Un article du magazine Automoto fait le buzz en prétendant que rouler à vélo serait à peine moins polluant (en terme d’émissions de CO2) que la voiture. Le journaliste auteur de l’article fait un petit calcul dont il nous présente les détails pour parvenir à cette conclusion. L’expérience de ce genre de petit calcul, que je fais de temps en temps par ici m’a montré qu’on peut facilement tordre les données pour parvenir au résultat que l’on souhaite. Néanmoins, même si nous allons voir qu’il a effectivement tordu les données pour parvenir à ses fins, l’intérêt de son approche est de montrer que rien n’est complètement neutre : rouler en vélo n’est pas forcément meilleur pour la planète que de rouler en voiture. J’entends par là que c’est effectivement un peu mieux contrairement à ce que prétend le journaliste d’Automoto, mais pas beaucoup mieux : les émissions de CO2 qui en découlent ne sont pas plusieurs ordres de grandeurs en dessous.
Cet article a été vivement critiqué par Libération, mais l’article de Libé, acerbe, n’est pas très constructif [1]. L’argument de la distance, 100 km, ne sert à rien, puisqu’au final l’article d’Automoto donne des émissions de CO2 par kilomètre parcouru. Peu importe la distance, donc.
En revanche, la puissance développée par le cycliste est importante. Le journaliste d’Automoto s’est fort probablement servi de ce calculateur en ligne pour parvenir à la puissance de 200 W, un bonhomme de 70 kg, avec 20 kg d’équipement (y compris le vélo), pas de vent, sur du plat (pente nulle), une température de 20°C, une pression de 1013 hPa (niveau de la mer). Pour une vitesse de 30 km/h, j’obtiens ainsi une puissance de 181 W.
L’article d’Automoto prétend que les coureurs du Tour de France développent une puissance de 400 W. Avec le même calculateur, sur du plat, toujours, mais pour une vitesse de 50 km/h, j’obtiens 670 W [2]...
Et pour utiliser mon vélo tous les jours pour aller au boulot (4 km de plat), je peux dire que je roule très rarement à 30 km/h. Plutôt 20 km/h (soit 12 min pour arriver au boulot). La puissance que je développe ainsi, toujours d’après le calculateur, est de 76 W. Si je prends la côte pour passer par le Plateau, il y a une montée de 1700 m de long, pour 75 m de dénivelé, soit en moyenne une pente de 4,5%. Je roule en moyenne à 15 km/h, soit 210 W. Le reste du trajet est plat ou descendant.
Considérons mon trajet « direct » et plat par soucis de simplification. Donc 76 W de puissance. Soit 76 x 12 x 60 = 54720 J dépensés sur 4 km, soit 13680 J/km. Comme nous l’unité énergétique liée au métabolisme est la calorie, nous allons convertir tout ça dans cette unité (1 cal = 4,18 J), soit 3272 cal/km.
D’après la formule donnée là, j’ai besoin de 1643 kcal par jour pour maintenir mon métabolisme, compte tenu de ma masse corporelle, de ma taille et de mon âge. Comme je fais un aller-retour en vélo au boulot chaque jour, cela fait donc 3,27 x 8 = 26,2 kcal en plus.
Quelle quantité de nourriture dois-je manger en plus pour aller bosser ?
Comme le stipule l’article, le rendement du métabolisme humain est d’environ 25% [3], donc un quart de l’énergie contenue dans les aliments que nous mangeons est transformée (ou transformable) en énergie mécanique, le reste est de la chaleur.
Il me faut donc ingurgiter 104,8 kcal de nourriture en plus chaque jour.
Le journaliste d’Automoto suppose que l’on mange soit du bœuf soit du tofu pour avoir l’énergie de pédaler. Pour ma part, je préfère soit une platrée de pâtes ou encore un repas « normal » ; l’apport énergétique des pâtes est de 350 kcal pour 100 g de pâtes crues ; mais comme on les déguste généralement cuites, il faut diviser ce nombre par trois. Soit environ 115 kcal/100 g de pâtes cuites.
Pour mon trajet en vélo, il faudra donc que j’avale chaque jour, en plus de ma ration « normale » 91 g de pâtes cuites.
Un rapport de l’Ademe stipule que 100 g de pâtes cuites émettent 31 g de CO2. Donc mes 91 g de pâtes vont émettre 28 g de CO2.
En regardant les menus équilibrés de la brochure suivante, si j’oublie les menus trop carnés, pour ne retenir que les deux menus à base de pâtes ou d’omelette, 104,8 kcal du menu 4 (pâtes) rejettent 157 g de CO2, tandis que 104,8 kcal du menu 5 (omelette) rejettent 70 g de CO2.
Si je fais le même trajet avec ma voiture, qui émet théoriquement environ 100 g de CO2 par kilomètre, cela fait en tout 800 g par jour. Mais comme elle est en mode « urbain » on peut facilement dire que ses émissions de CO2 sont bien au-delà de ce que donne le constructeur (facteur 2 typiquement)...
Donc, en vélo, à un rythme tranquille et sur du plat, j’émets entre 3,5 (régime de pâtes sans assaisonnement) et 19,6 g de CO2/km (repas de pâtes agrémentées), soit un facteur 5 à 28 fois moins qu’en voiture (au mieux de sa forme ; il faut probablement multiplier ce facteur par 2).
Si ma voiture était toujours emplie de cinq personnes pour le même trajet, elle deviendrait presque compétitive en terme d’émission de CO2 avec le vélo. Ce n’est jamais le cas. Au mieux nous sommes deux.
Tout cela ne tient pas compte des émissions de CO2 pour fabriquer le vélo et la voiture. Un autre autre document estime ces « coûts » de production à 5 g de CO2/km pour le vélo et à 42 g de CO2/km pour la voiture.
Une étude fait la comparaison entre les émissions de CO2 de divers moyens de transport, dont le vélo. Ils obtiennent 5 à 10 g de CO2 par km selon l’effort fournit en partant du volume de CO2 expiré... (donc sans hypothèse sur la nature des aliments ingérés).
Bref, comme quoi, si on y regarde de plus près, faire les trajets domicile - travail en vélo reste bénéfique — en terme d’émission de CO2 [4] — (environ un ordre de grandeur) pour la planète par rapport à la voiture ! À bon entendeur !
Addendum
En fait, en regardant de plus près le calculateur de puissance du cycliste plus haut, la relation donnant la force totale que doit exercer le bonhomme sur ses pédales est bien expliquée sur ce site :
,
qui est la somme de trois termes qui sont respectivement la force de pesanteur, la force due au roulement des pneus sur la route, la force due à la résistance de l’air. Les différents paramètres en sont : la masse totale (cycliste + vélo), , l’accélération de la pesanteur , l’inclinaison de la route, , le coefficient de résistance au roulement, , le coefficient de traînée, , la masse volumique de l’air, , la surface frontale, et la vitesse, .
Pour le cas étudié ci-dessus, le bonhomme pèse 90 kg et la route est plate donc ; par ailleurs la masse volumique de l’air est . On considère une surface frontale de 0.45 m2 (voir ici) et un coefficient de traînée de 1 (voir ici). Le coefficient de résistance au roulement est plus délicat à estimer, entre 0.022 et 0.005 ici, entre 0.010 et 0.004 ici, le calculateur prend 0.008 par défaut, mais avec mes pneus VTT, c’est probablement plus... Peut-être deux fois plus... ?
Si je prends un , la puissance nécessaire (obtenue en multipliant la force ci-dessus par la vitesse) pour vaincre le roulement est de 107 W, si je prends plutôt , j’obtiens 39 W... La puissance nécessaire pour vaincre la résistance de l’air étant quant à elle de 42 W. Soit un total qui varie entre 81 et 149 W ! Je pense que la deuxième valeur est plus réaliste que la première en ce qui me concerne... Ce qui doublerait, peu ou prou, les émissions de CO2 calculées ci-dessus avec la valeur de 76 W, liées à mes trajets boulot-dodo.
Une question que je me posais vis à vis de ce calcul porte sur la « nature » du CO2 produit : il me semble que le seul CO2 à prendre en compte est le CO2 d’origine fossile, est-ce celui-ci que l’article prend en compte ? Le CO2 que l’on rejette, puisqu’il provient de matière vivante est d’origine renouvelable, cela ne viendrait-il pas considérer une empreinte carbone nulle pour les cyclistes ?
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