Exils
Hier, j’avais vaguement envie d’aller au ciné le soir. Évidemment, l’été n’est pas la meilleure saison pour aller au ciné, a fortiori à Padoue, où ils sont presque tous fermés. Néanmoins, d’autres machines à rêves s’installent et prennent le relais : les cinémas en plein air, cinema all’aperto. Trois s’éparpillent dans la ville. Celui des jardins de la Rotonde propose une excellente programmation. Je l’avais déjà testé l’année dernière. Les meilleurs films de l’année, souvent, moyen efficaces de rattraper ce que l’on a loupé. Ce soir-là, au menu, Exils, donc, de Tony Gatlif. Pour une raison que j’ignore mon subconscient avait proprement zappé la chose, associant ce titre à quelque film profondément chiant. Néanmoins, par acquis de conscience, j’allai jeter un œil sur la critique de Télérama. Et je découvre qu’il s’agit d’un film avec Romain Duris (et la belle Lubna Azabal), prix de la mise en scène à Cannes en 2004, avec de plus une histoire sympathique à la clef (les tribulations d’un jeune couple vers leur terre d’origine). Et le petit bonhomme de Télérama saute de joie, alors... c’est un signe !
C’est décidé, j’irais voir ce film. J’en profite pour rameuter les potes de l’observatoire, histoire de ne pas y aller tout seul. Ça marche : je n’irais pas tout seul. La belle Elena se joindra même à la troupe. Le cinéma est à l’autre bout de la ville. Nous procédons par étapes. D’abord un spritz dans le ghetto entre sept et huit. Puis une pizza piazza Cavour entre huit et neuf trente. Puis direction la Rotonde en petites foulées entre neuf trente et neuf trente-huit. Nous arrivons, les bandes annonces commencent à peine. Ouf.
L’écran est fixé sur la Rotonde, bâtisse circulaire, s’il est besoin de le préciser. Un parterre de sièges en plastique s’étale au pied. Il y a foule. Le cinéma en plein air a du succès. Parfois un insecte virevolte dans le faisceau du projecteur, dessinant quelque ombre sur le film. Parfois c’est le reflet d’un phare de voiture qui vient vaguement troubler l’attention du spectateur. Les sirènes des pompiers troublent rarement le film. Seulement hier soir. Et encore, c’est rapide. On est à l’air ou on ne l’est pas. On est en pleine ville ou on ne l’est pas. Il faut aussi faire avec les fumeurs invétérés qui en profitent pour fumer au cinéma. Ben oui, ils ont raison, ça doit être le seul lieu public (l’extérieur) où il n’est pas interdit de fumer... Alors, forcément. Les non-fumeurs n’ont qu’à s’écraser mollement dans leur fauteuil, retenir leur respiration quand le courant d’air leur apporte la fumée du voisin devant les narines. Bon, je ne m’étendrais pas plus sur le sujet, j’en connais une qui n’est pas d’accord avec mon radicalisme anti-tabac. M’enfin... Hier, je n’ai pas fait de remarque, pas râlé, rien de rien, je me suis laissé enfumé sans broncher.
Je voudrais quand même parler un peu du film. C’était quand même un peu le but de cet article, à la base. Je commence à comprendre pourquoi presque personne ne vient visiter ce blog : tout le monde n’a pas la patience ou le temps de lire toute ces logorrhées. Boulimie d’écriture que se retrouve à contre-courant dans une société où il faut faire vite. Vite fait, bien fait. Bref. Le film, donc. Vite fait.
Un jeune couple, Zano, fils de pied noir, et Naïma, fille d’algériens, tous deux français, nés en France, décident de faire un pied-de-nez à l’ennuyeuse vie parisienne et partent sur un coup de tête vers l’Algérie le pays de leurs racines. À pieds, en train, en bus... C’est le récit de leurs tribulations, via l’Espagne et le Maroc, et de leurs rencontres. Tribulations au rythme de la musique, omniprésente, rythmes des régions traversées. Quelques scènes mémorables. Au réveil, Naïma danse sur un terrain de foot désert, au milieu des herbes folles du terrain en friches... Cueillette de brugnons. Qui aurait pu croire la cueillette des brugnons source de sensualité ? C’est bien là à l’abri des feuillages que Naïma entraîne Zano dans une scène d’un érotisme suggéré mais ravageur... À la fin, une scène de transe d’une longueur (langueur ?) inouïe, où les corps sont agités de spasmes, au rythme d’une musique saccadée infernale, m’a fait penser à la scène finale de 2001, l’Odyssée de l’espace, où pendant un bon quart d’heure, on se prend une avalanche de couleurs dans les mirettes, avalanche sans queue ni tête. Là, la transe a permit à Naïma de retrouver ses esprits, de faire la paix avec elle-même, avec les autres, et surtout avec Zano. Gare, la sérénité guette...
Moi aussi j’étais tout en transe, encore bercé par ces belles images, et cette belle musique, quand le générique commença de défiler sur l’écran. J’aime bien les génériques de fin, ils me permettent de reprendre doucement contact avec le monde réel. Les autres s’étaient déjà levés et m’attendaient à deux pas. Je les rejoins bientôt. Retour tranquille vers le centre-ville. Et Ô miracle, tous s’éparpillent ça et là. Ne reste que la belle Elena avec laquelle je fais un bout de chemin. J’aurais aimer lui raconter plein de trucs, mais rien à faire, sur le coup, j’avais le cerveau tout vide. C’est bête, hein. À tel point que c’est elle qui se voit briser le silence en me proposant de parler en français, langue qu’elle connaît. S’ensuit un échange de quelques banalités sur nos futurs respectifs. Navrant. M’enfin !
Ah ! Ce film ! Exil de ce jeune couple ennuyé par une vie citadine d’une navrante banalité. Dans leur périple, nos deux héros croisent deux jeunes algériens, frère et sœur qui tentent de rallier Paris. Exil. Quand ils arrivent en Algérie, on les voit remonter un flot de personne. Exils. Exils dans un sens, exils dans l’autre sens. Certains partent, d’autres arrivent.
À voir, donc. Et à revoir sans modération...
Guillaume Blanc
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