Les tribulations d’un (ex) astronome

Le visage de Dieu

lundi 6 septembre 2010 par Guillaume Blanc

Les frères Bogdanov récidivent. Après « Avant le Big Bang », ils reviennent à la charge avec « Le visage de Dieu ». Rien de moins. Je n’avais pas lu le premier, ne voulant pas ajouter de l’eau au moulin de ces charlatans, m’étant alors contenté des critiques acerbes que j’avais pu lire un peu partout. Mais avec celui-là, je voulais en avoir le cœur net et me faire une opinion par moi-même. Je l’ai donc emprunté et lu.

La lecture de ce livre me conforte dans l’idée que les frères Bogdanov sont d’excellent conteurs d’histoire, c’est bien écrit, le style est alerte et fluide, c’est plaisant à lire. En revanche, dès qu’il s’agit de parler de sciences, et plus particulièrement de physique, on se rend compte rapidement, pour peu que l’on ait quelques connaissances en la matière, qu’ils ne comprennent pas toujours ce qu’ils racontent, en particulier sur les phénomènes physiques simples que tout étudiant apprend au cours de sa scolarité en licence. Par ailleurs ils surfent sur l’art de broder autour des fragments d’information dont ils disposent.

Leur livre est grosso modo découpé en trois parties. La première retrace l’histoire de la découverte du rayonnement fossile, pierre angulaire de la théorie du Big Bang qui explique l’histoire de l’univers. Ils enrobent les faits de descriptions mielleuses, dont on imagine bien qu’elles ne proviennent que de leur fertile imagination. Il n’est pas toujours facile de séparer le bon grain de l’ivraie. Par ailleurs, ils flirtent sans arrêt avec la théologie et la métaphysique [1], ce qui rend leur discours globalement insupportable. Sans oublier une bonne dose de numérologie [2].

Dans leur quête de l’être surnaturel à l’origine de toute chose, et en particulier de notre univers et de nous-même, le lecteur a droit au couplet sur les constantes fondamentales de la physique parfaitement ajustée (par qui ?) pour que nous soyons là à en discourir. Ils abordent brièvement la complexité de la vie, en oubliant que la théorie de l’évolution permet de l’expliquer (en procédant par petites étapes successives dans la croissance de la complexité), il n’y a rien de surnaturel là-dedans, même s’ils prétendent que (p. 186-187) : « Tout semble au contraire avoir été minutieusement préparé, organisé dans le Grand Théâtre cosmique pour permettre l’apparition, sur la scène de l’Univers, d’une matière ordonnée, puis de la vie, et enfin de la conscience. Ce réglage d’une précision vertigineuse permet-il d’en déduire de facto une Intelligence organisatrice transcendant notre réalité ? » Quelle rhétorique !

Dans une deuxième partie, ils sont obligés d’aborder un peu de physique, pour décrire ce qu’est ce rayonnement fossile et comment les physiciens le détectent et le mesurent. Ce n’est pas complètement faux, mais c’est très (trop !) imprécis, cela démontre leur absence de maîtrise des phénomènes physiques de base [3].

Dans une troisième partie, ils tentent d’expliquer leur propre théorie sur l’origine du rayonnement fossile, l’origine des briques élémentaires, qui nous proviendrait d’avant le Big Bang. Carrément. Bref, ils ont beau dire sans arrêt « nous pensons que », le fait est qu’ils sont bien les seuls à penser ainsi.

Le chapitre 20, « D’où vient l’énergie noire ? », vaut son pesant de cacahouètes. les frères Bogdanov assurent sans coup férir qu’ils sont purement et simplement les inventeurs de l’énergie noire (« nos calculs débouchaient sur quelque chose d’étrange »). Juste avant sa mise en évidence observationnelle, en juin 1997, ils disent qu’ils essayaient de convaincre Gabriele Veneziano de leur découverte théorique. Celui-ci n’étant pas très réceptif, ils en concluent qu’il est « en général distant face aux constructions trop mathématiques ». Quand on sait que Veneziano est l’un des pères de la théorie des cordes, superbe édifice de physique théorique (donc un peu de maths dedans, quand même), l’affirmation fait sourire gentiment. Page 229 : « Or ce qui n’allait pas dans les équations, c’est que ce champ invisible, totalement inconnu, ne pouvait bizarrement qu’accélérer sans cesse l’expansion de l’Univers. En somme, à en croire nos calculs, le cosmos était comme soumis à l’action d’une force invisible qui le forçait à se ruer de plus en plus vite vers l’infini. » Truc classique des charlatans en sciences, ils tentent de faire valoir leurs théories foireuses en prenant le grand public à témoin ; en effet, les Bogdanov n’ont jamais exposé un quelconque résultat là-dessus dans une revue scientifique à comité de lecture (c’est-à-dire dont les lecteurs sont les scientifiques spécialistes du sujet), comme cela se pratique normalement. Une phrase lâchée comme ça dans un livre de vulgarisation ne vaut rien, si ce n’est, malheureusement, à discréditer la science. La vraie. De surcroît, on peut facilement conclure que le truc qu’ils avaient dans leurs équations n’était pas la fameuse énergie noire, car celle-ci n’a pas dominé tout le temps, donc l’univers n’a pas accéléré « sans cesse ». Ils mentent sans vergogne, mais comme ils ne comprennent pas tout, leurs mensonges s’effondrent comme des châteaux de cartes. Encore faut-il avoir quelques connaissances préalables sur le sujet pour démêler leur propos.

Les ultimes pages avec la description de leur pseudo-théorie qui résout tout, sont du grand n’importe quoi. Ils parlent de temps imaginaire, probablement parce qu’ils ont lu ça dans Stephen Hawking (« Une brève histoire du temps »), et l’assimile à l’« information », version bogdanofiée du théorème de Noether, qui stipule que la conservation de l’énergie découle de l’homogénéité du temps. Leur temps imaginaire d’avant le Big Bang a ainsi son pendant, l’« énergie imaginaire » qu’ils appellent « information. » Qui, bien sûr, se mesure en bits ou octets. Comme ça, grâce aux frères Bogdanov, vous savez d’où viennent ces gigaoctets qui tapissent mystérieusement les entrailles de vos ordinateurs et autres disques durs : mais oui, d’avant le Big Bang ! Donc Dieu a créé l’information, qui est devenue de l’énergie qui est devenue de la matière. Mais qui a créé Dieu ? Et l’information d’où vient-elle ? D’avant avant le Big Bang ? Et voilà, tout est finalement donc codé (les constantes fondamentales de la physique, l’évolution, la complexité de la vie, l’intelligence, etc, etc) sur un gigantesque CD (ou DVD). Donc Dieu, en fin de compte, c’est Philips ! CQFD.

Le plus insupportable c’est que les auteurs ponctuent leur récit de citations de « spécialistes » soit provenant des livres de vulgarisation que ceux-ci ont écrit, soit provenant de la correspondance qu’ils prétendent avoir eu avec certains d’entre eux. Ces citations, innombrables, sont évidemment là pour étayer leur propos, comme si citer ces spécialistes aller donner plus de poids à leur mensonges.

Mais à côté de spécialistes incontestables, on trouve d’autres énergumènes, comme Freeman Dyson, contestable dans ses idées, cité (p. 185) lors d’une conférence qu’il donna à la controversée — car prêchant un peu trop le créationnisme — Université Interdisciplinaire de Paris.

Finalement, pour moi, la plus grande énigme de ce livre c’est pourquoi Peebles (un grand théoricien qui a, entre autre, prédit l’existence du fond de rayonnement fossile), Wilson (co-découvreur du fond de rayonnement fossile avec Penzias, et Prix Nobel de physique 1978) et Mather (qui était responsable de l’instrument sur le satellite COBE qui mesure avec précision le spectre du fond de rayonnement fossile, et Prix Nobel de physique en 2006) ont accepté d’en écrire une postface. Assurément des physiciens de premier rang — dont les textes valent vraiment la peine d’être lus, à défaut des 260 pages d’âneries qui les précédent —, mais de langue anglaise, qui ne connaissent pas nos jumeaux nationaux, et qui se sont laissés tendrement emberlificotés par les beaux parleurs.

Bref, vous l’aurez compris, ce livre n’est pas le meilleur texte de vulgarisation sur la cosmologie, loin s’en faut. Le vrai est intimement mélangé au faux, à tel point que le lecteur averti a parfois du mal à démêler l’écheveau. Donc autant laisser ce truc de côté et lire des choses plus constructives. Le pire, dans tout ça, c’est qu’il a fait parti des meilleures ventes de la FNAC, où il est « coup de cœur des vendeurs ». Bref, peut-être que tout cela ne fait pas de mal, si toutefois cela ne fait pas forcément du bien à la science.

Un livre qui mêle un peu trop, à mon goût, métaphysique et science — d’ailleurs à ranger sur l’étagère métaphysique plus tôt que science —, se fondant malhonnêtement sur la réalité de la deuxième pour asseoir la première. Non, la science ce n’est pas ça. Et si les gens semblent avoir un besoin insurmontable de vouloir concilier les deux, comme en témoignent les trop nombreuses ventes de ce livre, on est en mesure de s’interroger sur la « vraie » science elle-même : pourquoi le public ne s’en satisfait pas ? Cet irrépressible besoin de « métaphysique » de la part de mes contemporains m’intrigue au plus haut point...

Quant aux Bogdanov, le mystère demeure : pourquoi ne se cantonnent-ils pas à ce qu’ils savent bien faire, c’est-à-dire raconter des histoires, en laissant la physique et la cosmologie à ceux qui la comprennent ?


Liens :

[1Les satellites permettant d’observer le rayonnement fossile sont ainsi qualifiés successivement d’« astronomes de métal » et de « prodigieuse machines métaphysiques » (p. 132) ; allez demander aux physiciens qui ont construit le satellite Planck s’ils ont mis de la métaphysique dedans !

[2Ainsi : (p. 33) « [la force nucléaire forte] est suivie par la force électromagnétique qui est 137 fois plus petite (mais pas 138 ni 135 fois). » Il y a là, confusion entre la notion de force et d’intensité de la force, mais passons. Les frères Bogdanov semblent ignorer que la physique n’est pas une science aussi exacte que les mathématiques, et que la notion d’« entier naturel » est une notion mathématique, mais rarement physique. L’exactitude n’est pas de ce monde, et les physiciens font des mesures, y compris des constantes fondamentales, comme la constante de structure fine dont il est en fait question ici, qui sont entachées d’erreurs. Donc la valeur de cette constante (sans dimensions) ou plutôt de son inverse ne vaut pas 138, ni 136, ni 137, d’ailleurs, puisqu’elle vaut 137,035999679(94) avec une incertitude sur les dernières décimales. Nul besoin d’invoquer quelque chose de « surnaturel » pour expliquer la valeur de cette constante !

Ou encore (p. 164) : « Par quelle étrange coïncidence la taille d’un homme est-elle égale au rayon de la Terre multiplié par celui d’un atome ? Pourquoi, de la même manière, la masse d’un être humain est-elle égale à la masse de la Terre multipliée par la masse d’un atome ? » Là, je ne peux qu’inviter les frères Bogdanov à venir suivre le cours de physique élémentaire que nous dispensons à l’université Paris 7 pour les étudiants en première année : ils apprendraient ainsi que si on multiplie deux masses ensembles, on obtient une masse au carré ; que la multiplication de deux longueurs donne une surface, et non une longueur ! Et que donc des kg$^2$ ne sont pas égaux à des kg. Ou des m$^2$ ne sont pas des m !

[3Ainsi, p.22, « [...] dans le sillage d’atomes tellement accélérés [...] » : si les Bogdanov avaient ne serait-ce qu’un niveau de deuxième année de licence (bac+2), ils sauraient qu’un atome est électriquement neutre et ne peut donc pas être accéléré ; de surcroît, ce sont des protons (chargés électriquement) qui sont accélérés dans l’accélérateur LHC.

Page 33, « [...] sans cette forme de radioactivité [la force faible], le soleil ne pourrait pas briller [...] » encore une assertion d’une imprécision de profane, amalgame entre force faible et radioactivité, qui elle n’est pas une force, mais une conséquence de la propriété de certains noyaux atomiques, doublée d’une méconnaissance totale du fonctionnement du soleil, puisque nulle radioactivité en son cœur, mais des réactions de fusion thermonucléaire ; toujours est-il que si les Bogdanov avaient quelques notions de base en astrophysique, ils sauraient que c’est la force de gravitation qui fait briller le soleil, et non la force faible...

Page 125 : « Bien au contraire la première lumière de l’univers [ie le rayonnement fossile micro-onde] est partout. Dans votre jardin et à l’intérieur de votre voiture. » Là encore, la physique n’est pas assimilée : les micro-ondes, celle de votre four homonyme ou celles du rayonnement fossile pénètrent à travers certains matériaux (les aliments), mais sont réfléchies par le métal (essayez donc de mettre un récipient métallique dans votre four micro-onde, pour voir !) ; peu de chance donc, de voir des photons issus du rayonnement fossile à l’intérieur de votre voiture, il vaudra mieux mettre votre détecteur (comme une antenne métallique réflectrice, à l’instar de celle de Penzias et Wilson) à l’extérieur de celle-ci. Pas de bol, l’exemple est mal choisi !

Page 128, les auteurs attribuent des propriétés « exceptionnelles » à la « lumière » issue du rayonnement fossile, comme celle que pour elle, le temps n’existe pas. En fait c’est vrai pour tous les photons, y compris ceux de votre lampe de poche ou ceux émis par votre téléphone portable ! Rien d’extraordinaire là-dedans...

Page 132, « Depuis notre monde [comprenez : la surface de la Terre !], noyé dans un brouillard perpétuel de poussières et d’ondes en tous genres, il n’est pas possible de vraiment déceler les infimes détails indispensables à de nouvelles découvertes. Pour entrer dans les profondeurs de la première lumière, il va falloir observer de plus loin. Depuis l’espace. » Certes. Mais ce n’est pas parce que « notre monde est un brouillard perpétuel de poussières et d’ondes » — et je me demande ce que cela signifie réellement — que l’on va observer le rayonnement fossile depuis l’espace : c’est surtout parce que les micro-ondes dont il est composé sont absorbées par la vapeur d’eau présente dans l’atmosphère (c’est le principe utilisé par le four à micro-ondes). Mais on ne va pas seulement dans l’espace pour ce faire, on peut aussi aller en altitude, avec des ballons, ou en antarctique, où l’atmosphère est particulièrement sèche.

La façon dont ils décrivent les observations du satellite COBE est naïvement enfantine (p. 139-140) : « Que voit-on sur cette image si étrange, cette sorte de sphère aplatie aux pôles ? d’abord un bain de couleur bleu sombre, comme un océan profond qui couvre tout le globe, de l’hémisphère Nord à l’hémisphère Sud. Puis distribuées çà et là, des taches. Elles s’étirent comme des continents et des îles de différentes couleurs allant du bleu ciel au rouge en passant par le violet. » Pourquoi pas. Si encore par la suite ils expliquaient qu’il s’agit en fait d’une carte projetée de tout le ciel (et non de la Terre), montrant les infirmes variations de températures du rayonnement fossile en fausses couleurs (bleu pour plus froid, rouge pour plus chaud). Et si les illustrateurs de la NASA avaient choisi de coder ces différences de température, non en bleu et rouge, mais en noir et blanc, la description des Bogdanov serait tombée à l’eau, pour ainsi dire !!

Page 148 : « Tel est l’écart inconcevablement faible que WMAP parvient à déceler : un cent millième de degré ! » Et là, les auteurs ont mal lu le site de la NASA auquel ils se réfèrent si souvent comme dans l’espoir d’en tirer quelque crédibilité, car le satellite WMAP est dix fois plus sensible que COBE, qui pouvait déjà distinguer des variations de température de un cent millième de degré. On parle alors du millionième de degré !

Pages 189 et 190 on a droit à l’amalgame entre topologie et géométrie de l’univers. Ce qui montre que non seulement nos docteurs en physique théorique et en mathématiques ont des lacunes en physique de base, mais également en mathématiques. La topologie s’intéresse à la forme globale de l’univers (le coup du simplement connexe), la géométrie à sa forme locale, c’est-à-dire à sa courbure. Le texte est ici confus, le lecteur ne sait pas trop où il va, probablement à l’instar des auteurs. On re-enfonce un peu le clou plus loin, p. 196. On parle d’univers sphérique pour évoquer une courbure (locale) positive, tandis que l’on parle d’univers torique pour évoquer sa topologie, donc sa forme globale. Avec, à la clef, une subtile digression sur la conjecture de Poincaré, avec laquelle ils en déduisent (« nous pensons que ») que l’univers est sphérique, en contradiction avec les observations, qui pencheraient plutôt pour un genre de ballon de foot — mais pas un ballon sphérique comme celui des Bogdanov !

Page 191 : « [...] ces mesures convergent toutes vers une densité dite critique dont la valeur est incroyablement proche de 1 [...] » la densité critique de l’univers ne vaut certainement pas 1, il y a confusion ici, avec le paramètre de densité total, qui est un nombre sans dimension égal au rapport de la densité totale sur la densité critique !

Page 213 : « Le temps de Planck ! La plus petite fraction de temps que l’on puisse mesurer : 0,000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 1 seconde. » Encore une erreur sur la différence entre théorie et observation ou mesure. Le plus petit intervalle de temps que l’on sache actuellement mesuré, avec des horloges atomiques, est de l’ordre de $10^-15$ secondes. Or le temps de Planck est un concept théorique, qui donne également l’âge de l’univers en deçà duquel la physique actuelle ne sait pas aller, faute de théorie quantique de la gravitation.

Et pour finir en beauté, page 258 : « Lancé le 14 mai 2009, PLANCK poursuit sa mission extraordinaire. Plongé dans le vide et le froid glacial de l’espace, loin de l’influence gravitationnelle de notre planète et du soleil, loin de tout, il a pour mission d’approfondir le travail de COBE et de WMAP. » Visiblement, les auteurs n’ont qu’une notion très vague de ce qu’est la force de gravitation. Car le satellite PLANCK est en orbite autour du point de Lagrange L2, qui n’est pas le moins du monde loin de tout et encore moins loin de l’influence gravitationnelle de la Terre et du Soleil, puisque c’est un point d’équilibre (instable) au sein de ce système gravitationnel à deux corps.

Bref, la liste est loin d’être exhaustive, malheureusement...


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