Les tribulations d’un (ex) astronome

Dans les entrailles du Dévoluy

mercredi 15 février 2012 par Guillaume Blanc

De toutes façons, le ski n’était pas des plus agréable : neige furieusement soufflée, soit dure comme béton version tôle ondulée, soit horriblement croûtée. L’idée n’en est apparue que plus séduisante.

Dimanche matin, le réveil sonna une première fois à 5h30. C’était une erreur, on

Poêle enchanteur

avait dit 6h. 6h. Cette fois, c’est la bonne. Nous étions tous les cinq enfournés dans nos duvets au premier étage de la cabane d’Oriol, perchée à 1586 m d’altitude sous la Tête d’Oriol dans le Dévoluy. -3°C à ma tête, -10°C au rez-de-chaussée. Le poêle est effectivement éteint depuis belle lurette. Je m’extirpe du cocon douillet et m’habille pour aller mettre de l’eau — gelée — à chauffer.

Le temps de petit-déjeuner, de ranger les affaires, de se préparer en somme, tout en fabriquant un peu d’eau liquide pour la journée qui nous attend, et l’heure tourne. Nous décollons à 7h50, dans le brouillard. Des flocons virevoltent.

Forêt enchantée

Cap au sud-sud-est. Enfin, plus ou moins. Quelque difficulté à se repérer, à trouver l’entrée du Vallon du Grand Villard dans cette ambiance cotonneuse. Et puis vers 1800-1900 m le voile hésite, oscille, et laisse finalement entrevoir un peu de paysage. Le vallon attendu est là, en-dessous, à nos pieds. Un peu haut, que nous sommes. Aller, on peut traverser sur un bout de pente très raide et le rejoindre en crampons. Ainsi fut fait.

Entre-deux

Le vallon du Grand Villard est bien pelé, ce qui ajoute une petite note inhumaine à son austérité naturelle ainsi lové entre deux falaises. On ne peut pas dire que ce soit actuellement un spot de freeride convoitable. D’anciennes traces le remontent, et d’autres, moins anciennes — plus récentes ? — datant probablement de la veille (nous avons vu trois gus au sommet du Grand Ferrand, depuis la Tête de l’Aupet), se dirigent vers le pied de la face est de la montagne : skis étroits, rondelles de bâtons en demi-lune... des « collants-pipettes » ?

Face est du Grand Ferrand
Dans le haut du vallon du Grand Villard, à côté de la dépression du Gouturier. On discerne l’entrée du Chourum Olympique dans la face.

Le trou dans la montagne convoité est là, en face. Nous contournons la dépression du Gouturier pour parvenir sur la pente à l’aplomb de l’entrée du Chourum Olympique. Comme la neige est très dure, nous chaussons directement les crampons. Un peu plus haut nous nous encordons. La neige devient moins dure, juste ce qu’il faut pour faire des marches, déjà faites par nos prédécesseurs de la veille, par ailleurs. L’entrée dans cette grotte, raccourci intérieur pour franchir la barre rocheuse verticale, tout en pataugeant dans la neige a quelque chose de magique. Ski-alpi-spéléologie ?

Tout en gardant une inclinaison constante, la pente devient plus étroite, pour passer dans un goulet en virage, avant d’arriver dans l’inquiétant entonnoir de sortie, sensation de se retrouver au cœur du vaste piège de la larve du fourmilion. Jusque-là, je me disais, « tranquille. » Et puis j’ai vu la sortie du traquenard : une petite cascade de glace, pas très raide, certes, mais bel et bien vive, sur plusieurs mètres. Une petite broche pour être assuré, et j’y vais. Ça passe très bien. Évidemment, au-dessus rien de rien pour faire un relais. Je continue, et finalement je plante mes skis en corps mort pour assurer les copains. Qui arrivent sans tarder, Annef et Thomas ont avalé le passage en glace sans peine avec leur unique piolet, léger de surcroît !

Nous sommes sur la vire Olympique, pente raide de neige bordée de part et d’autre par des barres

Sortie du Chourum Olympique

rocheuses. Dernier espoir de s’échapper, traverser la chose pour rejoindre la voie normale à gauche. Malgré l’heure qui n’a de cesse de tourner, nous avons tous envie d’aller voir plus haut, d’aller jeter un œil sur la suite de la voie. Si le mur de mixte attendu est trop difficile à franchir, il sera toujours temps de songer à se carapater.

Je pénètre dans la deuxième grotte, dont l’entrée est exactement au-dessus du cône de sortie de la première. Le mur en question n’est pas loin. Et finalement, il semble moins redoutable que dans mon imaginaire. J’arrive même à caser les deux uniques friends que j’avais pris « au cas où » histoire de faire un petit relais avant de me lancer dedans. De fait, ça passe tranquillement. Je rejoins le relais à demeure une dizaine de mètres au-dessus. L’ambiance est démente, avec au-dessus de ma tête trois arches de pierre qui se croisent. À gauche, une fenêtre de ciel bleu qui donne sur le Dévoluy, à droite, une pente de neige vers le col entre le Grand et le Petit Ferrand.

Sous les arches inter-ferrrantes
Dans la seconde grotte, juste au pied du petit mur de mixte, au-dessus de nos têtes, ces arches magiques ! Cliché Thomas Gerbaud

Bientôt Annef me rejoint — « pas facile de grimper avec les crampons ! » —, puis Anne-Soisig. Heureusement, il y a de la place au relais, mais on n’est pas à l’abri d’un coup de spatule : les skis sur le sac, on a parfois tendance à les y oublier ! Guillaume (l’autre) et Thomas arrivent bientôt, et repartent aussitôt pour faire de la place.

Passage de la dernière arche juste avant le sommet

On contourne le pilier par la droite pour passer sous un ultime pont de pierre, avec une bonne marche qui nécessite un bon coup de reins. Dernière pente raide de neige, puis ça se calme, le vaste sommet est là. La mer de nuage s’étend toujours sur le Vercors et le Trièves, comme immuable tandis que les jours passent. En revanche, celle qui couvrait le Dévoluy ce matin s’est évaporée. Un petit vent glacial nous fouette le visage, mais ne nous refroidit pas : petite séance de photos, et nous attaquons la descente. Pas très dure, mais un tantinet scabreuse dans les cailloux : il faut faire attention où l’on pose les pointes de ses crampons !

Arrivée au sommet

Puis la neige. Thomas et moi nous déharnachons du matériel d’alpinisme ici pour retrouver la panoplie du skieur, tandis que les autres descendent en crampons la raide pente de neige dure exposée au-dessus d’une barre. De fait, la neige est dure, et les virages ne s’enchaînent pas tout seuls. Faut pas tomber, comme qui dirait !

La suite de la descente est plus du domaine de la corvée que de celui du plaisir, tant la neige est infâme : souvent très dure, parfois croûtée, imprévisible. Une descente qu’on aura tôt fait d’enterrer aux oubliettes, pour ne garder, en définitive, que cette montée, ascension unique et fantastique.

L’heure tourne toujours, bizarrement. La pause casse-croûte réclamée à corps et à cris par les estomacs affamés est reportée ultérieurement. Il ne sera permis de ne s’enfiler qu’une barre énergétique, avec une goulée de flotte pour faire glisser. Nous traversons pour rejoindre le vallon Girier, après quoi nous prenons plein nord dans nos traces de montée pour rejoindre la cabane. J’avais envisagé beaucoup de choses qui auraient pu nous faire perdre un temps précieux, brouillard, repeautage, etc. Rien de tout cela. Nous arrivons à la cabane d’Oriol en un temps record, quasiment sans avoir dû pousser sur les bâtons. Nous chargeons les sacs, et telles des mules nous poursuivons la descente.

Or, c’est à partir de là que la neige devient bonne. Vraiment bonne. Une bonne couche de poudreuse d’une incroyable légèreté. Une forêt de résineux encore largement couverts de neige, cônes de chantilly rayonnants dans cette lumière rasante de fin de journée, qui donne un aspect féérique et magique à l’instant. Mais cela restera une belle image scotchée dans mon cerveau, le temps pour la fixer sur le capteur de mon appareil photo manque ! Après un peu de bûcheronnage en forêt, nous arrivons à St Disdier. On se pose à l’intersection avec la route entre St Étienne et Agnières. Nous avons même un peu d’avance sur l’horaire. Juste un peu...


Les photos

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