Les tribulations d’un (ex) astronome

L’envers du miroir

lundi 14 mai 2007 par Guillaume Blanc

Il y a un peu plus de deux ans, débutait ce blog. Il y a deux ans, je passais mes derniers concours pour devenir chercheur. Avec un succès inattendu. Maintenant, je fais parti de la commission de spécialistes chargée d’examiner et de classer les candidatures aux postes de maître de conférence. Dans ce cadre, il m’a fallu emporter du travail en vacances, puisque j’avais récupéré les trois dossiers que je devais rapporter la veille de partir dans le Caucase. Comme j’étais déjà limite niveau poids, et que de toute façon je savais que je n’aurais pas le temps de la lire, j’ai laissé dans mon bureau la thèse (trois cents pages, presque un kilo de papier, au bas mot) que l’un des candidats avait cru bon d’adjoindre à son dossier ! Et j’ai potassé mes dossiers le soir, les doigts de pieds en éventail, au coin du feu au refuge Ullutau, à 2300 m d’altitude, de retour de course en montagne. S’ils savaient...

Directement à mon retour de vacances, première réunion pour décider qui, parmi la trentaine de candidats, serait auditionné. C’était une commission mixte, à la frontière entre deux disciplines, pour statuer sur les candidats à un poste de maître de conférence sur cette même frontière.

Il fallait en sélectionner environ huit, voire moins, pour passer une audition. Cela nous a pris trois heures, et finalement ce sera six. Six, parce que neuf, c’est trop. C’était six ou neuf. Si les six faisaient l’unanimité, les trois suivant furent discutés vigoureusement. Les jeux du cirque de la lointaine époque romaine n’ont rien à envier aux pugilats verbaux, quoique encore cordiaux, qui ont animés cette réunion. Les coups bas y furent légion, pour faire passer tel ou tel candidat dans le lot. Un candidat connu avec un dossier bâclé, sans projet de recherche, s’est ainsi vu passer, quand un autre, avec un dossier jugé très bon par son rapporteur, avec un projet bien ficelé, s’est vu refoulé sur un vague sentiment de personnes présentes qui le connaissaient. Surréaliste. Pas toujours des critères concrets, ça marche au feeling. Comme quoi, être connu peut être un avantage et un inconvénient.

Moi qui pensait naïvement qu’un minimum d’objectivité était de rigueur ! Bien entendu, c’est impossible, tous les membres de la commission n’ont pas tous les dossiers en main, et ne connaissent pas identiquement chaque candidat. Mais quand même je m’imaginais que le dossier était primordial, et que l’on se basait essentiellement dessus pour juger les candidats ! Sinon à quoi bon faire un dossier, il suffit d’avoir fait sa thèse avec Machin, et le tour est joué. Oui et non, donc. Tout est entouré d’un superbe flou artistique. À commencer par le dossier, puisqu’il n’est stipulé nulle part, concrètement, quelles pièces fournir. Il faut se baser sur les « bruits qui courent. » Des candidats y adjoignent des lettres de recommandation, parce que « ça se fait », d’autres pas, parce que « ce n’est pas écrit. » Lettres de recommandations qui n’avaient pas une importance capitale, finalement. Du moins lors de cette première phase de présélection du concours.

La deuxième étape, les auditions des candidats sélectionnés, eut lieu deux semaines plus tard. Trois filles, trois garçons. Qui a dit que la parité n’était pas de mise en physique ? Tous plus brillants les uns que les autres. J’ai dû me lever aux aurores pour être présent à huit heures. Sauf que je rentrais de week-end, que le serveur de messagerie du labo était en carafe, donc je n’avais pas la moindre idée du lieu de la-dite réunion. Au détour d’un couloir, j’ai fini par chopper un collègue plus au courant que moi.

Quasiment quatre heures d’auditions, auxquelles s’ensuivirent presque deux heures de débats virulents. On aurait pu y passer l’après-midi si la moitié du « jury » n’avait eu une autre réunion d’auditions qui débutait... Les pauvres, ils n’ont pas dû avoir le temps d’avaler quoique ce soit ! Si l’une des candidates a fait l’unanimité, elle « sortait » du lot, la discussion fut âpre pour classer les trois suivants, également brillants... Tellement de critères entrent en ligne de compte, excellence et adéquation avec le profil recherché, bien sûr, mais pas seulement, car des considérations politiques scientifique du labo d’accueil, aussi, des stratégies secrètes de l’un ou l’autre pour placer untel ou untelle... Bref, les raisons de discorde sont légions. Faut dire que sélectionner un candidat parmi une dizaine tous meilleurs les uns que les autres n’est pas un exercice facile, et la subjectivité rentre forcément en ligne de compte à un moment ou à un autre. N’empêche que tous, on aurait envie de les voir continuer, avoir un poste, et poursuivre leurs travaux. Croisons les doigts, il y a parfois des miracles.

À voir tout ça de l’intérieur, c’est assez amusant, finalement. Surtout sans avoir enjeu quant à l’issu du concours : le candidat recruté ne travaillera pas dans mon équipe, et je n’ai aucun « poulain » dans le lot. Seulement un ou deux potes, que je verrais bien avec un poste un jour, mais c’est tout. Avec un collègue également présent à cette réunion, et recruté en même temps que moi, on s’est vraiment demandé comment on avait pu passer à travers un tel filet. Bon dossier, peut-être, mais coup de bol, certainement. En tous cas, à côté des candidats que nous avons auditionné, je n’aurais pas eu la moindre chance ! Je me demande encore parfois ce que je fais là. Et ce que je serais devenu si ça n’avait pas fonctionné, il y a deux ans... Peut-être passerais-je mon temps en montagne ? Déjà que...


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