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L’amant de Lady Chatterley
Laborieux. À un point tel que je ne me souviens même plus quand j’ai commencé la lecture de cette œuvre de David Herbert Lawrence. Ça a duré un certain nombre d’aller-retours en RER. J’ai bien fait de la lire en version française, plutôt qu’en version anglaise originale. Sinon, il m’aurait fallu encore quelques milliers d’aller-retours en RER. D’autant qu’une note du traducteur en début d’ouvrage prévient le lecteur : « Plusieurs dialogues assez importants de ce livre sont écrits en patois du Derbyshire. » Ça aurait été un peu comme les longues digressions en latin dans le texte du Nom de la Rose de Umberto Eco. Donc, j’optais pour la traduction en bon français, tant pis si je perdais la couleur locale au passage.
Si le bouquin m’attira c’est grâce au film de Pascale Ferran, Lady Chatterley, sorti sur les écran l’année dernière, que pourtant je n’ai pas vu. J’ai donc voulu me rattraper donc avec le livre. Mais je ne suis pas en reste du film, le livre ne m’a donné que plus envie de le voir : à la première occasion je le regarderais.
Laborieux mais superbe. Laborieux et superbe, un peu comme Belle du seigneur d’Albert Cohen, dans un registre similaire, d’ailleurs. À l’époque, la lecture du pavé d’Albert Cohen m’avait duré quelques temps. Comme toujours dans ce genre de littérature vaguement classique mais potentiellement épaisse — épaisse, en nombre de pages, et non visqueuse ou gluante, car plutôt légère, bien au contraire — le plus dur, c’est le démarrage. La mise en place. Il faut passer le cap, pour ensuite pouvoir se délecter des personnages.
La préface de l’auteur lui-même est très en avance sur son temps (1928) et promet nombre de plaisir des sens dans les pages qui suivent. D’ailleurs, à en croire Wikipédia, il n’a pas été compris, à l’époque : pensez-vous, parler explicitement de l’acte sexuel dans une prude Angleterre relevait du suicide littéraire ! D’autant que la liaison que décrit l’écrivain est celle entre une Dame de bourgeoisie, « Lady » Chatterley, avec son domestique, garde-chasse de son état, Oliver Mellors. Aujourd’hui les descriptions d’actes sexuels tels que ceux qui ornent sublimement ce roman semblent presque pudiques, tant la chose est devenue — presque — monnaie courante. Les vœux de D.H. Lawrence auraient-ils étaient exaucés ? « Je veux qu’hommes et femmes puissent penser les choses sexuelles pleinement, complètement, honnêtement et proprement. » Certes il reste encore pas mal de chemin à faire pour passer de deux millénaires de joug judéo-chrétien qui se dressent encore face à nous sous la forme de tous les tabous possibles et imaginables à la liberté de forniquer du Meilleur des Mondes. Un jour, peut-être, qui sait ?
« On prétend que le monde est plein de possibilités. Mais elles se réduisent à bien peu de chose dans la plupart des cas. »
Ça c’est bien vrai... Encore que ça dépend pour qui...
« — Libidineux ! eh bien, pourquoi pas ? Je ne vois pas en quoi je fais plus de mal à une femme en couchant avec elle qu’en dansant avec elle, ou même en lui parlant de la pluie et du beau temps. C’est simplement un échange de sensations au lieu d’un échange d’idées. Alors pourquoi pas ? »
Oui, hein, pourquoi pas se changer les sensations comme on se change les idées !
« — Peut-être que c’est l’état de l’air qui abaisse la vitalité des hommes ?
— Non ; c’est l’homme qui empoisonne l’univers.
— Il empoisonne son propre nid. »
Lawrence, visionnaire ? Faut dire que l’action se passe dans une petite ville minière des Midlands, une petite ville où toute humanité semble éteinte par la noirceur du charbon.
« L’ineffable beauté de ces fesses chaudes et vivantes qu’elle touchait ! La vie dans la vie, la simple beauté, puissante et chaude ! Et le poids étrange de ces couilles entre ses jambes ! Quel mystère ! Quel poids étrange, lourd de mystère, qu’on pouvait tenir ainsi, doux et lourd, dans ses mains ! »
Et oui, on se côtoie depuis des millénaires, hommes et femmes, et l’on reste « mystérieux » les eux pour les autres. C’est dramatique !
« — Tu es un bon con tout de même. Le meilleur petit con qui reste sur la terre. Quand tu le veux bien !
— Qu’est-ce que ça veut dire, con ?
— Comment, tu ne le sais pas ? Con ! C’est toi, là, en bas.
— Alors, le con, c’est comme baiser ?
— Non, non. Baiser, c’est seulement ce qu’on fait. Le animaux baisent. Le con, c’est beaucoup plus que ça. C’est toi-même, comprends-tu ? Et tu es bien autre chose qu’un animal, même en baisant. Con ! C’est ce qui te rend si belle, ma petite ! »
Éducation sexuelle !
« Rien n’est plus calmant que d’imaginer l’extermination de l’espèce humaine et le long intervalle qui s’écoulera avant que naisse une autre race. Et si nous continuons ainsi, si tout le monde, intellectuels, artistes, gouvernements, industriels, ouvriers, si tout le monde continue à tuer frénétiquement tout ce qui reste de sentiment humains, le dernier vestige d’intuition, le dernier bon instinct, si cela continue ainsi en progression algébrique, alors adieu à l’espèce humaine ! Adieu, mon amour ! »
Le garde-chasse était en train de s’éteindre doucettement quand Lady Chatterley est venue raviver la petite flamme qui vivotait encore en lui... Quant à l’optimisme vis-à-vis de ses contemporains, bah, le monde survit encore. Pour un temps.
« Parce que, moi, quand je sens que l’espèce humaine s’est condamnée elle-même par sa propre bassesse, alors je trouve que les colonies ne sont pas encore assez loin. La Lune même ne serait pas encore assez loin. Parce que, là encore, on pourrait regarder en arrière et voir la Terre, sale, basse, insipide parmi les étoiles : rendue ignoble par les hommes. »
J’espère que nous n’en arriverons jamais là. Parce que la Planète Bleue, elle est belle, quand même...Ceci étant, aller faire un tour sur Mars, je ne serais pas contre...
« Tout départ mène à une rencontre ; et toute rencontre est un nouveau lien. »
Ah ! La magie de la Rencontre !
« Après tout, l’amour peut-être merveilleux. Quand on sent qu’on vit, qu’on est au centre de la création. »
Y’a de ça, y’a de ça...
« L’humanité a toujours recherché avidement les postures sexuelles extraordinaires ; et, si un homme tient à posséder sa femme, comme dit Benvenuto Cellini, « à la manière italienne », pourquoi pas ? »
Ben oui, après tout, pourquoi pas ? Je ne sais pas trop ce que vient faire l’artiste de la renaissance italienne Benvenuto Cellini dans l’histoire, mais ma culture est très limitée en la matière !
« Les gens devraient s’occuper de leurs propres couchages ; et alors ils écouteraient moins tout ce qu’on raconte sur ceux des autres. »
C’est vrai ça, d’abord ! Cette manière d’aller zieuter ce qui se passe dans le lit du voisin pour tout mettre sur la place publique. M’enfin !
« L’argent empoisonne ceux qui en ont et affame ceux qui n’en ont pas. »
Cela ne saurait être plus vrai. Encore qu’il existe désormais une marge, ni trop ni pas assez, qui reflète un certain confort matériel sans pour autant pourrir la vie.
Guillaume Blanc
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