Les tribulations d’un (ex) astronome

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Bandes de Forbes

lundi 10 août 2009 par Guillaume Blanc

Quand on se balade en été autour de la Mer de Glace, cet immense glacier au cœur du massif du Mont Blanc, on ne peut pas manquer de voir que le fleuve de glace semble avoir revêtu une combinaison zébrée, présentant des rayures noires et blanches. On les voit très bien en prenant un peu de hauteur, et la montée vers l’Envers des Aiguilles à partir de la gare du Montenvers offre un excellent promontoire pour les voir. Elles semblent prendre naissance sous les séracs du Géant, s’étiolent ensuite sous une forme ogivale pointant vers la pente, survivent aux crevasses de l’intersection avec le glacier de Leschaux, prennent le virage avec perfection, et finissent par se diluer dans la langue du glacier sous le Montenvers.

Intersection Mer de Glace et glacier de Leschaux.

Je n’avais pas encore eu l’occasion de voir ces étranges chevrons « en vrai, » même si je les avais déjà vu en photo. C’est désormais chose faite. Ces zébrures sur la carapace glacière de la Mer de Glace ont été décrites pour la première fois par le physicien écossais James Forbes en 1845, qui étudia la différence d’écoulement entre les bords et le centre.

Il ne reste plus qu’à comprendre comment se forme cette alternance de glace « sale, » sombre, et de glace « propre, » blanche. L’exposition que l’on peut voir à Chamonix « Des glaciers et des hommes » explique le phénomène par l’alternance des saisons, les crevasses au niveau de la rupture de pente des séracs du Géant se remplissent de poussières et de pierres tombant des alentours en été, salissant ainsi la glace, tandis que seule la neige immaculée recouvre la glace en hiver. D’où l’alternance de bande sombres, constituées de glace souillées par les poussières estivales, et de bandes blanches, glace propre hivernale.

La Mer de Glace et ses bandes de Forbes au niveau de l’intersection avec le glacier de Leschaux.

La forme en chevron pointant vers le bas s’explique aisément par l’écoulement du glacier : comme tout fluide visqueux, la glace s’écoule plus rapidement au centre que sur les bords, en raison de la friction avec les berges, fixes, qui ralentissent le débit à leur proximité.

Les chevrons des bandes de Forbes dans le virage de la Mer de Glace.

En cherchant l’explication sur l’origine de ces bandes je suis tombé sur l’article : « Réflexions sur la formation des bandes de Forbes : l’instabilité de la fusion de la glace sale » par B. Guy, M. Daigneault et G. Thomas, paru en 2002 dans les Comptes Rendus Géoscience de l’Académie des Sciences. Ce papier pose un certain nombre de questions, avant de proposer une explication alternative à celle couramment admise.

En effet, on peut se demander comment se fait-il que les bandes de Forbes gardent une étonnante régularité d’une année sur l’autre, la largeur des bandes restant plus ou moins constante, de l’ordre de la dizaine de mètres, car les chutes de neige, l’apport de poussières sont très variables d’une année sur l’autre. D’autre part, si les bandes de la Mer de Glace montrent une périodicité annuelle, il en est autrement sur d’autres glaciers, où on peut observer jusqu’à 15 cycles (un cycle étant l’alternance d’une bande sombre et d’une bande claire) par année. De même, pourquoi des glaciers d’un même secteur, connaissant le même climat, ne présentent-ils pas ces bandes ? On peut aussi se demander comment le glacier conserve-t-il la netteté des bandes, malgré toutes les déformations qu’il subit lors de son écoulement...

Les bandes de Forbes chevauchent les crevasses sans s’y diluer.

Les auteurs proposent alors une explication alternative basée sur les propriétés physiques de la glace sale. La glace contenant des impuretés minérales et soumise à une pression extérieure a la propriété de fondre plus rapidement que la glace propre.

Détail des bandes de Forbes sur la Mer de Glace.

Cette fusion préférentielle de la glace sale va pouvoir se mettre en place au sein du glacier si la concentration de poussière se trouve être localement plus importante ou bien si la pression de la glace est plus importante à un endroit donné (changement de pente). Elle va s’accélérer car elle provoque une augmentation de la concentration en poussières, l’eau de fusion étant évacuée, le volume de la gangue de glace diminue tandis que la quantité de poussières reste la même. Il y a formation d’une bande sombre. Par ailleurs cet emballement va ainsi provoquer un abaissement de la pression en amont de la zone de fusion, à cause de la perte de matière et de l’expulsion de latérale de l’eau, l’apport de matière dû au mouvement du glacier n’étant pas suffisant pour compenser. La fusion peut alors être bloquée et l’on va garder une bande de glace blanche juste après la bande sombre. Il faut ensuite attendre que le mouvement du glacier recomprime la glace pour que le point de fusion soit à nouveau atteint et que se forme une nouvelle bande sombre. Les bandes claires et sombres vont ainsi alterner et se propager vers l’aval à la vitesse d’écoulement du glacier.

C’est le caractère instable du phénomène (emballement du mécanisme) qui va permettre aux bandes de se manifester avec une si grande netteté. Et si les conditions d’abaissement du point de fusion de la glace par la pression et la matière minérale qu’elle contient ne sont pas réunies, il n’y aura pas formation de bandes, le glacier restera uniformément clair (ou sombre, c’est selon). Il faut une certaine pente et variation de pente, dans des conditions thermiques permettant la fusion pour voir apparaitre les bandes.

Suivant la vitesse de déplacement du glacier et les variations de pression associées, les longueurs d’onde (distance entre deux bandes sombres ou deux bandes claires successives) peuvent être plus ou moins petites. Cela explique les différentes observations de bandes de Forbes qui ne sont pas nécessairement liées au rythme des saisons. En revanche l’alternance annuelle (comme sur la Mer de Glace) peut s’expliquer dans ce cadre-là par le fait que le glacier se déplace et fusionne préférentiellement pendant l’été (bande sombre).

La généralité du mécanisme proposé et l’explication générale des bandes de Forbes qu’il suggère, quelque soit le glacier sur lequel elles sont observées, est assez séduisante. Qu’en est-il depuis 2002, date de publication de leur article ? Le modèle a-t-il été raffiné puis validé par la communauté des glaciologues ?


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