Réveil
La nuit n’est jamais complètement noire à 72° de latitude nord, vers la mi-avril. Tout au plus une pénombre crépusculaire (ou aubéenne) un peu marqué vers une heure ou deux du matin. Et puis l’aube pointe lentement son nez vers trois-quatre heures avec son cortège de couleurs sur l’horizon. D’ailleurs quand on sort de la tente inopinément au milieu de la nuit pour soulager sa vessie (non sans avoir désespérément tenté par tous les moyens de retrouver le sommeil perdu histoire de remettre ce glacial intermède à plus tard), on ne sait pas trop si les lueurs violacées qui traînent là-bas sur l’horizon sont des résidus du crépuscule qui a tendance à vouloir s’éterniser ou bien si s’agit de l’aube qui pointe déjà doucement le bout de son nez...
La température est polaire. La veille au soir, le thermomètre indiquait presque -30°C. Dans la tente l’isolation (le double toit est a peu près hermétiquement fermé en comblant de neige les bavettes, emprisonnant ainsi une couche d’air qui va faire office d’isolant) et la chaleur humaine faisant son œuvre il ne fait que -10°C. Trois dormeurs qui ronflent tranquillement côte-à-côte, ça réchauffe l’intérieur.
Seulement -10°C... Ça n’empêche que je dors quand même tout habillé dans mon duvet de plumes. Un collant, un pantalon de ski, un t-shirt technique à manches longues, un petit pull en polaire, une veste en polaire et une paire de chaussettes, avec en plus, parfois, les chaussons de ski que je garde aux pieds pour les assécher pendant la nuit. La doudoune sert d’oreiller. J’emmitoufle le tout au fond du sac de couchage, je remonte la fermeture éclair. Je ferme les écoutilles. Et paradoxalement, ainsi harnaché, j’arrive à dormir. Très bien, même !
Au cours de la nuit, je sens parfois une petite fraîcheur s’insinuer entre mes omoplates depuis le sol. Mon matelas gonflant est un peu vieux, je le soupçonne de s’affaisser subrepticement pendant la nuit. Je me tourne alors d’un quart de tour pour n’offrir au sol glacial que mon côté de surface minimale. Et la nuit se poursuit ainsi. Finalement, ainsi engoncé, je rempile dans mes rêves.
Réveil vers 7h00, heure locale (Paris - 2h). Ouvrir un œil, puis deux. Mes camarades sont déjà réveillés. Par le trou de respiration du duvet, le jour filtre. Tel un asticot je tente un mouvement de translation. Degrés de liberté réduits. Tenter une ouverture. Du duvet. M’asseoir sur mon séant. Sortir les bras.
Et surtout, surtout, ne pas toucher la paroi de la tente. Celle-ci est complètement recouverte d’une belle couche de givre — respiration oblige —, qui a la bonne idée de tomber au moindre frétillement. Un peu de neige dans le cou, le matin au réveil, a certes des vertus revivifiantes, mais néanmoins la technique est par trop brutale. Donc, pas touche : on se tortille délicatement, d’accord ?
S’extraire délicatement du délicieux cocon, enfiler chaussures et doudoune pour aller faire ses petits besoins matutinaux dans l’air sec et piquant. Puis réintégrer le dôme orange protecteur et profiter de l’absence momentanée des copains pour passer un coup de balayette sur l’ensemble de la surface intérieure de la tente. Rassembler le petit tas de neige ainsi formé dans un coin. Sans cette manœuvre pécautionneuse, la chaleur dégagée par le réchaud fonctionnant à plein régime dans l’abside pendant une paire d’heures pour fabriquer l’eau du petit-déjeuner et de la journée aurait vite fait de transformer les délicats cristaux en délicates gouttelettes trop vite rattrapées par la gravité ; or la douche n’est pas (encore) à l’ordre du jour...
Avec le réchaud, le chauffage fonctionne. Il faut attendre que la neige fonde, puis que l’eau chauffe... Démonter le camp, plier la tente, repartir.
Guillaume Blanc
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