Perles
Le deuxième semestre s’achève à l’université. L’examen final du module de physique des étudiants en première année de licence (L1), qui sortent — théoriquement — tout juste du lycée, a eu lieu. Pour ma part, j’ai eu droit à un « petit » paquet de 23 copies a corriger. Elle fut rapide, la correction. Deux notes au-dessus de la moyenne. Déprimant. Mes collègues n’ont guère eu plus de chance, puisque au final, une quinzaine de copies dépassaient la sacro-sainte « moyenne ». Un dixième.
Après quasiment deux ans de ce petit jeu, j’ai cessé d’être déprimé par le non-travail des étudiants. Au contraire, cette fois-ci, je me suis quelque peu délecté, d’une poignée de perles extraordinaires que j’ai dégoté au détour de certaines copies... Mieux vaut en rire...
Pourtant le problème d’examen, en trois parties, reprenait largement des exercices traités en Travaux Dirigés (TD). Un étudiant ne serait-ce qu’un minimum studieux, qui avait assisté aux TD non pas passivement comme la majorité, mais activement, aurait dû s’en tirer avec 13 ou 14 au minimum. Alors, quid ?
Réajuster les notes, remonter les moyennes artificiellement, atteindre un taux de réussite artificiel, mais raisonnable ? Non ! Si le Bac ne vaut plus rien c’est bel et bien parce qu’il en est arrivé là. Nivellement par le bas. Quatre-vingt pourcents d’une classe d’âge avec le bachot. Et alors ? On les récupère à la fac, ces bacheliers, et c’est là que le drame se joue : le niveau n’y est pas. Une multitude d’étudiants perd son temps sur les bancs de l’université. À cause d’un Bac qu’il ont, vulgaire bout de papier qui ne sert même plus d’« examen de passage ». Passage de quoi ? Dès qu’un ministre un peu plus courageux que les autres propose un examen d’entrée à l’université (ce que le Bac ne fait plus depuis belle lurette), les étudiants descendent dans la rue. Ils préfèrent perdre leur temps, passer un an, deux ans, trois ans à foirer leurs modules, plutôt que de réfléchir sérieusement une bonne fois à leur avenir !
Le niveau baisse. La réussite à l’université s’étiole. Avec le jeu du contrôle continu, du partiel, et de quelques points de jury pour donner un coup de pouce à une poignée d’étudiants prometteurs, c’est finalement une quarantaine d’étudiants qui ont eu leur module. Trente pourcents. Et les quatre-vingt dix autres ? Sans compter les cinquante qui étaient inscrits au module et qui ont séché l’examen ? Quel gâchis !
Le problème de l’université, c’est que hormis quelques exceptions (comme ce camerounais, qui a eut vingt au partiel, et dix-neuf à l’examen — au Cameroun, visiblement, les programmes de maths et physique du lycée sont encore conséquents, et n’ont pas fait l’objet de réformes successives visant un nivellement par le bas !), les meilleurs n’y sont pas. Ils sont en prépas ou en IUT. L’université récupère les autres, les paumés, qui ont vu de la lumière et sont entrés là, à défaut d’ailleurs.
Ce système français à deux vitesses — université d’un côté, classes préparatoires et grandes écoles de l’autre — est quelque peu paradoxal, puisque ce sont des enseignants-chercheur qui forment des étudiants peu ou pas intéressés, tandis que des agrégés, qui forment l’« élite » peut-être un peu plus passionnée mais cadrés dans des programmes rigides de concours. Sauf qu’en prépas, on apprend surtout à travailler, avec méthode. Peut-être ce qui manque à la fac. Un apprentissage de la méthode. Apprendre à prendre des notes : quand je vois leurs cahiers de notes, je comprends pourquoi je me retrouve avec des perles comme celles qui illustrent cet article...
Autre paradoxe, et non des moindres, la fac recrute parmi son personnel enseignant nombre de chercheurs issus des classes prépas et des grandes écoles. Certes de purs universitaires sont aussi sur le banc des recrutés. Mais parmi mes collègues combien sont issus de prépas et de grandes écoles ? Les deux-tiers ? Les trois-quarts ? Moi en tout cas ! Je n’ai jamais été étudiant à l’université : d’abord maths-sup, maths-spé, puis une petite grande école, une ENSI à Caen. Sauf que la prépa, j’ai adoré, l´école d’ingénieurs, moins. Mais c’est une autre histoire... N’empêche, en prépa, dès que je posais une question vaguement en dehors du programme à mes profs, rien de constructif à en tirer. Formatés. Peut-être aurais-je été heureux à l’université, à cotoyer des chercheurs à longueur d’année ? Peut-être ne serais-je pas arrivé jusque où je suis, car je suis quand même un peu fainéant sur les bords. Je ne sais pas si j’aurais pu m’adapter au système volontairement laxiste de l’université...
Un des principaux problèmes que je rencontre en enseignant en première année, c’est justement que les étudiants travaillent très peu par eux-mêmes. Dans l’enseignement de physique que je gère, outre le cours magistral et des TD en petits groupes, nous leur proposons des oraux, colles où trois à quatre étudiants se retrouvent face à face avec un enseignant pendant une heure, qui leur propose un exercice chacun, au tableau, leur permettant de faire le point sur leurs connaissances, ainsi que des devoirs à la maison, permettant de faire le point sur les objets mathématiques qui servent en physique... Mais rien à faire, tout cela semble traverser la cervelle de la plupart sans s’y arrêter le moins du monde.
Que faire ? La question me turlupine ! Que faire pour les faire travailler régulièrement, clef du succès ? Trouver un moyen de les faire préparer les TD chez eux. Pour cela, les faire passer systématiquement au tableau, à tour de rôle ? J’expérimenterai ça l’année prochaine.
En attendant, cette semaine, nous proposons à ceux qui ont loupé leur module, des séances de TD de révision, avec un examen de rattrapage de septembre qui a désormais lieu en juin... Lors de la première séance, cet après-midi, ils étaient trois. Avec deux profs...
Guillaume Blanc
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Perles20 juin 2014, par sylvie
Bonjour Guillaume, décidément votre blog est une mine de renseignements et de réflexion... c’est vraiment terrible ce que vous décrivez de l’université. j’ai parcouru les perles et apparemment certains ne savent pas écrire le français correctement. J’en avais entendu parlé mais là... En tout cas votre université met tout en œuvre pour aider les étudiants. c’est aussi le cas à Montpellier à la faculté de lettre, je ne sais pas si à la fac de science ils font comme vous. Mais il y a des facs où ce genre d’aide n’existe pas. Ici à la fac de droit de Montpellier, on n’aide pas les élèves quoique la compensation des semestres ait été mise en place depuis deux ans. mais pas de devoirs maison, pas de possibilité de colle avec des profs motivés et des jeunes qui pourraient être demandeurs. des profs qui annoncent la couleur dès le début des cours, les notes seront pour la plupart en dessous de la moyenne voire presque nulles ! et beaucoup de difficultés à consulter un devoir avec le prof pour comprendre pourquoi on s’est étalé ! Réflexion de mon fils : ils sont trop occupés ces gens ! tu peux pas comprendre à quel point ils le sont ! bref, beaucoup de pression et des jeunes qui font des dépressions(sous anti dépresseur, en consultation, en larmes etc...). j’en parle en connaissance de cause... Mon fils abandonne le droit avec un niveau master, il est dégoûté ne veut plus entendre parler de droit... Est ce que c’est mieux qu’un accompagnement... il faudrait peut-être trouver un juste milieu. regarder dans les autres Pays comment ils font. si les élèves arrivent à l’université avec un niveau aussi bas c’est qu’il y a un gros problème au lycée, des profs mauvais pédagogues ou bien effectivement recrutés à la baisse et des programmes qui n’ont aucun sens surtout dans les matières scientifiques. l’emploi du temps des premières et terminale est énorme, je ne sais plus exactement mais il me semble ça monte jusque 35 heures alors qu’il y a 35 ans j’avais en en section C dans les 25 heures par semaines (j’ai gardé mes carnets de correspondance). y a de quoi faire dans l’éducation nationale !!!! sur ce, bien à vous, Sylvie
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Perles20 juin 2014, par Guillaume Blanc
Bonjour Sylvie,
Merci pour votre message. L’université souffre de différents maux, que les réformes successives ne font qu’empirer, malheureusement, quand nous descendons dans la rue pour le crier haut et fort, comme en 2009, tout le monde s’en fou (c’est qu’on ne bloque pas les trains, nous !). Voir http://snovae.free.fr/spip.php?article102&lang=fr Les budgets alloués sont parmi les plus bas, en tout cas plus bas que dans les autres étapes de l’éducation (primaire et secondaire, quand on compte par élève ou par étudiant), on fait souvent beaucoup par rapport aux moyens que nous avons.
Notre métier, enseignant-chercheur, n’est reconnu que sur la partie recherche (voir : http://snovae.free.fr/spip.php?article2 ) : beaucoup de collègues sont tentés de bâcler leurs enseignements (sans incidence sur l’avancement de leurs carrières) pour étoffer leurs recherches (qui leur permettra d’être promu aux échelons supérieurs). Donc oui, les enseignants-chercheurs sont très occupés, mais cela ne justifie pas certains comportements inacceptables de mes collègues vis-à-vis des étudiants.
Et enfin, les étudiants que nous avons sont assez peu motivés pour leurs études (ce qui finit par agir négativement sur la motivation des enseignants, y compris la mienne). J’organisais hier un colloque pour mes collègues sur comment agir sur la motivation des étudiants, donc on essaye quand même de trouver des solutions, enfin pour les collègues qui sont intéressés par cet aspect-là de leur métier.
Bref, mes réflexions sont surtout sur l’enseignement des sciences et de la physique en particulier. Pour le droit, je ne sais pas si on peut tout transposer, mais probablement qu’en partie, oui.
Les programmes de lycée (en tout cas en physique) sont devenus vide de toute substance au fil des réformes successives (nivellement par le bas). Les profs de lycée ne sont pas mauvais, il font ce qu’ils peuvent. Sauf qu’effectivement, actuellement on constate une crise de la vocation des enseignants, liée à différents facteurs sociétaux (profession mal vue y compris par les profs eux-mêmes), mais surtout liés à la réforme du recrutement et de la formation des profs mis en place sous Sarkozy (et dénoncé par les universitaires mais sans succès). Donc on voit apparaître des jeunes qui deviennent profs sans en avoir le niveau (voir http://snovae.free.fr/spip.php?article476 ). Je ne pense pas qu’on voit déjà les conséquences, si les choses sont laissées en l’état, les conséquences arriveront dans quelques années.
L’université est, jusque là, un service public de transmission du savoir et de la connaissance. Sauf que le public ignore complètement ce qui s’y passe, les réformes faites, etc. Pourtant, il en va du bien commun de l’accès au savoir. Primordial dans une démocratie. Il en va du futur des jeunes comme votre fils. C’est bien dommage qu’il soit arrivé en master pour abandonner...
A tout un chacun de s’emparer du problème et de le mettre sur la place publique !
Merci en tout cas de vous intéresser à ces problématiques, pas toujours très faciles à appréhender de l’extérieur !
Guillaume Blanc
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