Les tribulations d’un (ex) astronome

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Réduire les ondes électromagnétiques, c’est (mal) parti

mardi 27 décembre 2016 par Guillaume Blanc

Comme convenu dans cet article j’ai acheté (d’occasion, faut pas abuser non plus) le livre de Carl de Miranda : « Réduire les ondes électromagnétiques, c’est parti ! » et je l’ai lu. Ça démarre pas si mal sur le premier chapitre qui définit ce qu’est une onde électromagnétique (de manière très vulgarisée, limite caricaturale, mais sans trop d’âneries). J’en étais même à me dire que je m’étais trompé dans mes prédictions. En fait non. Ça part bien bien en vrille dès le chapitre 2. Donc à part les six premières pages, les 110 suivantes, pfff, il a parfois fallu que je m’accroche au fauteuil pour ne pas tomber dans un abîme de perplexité. En fait, si le journaliste de Reporterre ne m’avait pas répondu et si j’avais pas écrit l’article précédent, je me serais épargné la peine de lire ce tissus de bêtises, qui mérite au mieux de figurer dignement au rayon ésotérisme des librairies. Si toutefois on ne se demande pas comment un tel ouvrage peut-il être publié ! Il faut vraiment être un éditeur sans scrupule. L’auteur, adepte de certains « arts » orientaux, croit que chaque être vivant est doté d’une « énergie intérieure » avec laquelle les ondes électromagnétiques de notre environnement peuvent interférer et donc perturber l’équilibre intérieur des êtres vivants et en particulier des êtres humains. « On l’appelle Prana en Inde, Chi ou Qi en Chine, toujours est-il que cette énergie immatérielle qui nous anime peut entrer en interaction avec l’énergie immatérielle véhiculée par les ondes électromagnétiques. » (p. 22).

L’auteur oppose le discours des « grandes institutions internationales chargées d’établir ou d’énoncer des normes de sécurité pour la santé » qui est qu’il n’y a pas de danger avéré quant à l’exposition aux ondes électromagnétiques sous certains seuils (et les ondes émises par nos technologies quotidiennes sont largement en-dessous de ces seuils), avec celui de « certains experts et organismes spécialisés, » comme quoi « il y a bien un danger significatif engendré par l’exposition aux ondes électromagnétiques [...] et ce bien en-dessous des normes officielles. » Oubliant de mentionner que le premier discours est celui de la science (qualifiée d’« occidentale », comme s’il y avait aussi une science « orientale » ), dans l’état actuel des connaissances, et non pas seulement des institutions faisant les normes — ces dernières se basent sur les résultats scientifiques. Quant aux seconds, ces « experts » qui ponctuent l’ouvrage de bout en bout (« Pour de nombreux experts, beaucoup reste à faire » ; « certains scientifiques pensent que... » ; « De nombreux experts signalent... » ; « ... considérée par certains experts... » etc), ils sont là pour prétendre donner un couvert de sérieux aux assertions dogmatiques de l’auteur. Qui se base aussi sur des rapports, des études, forcément « scientifiques » (« Des études scientifiques montrent que... ») et sur fait que cette exposition aux ondes électromagnétiques est effectivement mesurable, mais de surcroît « ...scientifiquement mesurable... » !! Que contester à tout ça ?

En fait on ne sait pas qui sont ces prétendus experts, les études ne sont pas citées, les organismes spécialisés le sont, ce sont des associations styles CRIIREM ou Robin des Toits dont le cheval de bataille est la dangerosité des ondes, et ce manière non pas scientifique mais dogmatique, qui se drapent elles-mêmes sous le couverts de « scientifiques » et « indépendantes. » L’auteur met en encart le petit texte suivant : « Une controverse existe mais certains scientifiques tout à fait sérieux et diplômés affirment que les champs électromagnétiques basses et hautes fréquences peuvent présenter des dangers significatifs pour la population, ils s’appuient sur des expériences scientifiques en laboratoire ainsi que sur des études statistiques. L’histoire nous apprend que les controverses sont parfois douteuses. » La controverse n’existe que pour une partie de la population qui a peur de ces ondes et qui ne croit pas — ou ne veut pas croire — aux résultats que la science donne sur cette thématique ; les scientifiques, et j’entends par là les chercheurs qui sont spécialisés dans l’étude de l’impact des ondes électromagnétiques sur la santé, en sont au stade de la recherche. Pour le moment, les diverses études réalisées sérieusement dans le cadre de la méthode scientifique (les seules crédibles), et validés par les pairs, ne montrent aucun effet néfaste pour la santé. Ce n’est pas parce qu’untel est diplômé de l’École Polytechnique que cela en fait nécessairement un expert de l’étude des ondes électromagnétiques et de leur impact sur la santé. On peut cependant penser qu’il a acquit un esprit critique suffisamment aiguisé pour ne pas verser dans le dogmatisme mais ce n’est pas toujours le cas malgré le prestige du diplôme.

L’auteur cite quand même l’étude Bioinitiatives (voir article précédent), forcément, de même que l’étude bien plus sérieuse Interphone, mais n’en retenant, tout comme Robin des Toits, qu’une conclusion biaisée sortie de son contexte, oubliant de mentionner les réserves des auteurs même de l’étude...

L’auteur propose au lecteur de mesurer les champs électromagnétiques un peu partout dans son environnement quotidien ; pourquoi pas, après tout, même si l’unité du champ électrique n’est pas le V/M mais le volt par mètre soit V/m. Et celle du champ magnétique n’est plus le gauss, mais le tesla. Mais ce sont là que des détails par rapport au reste. Il propose ensuite ses propres normes, et donne des conseils sur de nombreuses pages sur comment se protéger des divers champs électromagnétiques.

En fait à lire cet ouvrage, on ressort complètement paniqué : « ils » sont partout, partout, on ne « les » voit pas, et « ils » sont très dangereux. Imaginez-vous que des champs magnétiques dangereux se glissent insidieusement dans les pneus de vos voitures : « ... l’essentiel des champs électromagnétiques dans un véhicule est généralement dû à la rotation des pneus... » (p. 83) et même dans les montures métalliques des lunettes : « Si vous êtes sensible aux ondes hautes fréquences, privilégiez les lunettes plastiques aux lunettes métal qui peuvent jouer le rôle de mini-antenne près de votre tête. » D’ailleurs l’auteur est conscient de la chose, à la page 120, donc tout à la fin du livre, un encart intitulé « Pas de stress, que du positif » qui commence par : « Avant de lire ce livre, vous n’aviez peut-être pas conscience de ces ondes si présentes autour de vous, et toutes ces nouvelles recommandations peuvent susciter en vous une forme de stress. » Tu m’étonnes ! D’autant qu’a priori l’électrosensibilité est le résultat d’une peur des ondes et non un effet physiologique. Un effet nocebo. Gageons qu’une telle lecture va provoquer des épidémies !

Ce qui est assez incroyable c’est que nul part l’auteur ne parle de cage de Faraday ni même que les matériaux métalliques sont une bonne façon de se protéger des ondes électromagnétiques, puisque celles-ci ne pénètrent pas à l’intérieur des métaux. Il fait mystère des matériaux qui permettent de se protéger des ondes. Pourtant si vous n’avez rien à craindre de votre four à micro-ondes, c’est que les ondes qui permettent le chauffage des aliments restent confinées à l’intérieur grâce à une armature métallique et à une grille, métallique elle-aussi, sur la porte du four. L’auteur parle de « tissus barrières » de « peintures, » « rideaux » protecteurs (p. 115)... Et sur la page d’après, il met en exergue que ce type de protection ne doit pas être portée sur le corps en permanence parce que « Le corps énergétique, électromagnétique doit pouvoir respirer librement et les protections anti-ondes peuvent constituer une barrière contraignante pour lui aussi. » Ce qui dépasse tout entendement.

En revanche, on fait connaissance avec l’étonnant concept d’« électricité sale », (voir p. 74), comme s’il y avait donc une électricité propre... Je suppose que l’électricité sale est le fait d’électrons qui ne se sont pas lavés depuis longtemps. Peut-être sentent-ils mauvais... ? Il y a aussi les « ondes hautes fréquences saccadées », (voir p. 102), mais je n’ai pas compris que quoi il s’agit ! Bref, des notions pseudo-scientfiques, pour faire un peu plus « savant » et pour montrer que la science « standard » se trompe et « oublie » certaines choses.

Pour justifier tout ce déballage, et surtout cette peur des ondes qu’il faut absolument communiquer aux plus grand nombre (l’objet de ce livre, au final !), parce qu’il s’agit d’un scandale sanitaire que tout le monde nous cache, l’auteur se base sur des scandales sanitaires avérés : « Repensez au tabac, au réchauffement climatique, aux pesticides, à la couche d’ozone, à l’amiante... » (p. 26) sauf qu’il y a des différentes flagrantes entre tous ces sujets. La nocivité du tabac pour la santé a d’abord été établie scientifiquement avant qu’elle ne soit acceptée par la société, le lobbying des industriels concernés l’ayant retardé. Même chose pour le réchauffement climatique, les scientifiques sont très majoritairement d’accord entre eux, mais le lobbying climatosceptique des industries pétrolières retarde son acceptation dans la société avec la complicité (volontaire ou pas) des médias. Les pesticides ont certes prouvé leur nocivité pour ceux qui y sont fortement exposés, à savoir les agriculteurs, mais pas pour ceux qui y sont faiblement exposés, le consommateur lambda... Même s’il y a là effectivement un lobbying des industries phytosanitaires. Pour la couche d’ozone, je n’ai pas connaissance d’un quelconque lobbying industriel pour retarder les mesures prises. Au contraire, cela me semble être un processus de décision international exemplaire, suivant les découvertes scientifiques sur le sujet, et l’alerte donné par les scientifiques eux-mêmes. Quant au scandale de l’amiante en France, il provient des pouvoirs publics qui ont tardé à en interdire l’usage, malgré sa nocivité scientifiquement avérée. La différence fondamentale entre tous ces exemples et le cas des ondes électromagnétiques est que pour les premiers, la science a précédé l’action publique, elle avait lancé l’alerte avant que la société ne prenne conscience des dangers. Dans le cas des ondes, la science dit qu’il n’y a pas de problème, c’est une partie de la société qui voit un problème là où il n’y en a pas. Curieusement, l’auteur oublie un autre scandale sanitaire qui devait en être, la science ayant largement fait la preuve de sa nocivité, mais personne ne semble s’en émouvoir. Il s’agit de la télé...

Sous prétexte du principe de précaution, il faudrait vivre dans des cavernes loin de tout. (Ne) lisez (pas) ce livre, c’est effrayant : les ondes électromagnétiques sont partout, un cancer se profile à l’horizon au moindre interrupteur actionné : car oui, le courant électrique qui alimente notre vie confortable génère des ondes électromagnétiques. Mais ça fait plus d’un siècle que c’est le cas, sans que cela n’ai posé le moindre problème de santé (autre que ceux imputables au courant lui-même, comme les électrocutions). De même pour les lignes hautes-tensions qui zèbrent nos paysages depuis des décennies sans poser de problèmes de santé scientifiquement avérés (même si elles posent d’autres problèmes environnementaux). Les ondes radio (« très hautes fréquences » — VHF — 30 à 300 MHz) existent dans notre environnement depuis l’invention de la radio (et de la télévision), donc avec plus d’un siècle de recul, pas de problème de santé là non plus. On peut éventuellement se poser des questions sur les fréquences ultra-hautes (UHF — 0.3 à 3 GHz), utilisée par la téléphonie mobile, et dans les fours à micro-ondes, entre autre. Si les antennes relais ne présentent aucun risque pour la population, en revanche, on peut se poser des questions sur le téléphone portable : on ne peut effectivement pas s’éloigner du téléphone (la puissance des ondes électromagnétiques décroit avec le carré de la distance), puisque par essence il doit être maintenu sur l’oreille en communication. Il y a peu de recul sur l’utilisation de ces appareils (10-15 ans). Si l’étude Interphone n’a pas montré de problème quant à l’utilisation des téléphones portables sur le recul disponible, en revanche, les recherches continuent et les scientifiques restent vigilants. Et ils ne sont pas tous à la solde de l’industrie de la téléphonie mobile dont le but serait de cacher au public un risque lié à cette technologie. De la même façon que tous les scientifiques ne sont pas à la solde de l’industrie du tabac, et tous les climatologues ne nient pas le réchauffement climatique !

L’auteur dénonce les conflits d’intérêts pouvant exister entre tel scientifique et l’industrie des télécommunications (à juste raison), il en existe aussi dans le domaine de la propagation de la peur des ondes. Et si l’auteur d’un livre a (quand même) l’honnêteté de ne pas proposer ses services d’ « expert » directement, on peut quand même facilement imaginer qu’un tel livre est là pour servir ses propres intérêts...

On pourrait croire que si ça les amuse, ces gens, ces organismes, de propager la peur des ondes, après tout, il ne font de mal à personne. Mais une population qui a peur, surtout si cette peur n’est pas fondée, peut avoir des répercutions sur la bonne marche de la société. Outre le fait que nombre d’escrocs en profitent pour vendre à toute une frange crédule (et il faut vraiment être expert — un vrai ! — en la matière pour ne pas succomber au discours formidablement bien rodé des alarmistes) des appareils de protection, des conseils pour soi-disant assainir votre maison (comme l’auteur du livre), on commence à voir des procès gagnés contre la technologie en dépit de toute vérité scientifique. Des « experts » soi-disant indépendants (de quoi ?), mais qui œuvrent en fait pour une vision dogmatique de la chose au service d’ONG finalement peu scrupuleuses, ou tout simplement sûres de leur bonne foi tout en reniant les faits scientifiques. Ce type de lobbying anti-ondes, qui propage cette peur, engendre un frein à l’activité économique (déploiement d’antennes-relais ralenti, stoppé...), et à l’innovation. Sans prétendre qu’il faut innover à tout prix, il ne faut pas non avoir peur des innovations technologiques à tout prix. Un pays qui écouterait systématiquement ce genre de discours extrémiste en viendrait à arrêter toute recherche scientifique, et à se calfeutrer des « pseudo-dangers » du monde pour se replier sur lui-même à l’image des Amishs... Donc oui, propager ce type de peurs infondées est irresponsable. Donc Carl de Miranda est irresponsable, mais après tout, il a bien la liberté d’écrire un livre sur ce qu’il veut, s’il trouve un éditeur pour le publier, après tout pourquoi pas, ce ne sont pas les bouquins ésotériques et remplis d’âneries qui manquent. En revanche, quand un journaliste fait une recension dithyrambique de ce type d’ouvrage, là, c’est totalement irresponsable. Limite malhonnête. Ce que dit Yves Heuillard de ce livre est édifiant et pitoyable : « Son ouvrage est le résultat d’une infatigable analyse de la quasi-totalité des études disponibles sur le sujet. Et qui de mieux placé qu’un diplômé de l’École polytechnique et de l’École supérieure d’électricité pouvait le rédiger ? Que nenni, la quasi-totalité des études (sérieuses) sur le sujet est loin d’être analysée par Carl de Miranda dans son ouvrage, en revanche, on y trouve une multitudes de pseudo-références à des études délirantes (mais dont on n’a pas les sources, seulement de vagues « d’après une étude scientifique... »). Comme si le fait que l’auteur soit Polytechnicien et diplômé de Sup’Elec soit un gage de qualité « La crédibilité du polytechnicien » ; quant au fait qu’il soit versé dans les « arts » ésotériques, le journaliste y voit un « esprit libre. » Il termine sa recension par : « Il instille à son lecteur les bons réflexes, et les moyens de naviguer dans l’information (ou la désinformation) à sa disposition par ailleurs. » Il instille surtout une peur fausse, irraisonnée, surréaliste. Et quand on parle de désinformation, cet article en est un bel exemple (sans parler du bouquin). Le comble pour un journaliste et un site d’information comme Reporterre.


En réponse à :

Réduire les ondes électromagnétiques, c’est (mal) parti

20 octobre 201808:34, par Guillaume Blanc

Bonjour, pour voir les conclusions et recommandations de l’ANSES au sujet de l’hypersensibilité aux ondes électromagnétiques, voir : https://www.anses.fr/fr/content/hyp... ; ; en fait, les études scientifiques sérieuses concluent à l’absence de lien de cause à effet entre les symptômes de cette maladie et les ondes électromagnétiques. À ce sujet, je vous recommande la lecture du livre de Jérôme Bellayer, « Electrosensible, vivons-nous les prémices d’une catastrophe sanitaire ». Quant à l’appel que vous citez, il repose en grande partie sur le rapport Bionitiative, dont la méthodologie scientifique est (...)


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