Les tribulations d’un (ex) astronome

Flûte de Pan

vendredi 1er septembre 2006 par Guillaume Blanc

C’est à cause d’Isidore. Frère Isidore, à l’abbaye de Boscodon dans les Hautes-Alpes. Nous, on l’appelle Isidore tout court. Un homme extraordinaire, que j’ai connu avant de naître puisque c’est un vieil ami de mes parents. Ex-tailleur de pierre, il s’est mis à jouer de la flûte de Pan, il y a bien longtemps, pour retrouver le souffle que la poussière des pierres lui avait fait perdre. Et puis il s’est mis à fabriquer ces instruments avec un immense talent.

Je vais le voir régulièrement à Boscodon, quand je passe dans la région, il me parle de cette abbaye, des fouilles pour retrouver des pierres de l’ancien cloître, de la façon de construire une abbaye, des outils des tailleurs de pierre du Moyen-Âge, de son orgue, qu’il a fabriqué, en bois, de la flûte de Pan...

La flûte de Pan. J’ai toujours rêvé d’apprendre à jouer d’un instrument. Ado, j’avais fait une tentative (avortée) avec la guitare. Et puis je suis allé poursuivre d’autres chimères, ailleurs, la guitare, et plus généralement la musique, sont tombés dans l’oubli. La flûte de Pan, ça semble relativement simple de se faire rapidement plaisir, j’adore le son, un peu suave, cotonneux, qui en sort... L’idée d’acheter une de ses flûtes à Isidore a fait son chemin. Je lui en ai parlé, et... il m’en a donné une, de flûte ! Quel honneur ! Pour y faire honneur, justement, il ne me restait plus à mettre la main à la pâte, apprendre à en jouer.

Tout seul, ça ne m’est pas apparu trivial : je ne savais même pas quelle note correspondait à quel tuyau ! J’ai essayé de trouver des cours à Paris, via le web, sans succès. Le bel instrument de kotibé trônait donc dans mon appart comme un vulgaire objet de décoration.

Depuis plus de dix ans, Isidore organise un stage de flûte de Pan, le temps d’un week-end pour jouer, se perfectionner, apprendre, apprivoiser cet instrument. Ça se passe le dernier week-end d’août. Armé de ma flûte, et disponible cette année, j’ai décidé d’y participer. Depuis deux ans, c’est le virtuose Michel Tirabosco qui assure le stage des « confirmés ». Évidemment, ce n’était pas pour moi, qui cherchait encore les notes sur ma flûte ! Le stage « débutants » fut sous l’égide de Barbara Van Woerden, ancienne élève de Michel.

Samedi matin, je me rends au-dessus d’Embrun, sur la tortueuse route des Puys, à l’endroit que je connaissais comme le centre équestre des Trois Soleils - la dernière fois que j’y suis allé, je devais avoir 13 ou 14 ans, c’était pour y faire de l’équitation, dans le cadre d’une option au collège. Ce qui ne me rajeunit décidément pas. Désormais, plus de chevaux, la carrière à fait place aux herbes... Un parisien, Philippe, a racheté les bâtiments pour en faire sa résidence secondaire, dans le silence des Hautes-Alpes, en plein soleil, avec vue sur la vallée du Boscodon et le Morgon (dommage que deux lignes électriques haute tension le zèbrent, ce paysage). Mais quand même, y’a pire, comme endroit. C’est donc chez ce monsieur que le stage à lieu. Visiblement j’arrive le premier. Je croyais que le rendez-vous était à neuf heures. En fait c’était plutôt dix heures. Les participants arrivent petit à petit. D’un peu partout. Gap, Briançon, Genève, Paris, Annecy... Le groupe des forts s’installe dans l’écurie, avec Michel, nous autres allons nous dorer au soleil sur la terrasse.

Je découvre qu’il existe différents types de flûtes, accordées différemment. J’ai une flûte en « DO », d’autres ont une flûte en « SOL » : un tuyau de moins et un FA# au lieu du classique FA... On apprend à souffler dans l’engin pour en sortir des sons. Ce n’est pas trivial trivial... J’ai toujours un peu de peine à sortir une note du gros tuyau, le DO. Quant aux petits tuyaux, tout à gauche, ce n’est même pas la peine, rien n’en sort. Chaque chose en son temps : il me reste malgré tout deux octaves à maîtriser ! La façon de souffler dans un tube détermine la tonalité de la note qui en sort... Infinie variété !

La longueur et la section de chaque tube en détermine la note et la tonalité. L’accordage se fait en ajoutant ou bien en retirant de la cire d’abeille, tassée au fond du tube.

La plupart des stagiaires du groupe sont déjà peu ou prou musiciens. Moi je redécouvre les notes après quinze ans d’absence. Déjà qu’à l’époque, le solfège, bof, bof. Donc, j’écris mes « DO RÉ MI... » le long de la portée, au-dessus des petites boules unijambistes. On découvre quelques morceaux faciles. Barbara nous fait jouer tous en même temps : ça sonne mieux, les plus aguerris menant la danse. Les autres suivent tant bien que mal, les couacs sont étouffés dans la masse. Je fais parti des « autres » qui suivent tant bien que mal, et qui étouffent leurs couacs dans la masse.

La première journée est assez épuisante. J’étais plutôt content de m’arrêter le soir ! Mais j’étais aussi ravi d’avoir pu, quand même, sortir quelques sons mélodieux de ce superbe instrument. Le dimanche est consacré à la répétition de quelques morceaux qui seront joué en ouverture du concert donné l’après-midi même dans l’abbatiale de l’abbaye de Boscodon. Si ça ne tenait qu’à moi, hein, bon, euh, mais ça ne tient pas qu’à moi. Je m’aperçois que j’ai beaucoup de mal à suivre le groupe : je me mélange les pinceaux entre les notes de la partition et les tubes dans lesquels je dois souffler pour les sortir. J’aurais besoin de travailler un peu plus tout ça en solitaire avant de me produire en public.

Isidore qui me demande si c’est plus facile que les étoiles. Je lui réponds que non, sinon j’aurais été musicien !

15h. Nous partons pour Boscodon. Ce n’est pas tant ma (modeste) prestation à venir qui m’anime que la perspective d’entendre de vrais flûtistes jouer. D’ailleurs, nous autres, débutants, ouvrons la danse. Comme ça, la suite n’en sera que plus délectable. Et elle le fut. Je ne pus que mesure l’étendu du chemin qu’il me reste à parcourir. Infinitudes musicales...

Rester motivé, souffler, régulièrement. La flûte de Pan, en appart’, ça le fait ?


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