Humilité
La montagne est généralement accueillante. Elle se laisse relativement souvent docilement contempler. Et parcourir. Même si, parfois, elle semble bouder l’alpiniste, le skieur, le randonneur, cela ne dure jamais très longtemps. La montagne, elle a le temps. Elle prend le temps. Son temps. Le montagnard, quant à lui, est souvent impatient d’aller là-haut, tâter l’azur. Impatient d’aller suer pour y parvenir, là-haut. L’impatience. Pas le temps d’attendre. Jamais. Ou rarement. Contraintes de temps, toujours. Week-end, boulot, train à prendre, à reprendre, arriver, repartir. Courir. Contempler, mais vite, hein ! Et pourtant, parfois, la montagne boude. Elle se referme sur elle-même, ne daigne se laisser approcher. Infréquentable, la montagne.
Et le montagnard de trépigner d’impatience, de faire les cents pas dans son salon, les godiots au placard, la Gore-Tex qui sent la lavande. Il virevolte d’un mur à l’autre, s’acharne sur les prévisions météorologiques, surfe ici et là sur un réseau virtuel, reflet de sa triste impuissance. La montagne est la proie des éléments déchaînés, lui n’a rien à y faire. Que de rester, patiemment, dans sa cage protectrice. Cette fois la montagne ne veut pas de lui. De lui ni de personne, d’ailleurs. Besoin d’être seule, peut-être. De se ressourcer face à un bon bol d’air. Puiser son énergie en elle-même sans corps étrangers. Seule. Face à elle-même.
Le montagnard — alpiniste, skieur, randonneur — n’a plus qu’à apprendre la patience. Regarder le temps qui passe, s’évertuer de contrebalancer le sort en jonglant de site météo en site météo, lequel va lui indiquer le petit bout de l’éclaircie salvatrice ? Le temps qu’il va faire. Le temps qui passe. Le temps qu’il fait. Ô montagne inaccessible, parfois.
Comparer les prévisions ici et là, tenter de faire jouer la géographie. Rien n’y fait, la montagne tout entière est plongée dans un inaccessible linceul. Le montagnard ronge son frein. Ou sa corde.
Il en profite pour quelques infidélités aux cimes altières, visite de lieux sous des cieux plus cléments, où l’azur du ciel s’estompe dans l’azur de la mer ; où massif rime avec forêt, escalade avec bloc. Patienter. Mais s’occuper tout de même. S’en aller respirer la brise de mer, ou écouter le léger frétillement des feuillages printanier, enveloppés du chant printanier de quelque coucou. À défaut de ?
N’y tenant plus, dans un ultime sursaut d’activité, une dernière tentative, il compulse frénétiquement l’internet à la recherche d’un billet de train abordable — doux euphémisme — pour se rendre... en montagne ! Les prévisions météo, quelque soit le site disséqué, ne sont guère optimistes, mais il se dit que dans le sud, souvent, c’est mieux. La perturbation annoncée viendra du nord. Qui sait ?
Il prépare alors ses affaires en frétillant, dans une impatience fébrile. Aller tâter la neige d’altitude une dernière fois, chausser les skis, quand même. Après tout ce temps ! Comme si toute la neige hivernale avait finalement décidée de recouvrir les montagnes printanières. Une montagne gorgée de blancheur qui pourrait n’attendre que quelque spatule. Tout guilleret, il s’en va, trimbalant son monceau de matériel sur ses frêles épaules. RER, gare, TGV, voiture. Ça y est. Il y est. Il ouvre cartes et topos, moral gonflé à bloc. Les projets refleurissent telle une pelouse printanière, l’espoir renait.
Couché 23h, levé 4h. Une heure de route plus tard, il faut bien qu’il se rende à l’évidence. La neige tant attendue, tant espérée, s’est tout bonnement carapatée. Rétractée vers les cimes d’où elle pendouille lamentablement, lambeaux de blancheur entachés de grisaille. Le manque de sommeil aidant, la perspective d’une balade les skis sur le dos à la montée et à la descente ne réjouit pas plus que ça notre impétrant. Même si sa motivation originelle est — était — gonflée à bloc. Demi-tour. Retour. Fin de nuit désastreuse. Journée dans le pâté. Tentative de grimpette, tout de même, l’histoire de.
Météo, encore. Demain, peut-être ? Après-demain ? Monter plus haut, aller tout de même voir, tâter, toucher cette neige peau de chagrin. Rien à faire, la perturbation semble vouloir, encore et toujours, lui barrer la route. Il persiste. Peut-être que, en interprétant un peu entre les lignes le bulletin, peut-être que. Peut-être que l’on peut y voir une petite place pour un petit rayon de soleil au bon moment. Peut-être que. S’il monte au refuge sous la pluie, le lendemain, le soleil sera de mise. Peut-être ?
D’ici là, profiter des dernières heures de beau temps, grimpouillade en famille. Et puis déjà, les premières gouttes. Averse. Qui dure. Qui mouille. Qui dure et qui mouille. La perspective d’aller délibérément balader les skis sur le sac sous la pluie battante est en train d’émousser toute forme de velléité qui fond alors comme neige au soleil. Dehors, il pleut à verse.
Le lendemain, au petit matin, le ciel n’en finit pas de s’égoutter. Le plafond, bas, semble véhiculer des wagons de nuages qui s’accrochent tant et plus aux moindres aspérités. Le mauvais temps persiste encore un peu. Pour le plaisir. Petite course à pieds dans la campagne gorgée d’eau. Finalement, il a bien fait, le montagnard, de ne pas être défier les éléments, là-haut. Chacun à sa place.
Guillaume Blanc
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