Divisons-nous les uns les autres
Labex, Équipex, Idex, Péridex, et j’en passe. J’avoue que l’histoire des « Labex » — Laboratoire d’Excellence — m’est passé un peu au-dessus de la tête. Mes chefs en ont pondu un dans lequel se trouve mon labo. Ou une partie de mon labo, je ne sais pas trop, finalement. Rien de bien grave, en fait. Et puis début février, les trucs plus gros sont sortis, les IDEX retenus — Initiative D’EXcellence... Enfin, ceux de la deuxième vague, parce que dans la première il n’y en avait pas assez dans le paysage franchouillard. Et même après la deuxième vague, en regardant la carte ils se sont aperçu qu’il y avait des trous indécents. Enfin, les vrais trous, en fait, ne vont pas être bouchés, seul Lyon va peut-être germer dans une troisième vague, et Paris, bizarrement pourrait obtenir un quatrième Idex. Une troisième « Sorbonne » puisque tous les PRES parisiens intra-muros sont des Sorbonne-Quelque-Chose. Ou bien des Quelque-Chose-Sorbonne. Bref. Jusque là, pourquoi, si ça les amuse nos chefs.
Enfin, c’est naïvement ce que je croyais. Depuis que le notre d’IDEX a été accepté (Sorbonne Paris Cité), après un temps de latence de quelques semaines, soudain, l’information a fini par percoler vers la base et l’inquiétude s’est répandue. Enfin, pas de manière égale : nombre de mes collègues sont ravis de l’opportunité qui leur est donnée là pour « briller » sur leur futur piédestal.
L’information a effectivement eu du mal a se frayer un chemin depuis la tête, vers la plèbe que nous sommes. D’abord un bruit de couloir, colporté par nos collègues des autres labos. Bruit qui s’est amplifié pour devenir réalité — en ce qui me concerne — à l’occasion d’une séance du conseil des enseignements du département de physique. Pour que cela débouche — enfin ! — sur une assemblée générale de mon laboratoire — l’APC — la semaine dernière.
Keskipudonctan ? dirait Zazie. Disons que mon cher labo, dans le cadre de cette grande et belle université gigantesque qui se prépare — le PRES Sorbonne Paris Cité réunit entre autre quatre grandes universités parisiennes, P3, P5, P7 et P13, qui pèsera 120000 étudiants au bas mot dans l’unique but de grimper dans le classement de Shanghaï — souhaite se rapprocher des sciences de la Terre — l’Institut de Physique du Globe faisant partie du truc — et abandonner les physiciens (parce que chacun sait que l’astrophysique, ce n’est pas de la physique, n’est-ce pas !). L’idée est de créer un nouveau département en sus du département de physique, quitter ce dernier pour rejoindre le nouveau, entre géosciences et autres astrosciences. Avec un zeste de physique des particules, mais chut, ils ne sont pas encore vraiment au courant !
Donc laisser tomber nos collègues physiciens avec qui certes nous n’avons pas forcément de projets de recherche en commun [1], mais avec qui nous enseignons quotidiennement au sein du département de Physique de ce qui est encore l’université Paris 7 Diderot.
Certains opportunistes se disent chouette, du pognon en perspective ; pognon, peut-être, mais pas plus qu’actuellement et réparti de manière fortement inégalitaire, en faveur des excellents. Normal. Et puis d’autres trouvent le procédé un peu cavalier, un peu loin de toute collégialité et de toute idée humaniste de démocratie. Un peu dictatorial, comme méthode, en fait. Mon labo est donc le traître au sein de ce département de physique tout neuf, au sein de ce campus dans le 13e arrondissement tout neuf, au sein du bâtiment de physique tout neuf. Celui qui veut tout casser pour son propre panache.
Donc tout casser, puis rebâtir d’autres trucs incertains. C’est vrai, nous avons du temps à ne savoir qu’en faire, de l’énergie à ne savoir qu’en faire, et de l’argent à ne savoir qu’en faire. D’autant que visiblement, nos chefs, qui se préoccupent d’enseignement comme d’une guigne, n’ont pas réalisé qu’enseigner rigoureusement la même chose avec deux départements chapeautant, c’est tout bonnement irréalisable...
Et puis j’aime bien la pluridisciplinarité qui règne dans ce bâtiment. On s’ouvrir l’esprit, pour notre plus grand bien, on nous a vanté l’éclectisme, et là, d’un coup, on veut nous concentrer sur les sciences de la Terre et de l’Univers. Non pas que je n’aime pas ça — j’adore les géosciences — mais je trouve ce revirement inutile et dommageable. Disons que tant qu’à vouloir absolument faire quelque chose, je verrais bien un grand département de physique, incluant les sciences de la Terre et de l’Univers. Mais quelque labo ou institut y perdrait soi-disant de leur sacro-sainte visibilité...
Bref, la coquille de l’IDEX ne contient pas de perle, et c’est tout juste si l’huître promise n’est pas avariée.
Je sais pas si vous avez compris quelque chose à ce charabia, moi en tout cas, je suis à la peine. Dans tous les cas, sachez que ces IDEX sont le dernier coup porté par le gouvernement Sarkozy au système universitaire français. Si cela voit effectivement le jour, nombre d’universités provinciales vont mourir de leur belle mort : elles ne feront tout bonnement pas le poids face aux monstres que l’on est en train de créer. Frankenstein. Comme il n’y aura pas plus de sous, les frais d’inscription des étudiants vont très probablement mécaniquement augmenter. Et comme on se dirige vers l’Excellence (avec un grand « E »), il est à parier que le service public d’enseignement supérieur disparaisse pour ne laisser place qu’à des filières (Licences, Masters) d’Excellences, réservées, donc, aux Excellents étudiants (et fortunés, évidemment). Les enseignants-chercheurs Excellents vont faire surtout de la recherche, délégant l’enseignement (une sous-tâche, c’est bien connu), aux enseignants-chercheurs moins Excellents. Mais ça, c’est presque déjà le cas, depuis que nous avons perdu la partie en 2009 malgré un mouvement de protestation des universitaires unique par son ampleur...
Si, en tant que citoyen, vous souhaitez vous opposer à cela, soutenez-nous déjà en signant l’Appel du 23 février et en le répercutant autour de vous. Il en va de la formation de vos enfants !
[1] Mais nous n’avons pas forcément plus de projets en commun entre les différents groupes du labo, et nous n’en avons pas forcément plus avec les chercheurs en géosciences ; le fait est que super-structure ou pas super-structure, quand les collaborations scientifiques doivent se faire, elles se font quelles que soient les barrières administratives...
Guillaume Blanc
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