra-terrestre allait subvenir dans un futur proche, on peut espérer que les nations terrestres s’uniraient et feraient leur possible pour contrer la menace, se protéger et sauver la planète. Les scientifiques seraient ainsi mis à contribution pour trouver des solutions et des parades. La perspective d’une attaque extra-terrestre mettrait certainement tout le monde d’accord pour un branle-bas de combat général et une préparation minutieuse dans le laps de temps restant, malgré toutes les inconnues qui peuvent subsister en pareil cas : niveau technologique des assaillants, leur nombre, leurs intentions, leur stratégie, etc.
La crise environnementale est globale. Toute l’humanité est concernée. Nous savons quand elle va arriver, sous quelle forme, nous avons même des embryons de solution, en tout cas de quoi la retarder, nous faire gagner du temps. Nous savons qu’une fois qu’elle sera là, il sera probablement trop tard. Mais nous savons comment la contrer avant.
Pourtant, tout un chacun continue ses petites activités comme si de rien n’était. L’épée de Damoclès est là, invisible, mais présente. D’habitude on a peur de ce que l’on ne connaît pas, de ce que l’on ne voit pas, ondes électromagnétiques, radioactivité, pesticides, OGM, mais là, non. D’habitude on a peur là où il n’y a pas de raison, et puis on n’a pas peur là où il y aurait des raisons : télé, tabac, alcool, malbouffe, réchauffement.
À moins que la peur du réchauffement nous tétanise et nous immobilise. Elle nous culpabilise aussi probablement, parce que tout est rigoureusement de notre faute, pas de celle d’hypothétiques extra-terrestres. Mais quand on fait une bêtise, habituellement, on répare, non ? En ce qui me concerne, cette « peur » aurait tendance à me donner des ailes. Revoir ma casquette d’enseignant-chercheur, pour d’un côté enseigner la problématique aux étudiants, de l’autre changer de thématique de recherche, apporter ma petite pierre à l’édifice du changement. Virage à cent quatre-vingts degrés.
Ne devrait-on pas concentrer les efforts de recherche sur le problème ? Si c’était une attaque extra-terrestre, ce serait le cas. Pourquoi là, non ? On lambine, on tergiverse, on s’en fout, globalement, on continue la tête dans le guidon ou dans les étoiles. On fait l’autruche. La tête dans le sable. Il faudrait un « projet Manhattan interplanétaire » pour la crise environnementale. Non pas pour construire une arme de destruction massive, mais au contraire pour la contrer, pour emmagasiner les connaissances nécessaires pour nous sortir du pétrin. Et accessoirement construire les technologies adéquates pour ce faire.
Cela ne signifie pas qu’il ne faut rien changer à nos comportements et nos modes de vie et que la technologie va tout sauver, bien au contraire, il faut tout changer pour que la technologie nous sauve. Et c’est plutôt une bonne nouvelle, car est-on vraiment heureux dans nos vies à cent à l’heure au volant de nos SUV scotchés dans des embouteillages sans fin en susurrant des mots doux à nos Iphones quand d’autres crèvent la dalle à quelques encablures ? Cesser de puiser dans la nature pour en faire une alliée plutôt qu’un vaste supermarché sans fond. Imaginer une autre société, plus respectueuse de notre humanité et de la nature qui nous rend des services vitaux (air, eau, nourriture, paysages, beauté...). Seule la science peut nous aider. Toutes les sciences : du climat, de la nature, de la matière, physique, chimie, biologie, mais aussi sociologie, psychologie. Car il va falloir non seulement réinventer l’énergie et notre façon de l’utiliser, mais aussi notre rapport au reste du monde vivant et notre rapport à nous-mêmes. On peut le faire, il faut le faire.
Il y a beaucoup de travail, tout à construire, reconstruire. Sur de nouvelles bases. Qu’attend-on ? De franchir le point de non-retour ? Ne faut-il pas, pour un temps, mettre de côté les galaxies lointaines pour mieux se concentrer sur la proximité spatio-temporelle ? Ne le ferait-on pas en cas d’invasion extra-terrestre imminente ?
Entre collapsologie et déni, il y a tout un champ des possibles dans lequel il faut s’engouffrer. Et chercher. Pour trouver, enfin.