Japon, nucléaire et mélange des genres...
Depuis le tsunami géant au Japon, vendredi dernier, tandis que l’archipel compte ses morts et ses disparus, le monde occidental ne semble s’inquiéter que d’une seule chose : la centrale nucléaire de Fukushima va-t-elle péter et nous faire un deuxième Tchernobyl ou pas ?
Quand on écoute la radio, on a des relents de fin du monde. On se croirait revenu en 1945 quand le spectre de la bombe nucléaire a fini par montrer son visage aux japonais. On parle d’explosion, de nuages radioactifs... De radioactivité... Quand on furète sur le net de l’actualité, le nucléaire ressort de partout depuis quelques jours. Les écolos s’en donnent à cœur joie, les évènements leurs donnent raison : il faut sortir au plus vite du nucléaire, cette horrible énergie qui pollue plus que tout le reste et qui cristallise les peurs. En plus voilà, on nous dit que les centrales sont sûres, qu’un Tchernobyl est impossible dans le monde moderne, et hop, une petite vague met la pression sur les cœurs de réacteurs japonais. Le Japon ! Pourtant, ce n’est pas là le dernier des pays instables. Troisième puissance mondiale, on aurait pu croire qu’il maîtrise ce genre de chose. Visiblement pas.
Haro sur le nucléaire, donc.
D’accord, c’est vrai. Aucune construction humaine, aussi élaborée soit-elle n’est infaillible. À la décharge des japonais il faut aussi dire que ce genre d’évènement n’a pas son pendant historique...
Je me demande alors avec quoi vit le militant anti-nucléaire interrogé ce matin sur France Inter, qui prônait la fin de cette filière, pour une politique d’économie d’énergie. Je suis d’accord avec lui, à 100 %, mais quand il dit qu’il trouve indécent l’éclairage des routes à 4h du matin (je que je trouve aussi indécent, mais essentiellement pour d’autres raisons), j’ai envie de lui répondre que ce n’est pas en éteignant les lumières que l’on va revenir à une consommation énergétique plus sobre. Il n’a qu’à voir dans son propre appartement ce brave monsieur : est-ce dans l’éclairage que part la majorité de sa consommation d’électricité ? Certainement pas, comme le montre le deuxième graphique de cette page, rien que l’électroménager constitue une consommation près de six fois plus importante ! En revanche, là où l’on peut gagner significativement, c’est dans l’isolation des maisons, pour s’approcher de logements passifs, qui n’ont pas (ou peu) besoin de chauffage. Le monsieur interrogé a quand même mentionné cet aspect, mais sans avoir conscience, visiblement, des différents chiffres qui sous-tendent le problème. Le militantisme anti-nucléaire n’est qu’une affaire de tripes, qui fait fi de la plus simple logique !
Donc, oui pour faire des économies d’énergie, oui pour augmenter la part des énergies renouvelables. Mais il ne faut pas se méprendre, nous aurons besoin de l’électricité nucléaire encore pendant un bout de temps. Il faut donc continuer de développer cette filière. Car il n’existe pas, à l’heure actuelle, d’énergie « propre » et sympathique en quantité suffisante pour subvenir aux besoins croissants de l’humanité. Et à mon sens, l’énergie nucléaire est la moins pire de toutes, car l’alternative est une énergie d’origine fossile, qui génère quantité de gaz à effet de serre.
Or, comme je l’ai déjà dit par ailleurs par ici, l’effet de serre, bien que beaucoup moins palpable que les à-côtés néfastes de l’énergie nucléaire, est beaucoup plus terrifiant, car nettement moins facilement contrôlable. Il fera à terme beaucoup plus de victimes qu’une petite centrale qui prend l’eau...
Et je crois que qu’un référendum sur le nucléaire comme demandé ces jours-ci par les écologistes serait une erreur, le nucléaire cristallisant trop les passions pour que tout un chacun puisse voter de manière objective. Il suffit de voir du côté de nos voisins : l’Italie a abandonné le nucléaire civil en 1987, suite à un référendum au lendemain de Tchernobyl. Résultat : le pays importe de l’électricité nucléaire de France... L’Allemagne a décidé en 2000 de sortir du nucléaire civil, sous la pression des écologistes, mais doit revoir sa copie, car il est pour l’heure impossible d’accéder aux économies d’énergie qui permettraient de s’en passer, donc diminuer le nucléaire signifie augmenter les rejets de gaz à effet de serre. Le choix est certes cornélien, mais les faits sont là.
En fin de comptes, la seule alternative qui subsiste à l’heure actuelle, c’est soit le nucléaire, soit un emballement du réchauffement climatique. Aucune des deux perspectives n’est satisfaisante, mais pour ma part, le nucléaire me terrorise beaucoup moins qu’une planète au climat déréglé.
Là tout de suite, maintenant, nous n’avons pas le choix, il faut maintenir le nucléaire, voire le développer pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Mais cela ne doit pas vouloir dire abandonner la politique d’économie d’énergie, la seule, qui, à terme puisse être satisfaisante.
Et il y a fort à faire, rien qu’en France, ne serait-ce que dans l’isolation des logements.
Venant de quitter un appartement loué rempli de courants d’air, où du double vitrage permettrait de réduire nettement la facture énergétique, pour arriver dans un appartement qui était un véritable puits d’énergie, mais dans lequel nous allons faire poser du double vitrage, je me dis qu’il y a une marge de manœuvre considérable. Les propriétaires devraient avoir l’obligation de réduire les pertes énergétiques de leurs biens.
Donc sortir du nucléaire, pourquoi pas, mais certainement pas tout de suite, car nous allons en avoir sacrément besoin dans les décennies qui viennent, le temps que nos chers politiques éclairés mettent en place une politique d’économie d’énergie efficace. En d’autres termes : ne pas mettre la charrue avant les bœufs : il faut d’abord réduire la consommation, pour ensuite sortir du nucléaire. Faire l’inverse conduirait à une impasse.
Et ce quelle que soit l’issue — que j’espère la meilleure possible — des réacteurs japonais qui boivent la tasse en ce moment...
Guillaume Blanc
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Japon, nucléaire et mélange des genres...15 mars 2011, par jo
Oui la réduction de la consommation d’énergie est LA priorité MAIS je suis persuadé qu’il est plus que grand temps de prévoir la sortie du nucléaire. Ce n’est pas une chose qui se décrète du jour au lendemain, elle nécessite des investissements lourds de recherche, il faut donc y penser dès aujourd’hui ! Par contre loin de moi l’idée de dire qu’il faut tout arrêter aujourd’hui, mais il faut en dire les dangers et les problèmes.
Malheureusement au lieu de ca on entend trop souvent le discourt dominant à la française « du nucléaire qui serait tout beau, tout gentil où tout serait prévu et de toute maniéré il représenterait la seule façon de lutter contre le réchauffement, et tout ceux qui critique le nucléaire ne sont que lobbies économique spéculant sur l’énergie verte et le pétrole ».
A mon sens, ce discourt refusant systématiquement la critique du nucléaire pose au moins deux graves problèmes d’irresponsabilité écologique :
- il ne prépare en rien une sortie du nucléaire
- il nous berce de l’illusion qu’il existe une solution simple au problème énergétique de notre civilisation
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Japon, nucléaire et mélange des genres...15 mars 2011, par Guillaume Blanc
Tout dépend de ce que signifie la sortie du nucléaire ! Pour moi la sortie du nucléaire n’est envisageable que si on arrive à subvenir à nos besoins énergétiques à l’aide d’énergies renouvelables. Cela implique effectivement un effort de R&D sur les économies d’énergie et sur les énergies « propres » ; à l’heure actuelle aucune n’est susceptible de produire suffisamment pour à la fois se passer du nucléaire et des énergies fossiles.
Je pense donc que ce n’est pas demain la veille que l’on pourra « sortir du nucléaire » malheureusement. De fait je crois qu’effectivement le nucléaire est le seul moyen dont nous disposons à l’heure actuelle pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique.
Le problème n’est de toute manière pas simple, mais si ne pas en parler, c’est se leurrer, vouloir s’en débarrasser (comme la plupart des écologistes) à court terme, c’est également « écologiquement irresponsable. »
Je crois qu’il faut continuer la R&D sur le nucléaire (la fin de cette filière, c’est pour dans longtemps, ce « longtemps » se comptant, à mon avis, en décennies), sans pour autant oublier le reste, cela va de soi (économies d’énergies, filières propres...).
Évidemment, poursuivre la filière nucléaire, cela signifie en accepter le risque (trois accidents majeurs en 32 ans, 442 réacteurs dans le monde — dans 31 pays — en 2011, produisant 17% de l’électricité mondiale). Le problème c’est que l’on rogne sur la sécurité pour des questions de sous, comme toujours... Il paraît que les Emirats n’ont pas accepté l’offre sur les EPR de la France, car trop chers, car trop sécuritaires... Le risque semble effectivement inacceptable, mais l’alternative du réchauffement climatique l’est encore moins, je trouve.
Ceci étant, je ne demande qu’à être convaincu que la solution est ailleurs que dans le nucléaire !
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Japon, nucléaire et mélange des genres...15 mars 2011, par Guillaume Blanc
Encore un point : à propos du débat sur le nucléaire. Je pense que l’on peut envisager un moratoire sur le sujet, mais un référendum me semble déplacé. Ce genre de décision nécessite, à mon avis, d’avoir plus d’éléments en main que ses « tripes » pour voter.
Les écolos ont souvent tendance à vouloir sortir du nucléaire à tout prix, sans en peser les conséquences. Si on me dit il faut arrêter le nucléaire parce que ça provoque des cancers, c’est dangereux, on ne maîtrise rien, moi je signe tout de suite.
Si en revanche, on me dit c’est soit arrêter le nucléaire (parce que c’est dangereux, etc), soit accélérer le réchauffement climatique avec des centrales à combustibles fossiles, parce que les promesses d’énergies renouvelables, d’économies d’énergie, ce n’est pas pour tout de suite, les dés me semblent moins pipés.
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Japon, nucléaire et mélange des genres...16 mars 2011, par jo
Puisque tu parles de mélange de genre... en fait je me demande si le mélange de genre ne tient pas plutôt à associer sortie du nucléaires et réchauffement climatique !
Pour mémoire au niveau mondial : électricité + chauffage représente 37% des émissions de GES, le nucléaire représente 14% de la production d’électricité. du coup si on arrête le nucléaire ca donne une augmentation de 16% (=0.14/.86) des autres moyens de production d’électricité -> soit à la louche une augmentation de 5% (=.16*.37) des émissions de GES...
bref sans être complètement négligeable, ça reste une goutte d’eau pour le réchauffement climatique...
du coup est-il si pertinent de toujours mettre en avant le réchauffement dans le débat sur la sortie du nucléaire ?
Ne serait-ce pas plutôt une récupération d’un problème au combien serieux (le réchauffement) par le pro-nucléaire ?
NB1. En ce qui concerne la France, le nucléaire a un effet pervers supplémentaire : c’est que le prix artificiellement bas de l’électricité amenant à un gaspillage d’energie (en particulier pour le chauffage) sponsorisé par edf.
NB2. j’aime pas les formules « les ecolo disent que » car les ecolo ils sont jamais d’accord, t’en prends 2, il diront toujours des choses différents ;)
NB3. je suis pour l’urgence d’une réflexion sur les alternatives au nucléaire, mais pas nécessairement antinucléaire, juste anti-loby-pro-nucléaire ;)
NB4. bien d’accord avec toi : surtout pas de référendum !
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Japon, nucléaire et mélange des genres...17 mars 2011, par Guillaume Blanc
J’avoue que l’argument est intéressant. Mais a-t-on le droit d’augmenter de 6% les rejets de gaz à effet de serre, quand c’est l’inverse qu’il faudrait... Qu’il faut obtenir ? Jancovici donne des arguments convaincants pour au contraire développer rapidement le nucléaire dans les pays où c’est potentiellement possible.
Certes il y a le problème des ressources en uranium, limitées elles aussi (65 ans j’ai lu quelque part), mais le développement de réacteur de génération IV à l’horizon 2030 pourrait outrepasser ces limites tout en résolvant pas mal de problèmes liés au nucléaire actuel.
À mon avis on pourra « sortir du nucléaire » seulement quand on maitrisera la récupération de l’énergie solaire, gratuite, renouvelable (tout au moins pendant les 4 prochain milliards d’années) à l’aide de panneaux solaires, d’éoliennes (si on parvient à stocker efficacement l’électricité), ou d’autres systèmes à inventer...
Si on suppose que l’on supprime le nucléaire dans le monde (ce qui a des chances d’arriver sous la pression de l’opinion, compte tenu de ce qui se passe au Japon actuellement), comme tu le préconises, on augmente un peu la production de gaz à effet de serre. Quelle alternative existe-t-il alors ? Les technologies d’énergies renouvelables ne sont pas assez mûres pour subvenir à ces 6% et aller au-delà. C’est les tropiques à Paris assurés dans quelques décennies !
Ceci étant, je précise je ne suis pas payé par l’industrie nucléaire. Si j’écris cela, c’est que j’estime que c’est la seule solution envisageable dans les décennies à venir. Et ce, malgré les dangers relatifs au nucléaire. Je ne crois donc pas que les pro-nucléaires récupèrent le réchauffement climatique pour apporter de l’eau à leur moulin ! Enfin, probablement qu’Areva, Edf et cie profitent de la vague, mais nombre de personnes qui n’ont rien à voir avec ces industries ont le même genre de réflexion (je n’ai d’ailleurs pas forgé la mienne ex nihilo !).
Je suis quand même d’accord pour dire que le prix du kWh en France est trop bas et favorise le gaspillage, tout comme le litre d’essence est également trop bas. De manière générale l’énergie est à peu près gratuite, alors c’est normal qu’on la gaspille ! Est-ce qu’on irait gaspiller des pépites d’or ? On attend toujours une véritable politique d’économie d’énergie...
Évidemment que les écolos ne sont jamais d’accord. Il y a les écolos qui ne réfléchissent pas (sortir du nucléaire maintenant tout de suite) et ceux qui se demandent ce qu’il faut mettre à la place. Comme partout il y a des extrêmes...
Une réflexion sur l’alternative au nucléaire, pourquoi pas (ça serait déjà plus intelligent que les débats sur l’identité nationale !), mais encore faut-il avoir les moyens technologiques de pouvoir le faire, sortir du nucléaire !
Ceci étant, et je rejoins Georges Charpak sur ce point sur ce point, je pense que les recherches sur la fusion sont vaines (dans un moyen terme), et que les milliards d’euros engloutis dans le projet ITER devraient être utilisés à meilleur escient, pour développer le nucléaire de génération IV, et surtout pour développer les énergies renouvelables.
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Japon, nucléaire et mélange des genres...17 mars 2011, par jo
j’ai diagonalisé l’article de Jaconvinci, il ne me semble quand même pas très serieux. D’une part il adopte une présentation biaisée :
- dans un sens il fait le calcul de ce que ca couterait en émission de sortir du nucléaire au niveau francais -> évidement ca fait un grosse augmentation en %
- quand il s’agit d’évaluer les bénéfice du tout nucléaire alors là il fait le calcul au niveau mondial
Quand aux ressources en uranium, elle sont de 65ans avec la conso actuelle, donc avec l’hypothese du tout nucléaire, ca fait plus qu’une petite dizaine d’année ! c’est un peu délirant d’envisager un tel investissement pour 10 ans de ressource !
tu dis : « Une réflexion sur l’alternative au nucléaire, pourquoi pas (ça serait déjà plus intelligent que les débats sur l’identité nationale !), mais encore faut-il avoir les moyens technologiques de pouvoir le faire, sortir du nucléaire ! »
ben oui mais si on envisage pas de sortir du nucléaire, on risque de ne jamais s’en donner les moyens technologiques !
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Japon, nucléaire et mélange des genres...17 mars 2011, par Guillaume Blanc
Effectivement, j’ai réalisé après coup que le tout nucléaire au niveau mondial, ce n’était pas réaliste, pour un bête problème de ressources limitées...
D’après la World Nuclear Association, on a 5 Mt d’uranium de disponible, or actuellement, on en consomme mondialement 68 kt/an. Au rythme actuel, ça laisse donc 73 ans. Si on passe à 5 fois la production actuelle (17% de la production d’électricité mondiale est actuellement nucléaire), donc 340 kt/an, ça ne nous laisse plus que 14 ans...
Du coup l’argumentation de Jancovici tombe un peu à l’eau ! Peu probable que la génération IV de réacteurs soit au point dans ce laps de temps.
Et là, ben je sais plus trop. On est condamné à voir pousser des cocotiers sur les Champs Élysées... Et à vendre nos crampons aux enchères ! Parce que réduire d’un facteur 2 nos émissions de gaz à effet de serre dans un futur pas trop lointain, j’y crois pas trop, malgré les nombreuses pistes existantes !
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