Retour d’est
Un week-end ski prévu dans le Queyras depuis belle lurette en car-couchette affrété par le GUMS. Oui, mais. Une dizaine de jours avant, j’ai commencé à regardé la carte, j’avais trouvé un superbe itinéraire, essentiellement en faces sud... L’enneigement vu par Météo-France ne semblait pas catastrophique, bref, j’étais tout excité à l’idée. Et puis en regardant d’un peu plus près, compte-rendus de sorties récentes sur les sites collaboratifs, webcam d’Abriès, confirmation prise auprès du bureau des guides local, j’ai dû me rendre à l’évidence : les faces sud étaient sèches, archi-sèches !
Bon. Changement de plan. De cabane spartiate sans chauffage, on est passé au refuge quatre étoiles. Pour aller tâter plutôt les faces nord que sud. Aller skier dans la neige, tant qu’à faire.
Et puis dans la semaine précédent le départ, la région du Queyras juste autour du Mont Viso a bénéficié d’un de ses fameux « retour d’est » déposant contre toute attente plus de 80 centimètres localement. Or le refuge visé était justement en plein dedans. Refuge Agnel. Ou pas très loin. Pour la peine le risque d’avalanche est remonté de quelques crans, surtout dans les faces nord. J’avais donc le choix entre des faces sud déneigées ou sans sous-couche, et des faces nord avalancheuses ! Cornélien !
C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés à 37 parisiens étalés entre la vallée de l’Aigue Agnelle et le vallon de Ségure, à distance respectable donc de l’épicentre du retour d’est (haute vallée du Guil), et à distance respectable des pentes toutes sèches d’ailleurs.
Tout le monde s’est fait déposer au pont de Lariane, après Fontgillarde, sauf nous. Désireux d’en découdre et de ne pas faire comme tout le monde, nous partirons de Ristolas.
Valérie et sa BMW chargeront les cinq paires de ski, avec un nombre identique de gros sacs et de gugusses, pour court-circuiter le détour du car dans la vallée de l’Aigue Agnelle. Nous décollons ainsi vers 9h30, avec une palanquée d’autres randonneurs venus tâter la neige fraîche sur les pentes du Pic Ségure. Sauf que nous restons dans le bas, sur le chemin, pas très loin du fond. Marc se demande si on va finir par commencer à monter les 1500 mètres de dénivelés qui sont au menu... Certes, mais finalement, l’air de rien, on monte. Doucement, mais sûrement. Le coin est chouette, le regard s’enfuit, rêveur, vers d’hypothétiques couloirs qui descendent des Cougnes.
Quelques traversées de ruisseau plus tard, l’arbre se fait plus rare, le regard porte au loin, au fond. Les mélèzes rabougris par l’hiver tracent des ombres enchanteresses sur un manteau neigeux aux courbes ravageuses. Le soleil donne un petit air de printemps, malgré les quelques décimètres de neige fraîche dans lesquels nous pataugeons. Nous remontons à contre-courant de vieilles traces de descente, la trace profonde ne nous sera pas épargnée. Porté sur mon élan, de loin, j’avais réussi à me fourrer dans le crâne que ces traces provenaient non pas de la classique traversée par le Clot du Poulain, mais de la Crête des Fonzes, par laquelle je voulais passer. Nous avons ainsi creusé notre tranchée jusqu’au bout des dites traces.
C’est en arrivant à ce bout-là que j’ai réalisé que nous étions 200 m sous le sommet convoité. Si j’avais regardé la carte plus attentivement... La perspective de tracer 200 m de tranchée supplémentaire, dans une poudreuse de rêve avec la quasi-certitude d’une descente merdique de l’autre côté en face sud ne nous emballait finalement pas plus que ça. D’autant que cette erreur ouvrait la porte à une traversée encore plus belle, le lendemain...
Courte descente de l’autre côté du col côté « 2827 m » pour remettre les peaux et s’en repayer une tranche jusqu’au col de l’Eychassier. Là, nous sommes accueilli froidement par un vent soufflant de nulle part aux rafales déstabilisantes. Effet Venturi. Arcboutés sur les bâtons, nous enlevons les peaux une deuxième fois pour 300 mètres de ski entre neige dure et neige croûtée, droit au-dessus de l’imposant refuge Agnel.
Refuge salutaire pour certains, synonyme de casse-croûte, enfin. Il est 16h. Sur la terrasse, pas mal de monde se prélasse déjà au soleil, tandis que nous nous rassasions. Mais si le corps est bientôt sustenté, en revanche, il manque comme un petit quelque chose à cette somptueuse journée. Lorgnant sur les belles traces en poudreuse provenant d’en face, nous décidons d’aller y faire un tour. Nous remettons les peaux pour rejoindre rapidement le col Agnel, et de là basculer sur la crête au-dessus. C’est dans les lueurs du soleil couchant que nous traçons quelques belles courbes dans cette neige providentielle.
Une ultime remontée avec les peaux pour rejoindre le refuge. Nous aurons même le temps de boire un petit verre avant la traditionnelle soupe.
Dimanche, grasse matinée, le petit-déjeuner est servi à 7h30 pétantes. Nous décollons à 8h15, pour descendre un peu sur la route enneigée verglacée. Avant de mettre les peaux pour gagner le vallon du Devez, sauvage et peu fréquenté, au pied de la crête des Fonzes. La pente se redresse continûment, il faut finalement louvoyer entre les rochers bien apparents dans cette pente orientée plein sud. Les conversions succèdent aux conversions, qui s’enchaînent, nous prenons de l’altitude. Anne-Soisig franchit la corniche, et se retrouve sur l’arête. Nous la rejoignons bientôt. Petite traversée en crampons pour arriver au sommet. Superbe vue sur le panorama alentour. Le Viso semble dominer le monde du haut de son imposante pyramide. À l’opposé, le Grand Queyras, tout proche, bouche la vue vers l’ouest.
Après quelques barres énergétiques réparatrices, nous attaquons la descente, dans une neige pas folichonne. Mais rapidement, l’orientation change, dès le virage, c’est beaucoup mieux. La neige n’a plus été tourmentée par le vent, le manteau est là, stable, identique à lui-même, n’attendant que nos spatules. C’est ainsi que nous dévalons la superbe pente, grande courbe après grande courbe, ou petite courbe après petite courbe. Un pur moment de flottaison, hors du temps. Apesanteur.
Sur le replat, nous rejoignons les copains d’un autre groupe. De là, nous remettons les peaux — une constante ! — pour aller se tracer une belle pente jusqu’au sommet du Sparveyre, où la solitude est assurée, son voisin, le Pic Ségure, pourtant moins haut (2990 m contre 3002 m) mais plus proche de la vallée, concentre les foules. Nous traçons avec Anne-Soisig dans une neige relativement profonde, relativement lourde, bonne couche de poudreuse qui commence à avoir chaud, en versant ouest qu’elle se trouve. La pente est régulière et large. Le sommet n’en finit pas d’être à portée de spatule. Un bon gros sommet tout rond, surmonté d’un bon gros cairn tout rond. Sur le sommet d’à côté, semble régner une certaine frénésie, une sorte de surpeuplement. Là, nous sommes tranquilles pour profiter du spectacle panoramique tout en cassant la graine en refaisant le monde. Le Mont Viso surmonte la belle Taillante, plâtrée.
L’heure tourne, l’idée d’enchaîner avec le Pic Ségure s’évanouit, d’autant que je soupçonne une descente d’anthologie dans cette neige que nous venons de déguster du bout des skis à la montée, ce serait dommage de ne pas en profiter jusqu’au bout. Nous abandonnons la course au chiffre, pour celle du simple plaisir. Et malgré quelques cailloux vicieusement planqués dans le haut, nous avons pu nous lâcher sous la gravité sur les huit cents mètres de descente sans obstacle qui s’étalaient devant nous. Ah, la griserie de la glisse et de la vitesse, le cheveux au vent, la larme à l’œil...
Nous rallions le fond du vallon au niveau de la bergerie de Ségure. De là, une belle cavalcade sur la piste tracée la veille, déjà surmontée de dizaines d’autres traces. Nous arrivons rapidement à Ristolas, où nous attend la BMW de Valérie. Nettoyage et séchage en règle des skis et chaussures pour avoir le droit de monter dans le véhicule, et nous aurons même le temps de boire un coup à la terrasse d’un troquet d’Abriès avant de nous en retourner vers la capitale...
Tricotage dans le Haut Queyras
Les comptes-rendus et topos sur CampToCamp :
Col de l’Eychassier : Traversée Ristolas >> Refuge Agnel par les cols de l’Eychassier et 2827
Guillaume Blanc
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