Les tribulations d’un (ex) astronome

(Sa)bottage et canelures en rigoles

dimanche 10 janvier 2010 par Guillaume Blanc

Parfois la neige se fait collante. Vraiment. Sympathique, la neige, souvent, mais parfois, collante. Elle s’accroche aux basques. Aux skis. Elle s’insère entre les poils synthétiques qui garnissent les peaux que l’on colle sur les spatules. Peaux anti-recul pour gravir la montagne enneigée. La neige collante s’accumule ainsi sous les spatules. Haltères aux pieds, boulets qu’il faut traîner et trimbaler, impossible de l’effriter ou de la décoller : elle n’en revient que de plus belle.

Neige humide, trempée, gorgée d’eau de pluie jusqu’à des altitudes déraisonnables. Les patins grossissent, prennent du ventre, et alourdissent d’autant le poids qu’il faut porter à chaque pas. La trace ressemble à une tranchée, la faire ou suivre, ça « botte » du pareil au même.

Au départ, ça allait, le ski glissait sur le manteau de neige imbibé. Un petit crachin pour rester éveillé. Et puis, l’altitude aidant, la neige se fit moins compacte, et devint collante. Il a fallu lutter pour progresser, un pas après l’autre. Une tentative de fartage des peaux se révéla infructueuse. La neige recolla trop rapidement. Rien à faire, si ce n’est avec. Débauche d’énergie.

Jouer avec le terrain, car avec ces sabots garnis, la moindre traversée s’avéra impossible : la couche humide superficielle glissait systématique sur un fond plus dur. Les carres, prises dans leur gangue, ne pouvaient être d’un quelconque secours. Glissade inévitable, épuisante. Les couteaux ? Ils auraient instantanément disparus au milieu de l’amalgame permettant même probablement d’en rajouter une couche. Faire avec.

Le seul espoir d’en finir résidait dans l’altitude fatidique : la limite pluie-neige. Au-delà, qui sait ? Espérons seulement que le sommet sera un peu au-dessus...

Creuser cette tranchée difforme dans la molle épaisseur collante était épuisant, mais quelque part j’aimais ça. En chier. Je ne suis pas sûr que Francesco ait apprécié la chose à sa juste valeur ! J’y mettais une énergie sans pareil si bien que les mètres de dénivelés défilaient malgré tout. Nous nous élevions. 2000 m. Ça collait toujours. Est-il possible qu’il ait plu si haut ?

Je traçais pour éviter les pentes trop raides, ces pentes de neige qui tendaient à s’enfuir sous les spatules. La forêt commença à s’éclaircir, les mélèzes se parèrent alors de myriades de breloques glacées. Tandis que la couverture nuageuse se déchirait comme pour fêter ça, simultanément la neige se fit brutalement légère. En l’espace de quelques foulées les skis retrouvèrent leur glissant habituel. Limite pluie-neige. 2200 m. Comme si on avait finalement enlevé le frein...

Quelques rayons de soleil se frayèrent ainsi un chemin entre deux nuées et vinrent timidement illuminer le paysage. Le relief cotonneux qui nous entourait prit toute son ampleur. Les arbres décharnés par l’hiver étaient comme les marionnettes d’un théâtre d’ombres chinoises. Les spectateurs uniques et discrets que nous étions progressions silencieusement dans cette scène féérique. L’éclairagiste s’en donnait à cœur joie, pour notre plus grand régal.

Paysage immaculé. Lumière inespérée. Légèreté poudreuse. Magie de l’instant.

Bientôt le sommet. Éclairé. Enneigé. Nous nous arrêtâmes à l’abri d’une brèche, je fis un rapide aller-retour à pieds à la croix sommitale à cheval sur une fine arête de neige sur laquelle je brassais jusqu’au ventre. Et puis le miracle se referma, le rideau tomba. La scène s’occulta. Le relief disparu avec elle.

Nous entamâmes la descente. Agréable sensation de flottaison sur un manteau pulvérulent. « Ça » volait allègrement. Mais « ça » ne dura pas. Bientôt la forêt et la neige humide et lourde qui nous avait collé à la montée.

Cannelures.

La pluie eu un autre effet pervers qui se révéla, celui-là, à la descente : outre le fait qu’elle tasse et humidifie plus que de raison le manteau neigeux jusqu’à le rendre excessivement collant, elle s’écoule creusant ainsi un entrelac de rigoles qui s’enfilent droit dans la pente. La chose s’étant par la suite quelque peu solidifiée sous l’action de quelques températures vaguement négatives, il en résulta un terrain abominablement bosselé que nous devions traverser. Les skis hocquettaient sur cette inégale surface cannelée, prenant parfois des initiatives inédites que le skieur avait parfois du mal à rattraper. C’est qu’il fallait, autant que faire se peut, éviter les arbres qui formaient un réseau plus ou moins dense d’obstacles. Les cuisses chauffaient. Quelques inévitables gamelles plus loin, comme toutes les bonnes choses ont une fin, les mauvaises aussi, et nous pûmes finir sur une fantastique piste de bobsleigh aux virages en épingle à cheveux, où toute sortie de rampe était prohibé sous peine d’une rencontre avec quelques troncs ou broussailles peu enclins à se pousser.

Nous émergeâmes par le bas, indemnes, sous un crachin rafraîchissant, les yeux qui pétillaient encore du spectacle de la nature.


C’était le 29 décembre 2009 sur la Crête de la Seyte, dans le vallon du Fournel, Hautes-Alpes. Quelques photos par là.


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