Un État commun entre le Jourdain et la mer
J’écoute assez rarement France Inter l’après-midi, et encore plus rarement l’émission Là-bas si j’y suis de Daniel Mermet, car en général je craque avant la fin des messages des auditeurs, plaintes et lamentations en veux-tu en voilà... Donc, une fois n’est pas coutume, j’écoutais cette émission. Mais c’était l’année dernière, tandis que nous prenions la route pour aller dans les montagnes. Rencontre radiophonique avec les deux auteurs d’un petit livre, essai sur le territoire palestinien, Israël, Palestine. Sans vraiment m’intéresser plus que ça à la chose, je suis assez curieux de cette cohabitation forcée, de cette cohabitation qui ne fonctionne pas depuis des plombes, je suis intrigué par ces informations qui nous rebattent les oreilles d’un soi-disant processus de paix qui s’étiole en longueur et qui semble ne jamais vouloir déboucher sur la paix, enfin. En attendant, la vie sur place, c’est pas rose tous les jours. Surtout pour les Palestiniens, pour autant que j’en ai pu comprendre. Bref, intrigué, donc. Fasciné par les deux invités, Eric Hazan et Eyal Sivan, j’ai acheté leur livre publié par une petite maison d’édition La Fabrique. Eric Hazan, en est le gérant, Eyal Sivan est un cinéaste israélien.
Longtemps resté sur une étagère, je viens de me décider à le lire. Je crois que si ça avait été un pavé, j’aurais jeté l’éponge, mais là, soixante-trois pages, c’était dans mes cordes. Je l’ai avalé d’une traite. Ça se lit très bien, le profane que je suis en la matière y a trouvé son compte : je pense avoir compris la démonstration.
Un plaidoyer, donc, qui nous démontre que la seule solution tenable pour ce bout de terre coincé entre la vallée du Jourdain à l’est et la mer Méditerranée à l’ouest, territoire déchiré à la fin de la seconde guerre mondiale, populations séparées (ou pas), qui ne cessent de s’étriper, est un état unique rassemblant israéliens et palestiniens avec des droits égaux pour tous. Et non pas deux états distincts comme le « Processus de Paix » voudrait nous le faire croire. Cet essai part surtout du constat que ce processus de paix, en branle depuis 20 ans, n’a pas vraiment aboutit...
Cet essai se décompose en sept parties.
1. Le partage au lieu de la partition
La partition de la Palestine en deux États fait l’objet de grands et beaux discours, qui arrangent beaucoup de monde, mais ce n’est pas une solution. Plutôt que de partitionner, il vaudrait mieux partager. De fait, « il n’existe aujourd’hui qu’un seul État qui exerce son pouvoir sur l’ensemble du pays. » Mais « cet État unique n’est pas un État commun car il se définit comme l’État des juifs et non l’État de tous les citoyens. Il maintient l’inégalité et la discrimination légale non seulement sur les zones qu’il désigne comme « territoires occupés » mais sur tous les non juifs habitant le pays. »
2. Qui a intérêt à maintenir le mythe des deux États ?
Les israéliens : l’idée pour Israël est de « maintenir les territoires occupés dans un statut provisoire. » Ce provisoire dure depuis 40 ans, mais le mythe des deux États permet de la rendre « tolérable » aux yeux du monde. Maintenir son « image de « démocratie » dans leur État à eux tout en maintenant l’état d’exception sur une grande partie du pays. » Et enfin, maintenir « l’illusion qu’il existe deux entités sur le territoire de la Palestine historique. »
L’Autorité Palestinienne : le processus de paix (débutés par les accords d’Oslo) « a favorisé la formation d’une bourgeoisie affairiste en liens étroits avec l’Autorité et les pays donateurs et qui prospère « en préparant » la création de l’État palestinien. » C’est, de plus, une manne financière, donc ceux qui en bénéficient (150 000 familles) ont tout intérêt à « continuer les négociations sans fin. »
Les pays occidentaux : pour maintenir de bonnes relations avec « les pays arabes et musulmans en gardant une façade de neutralité bienveillante. » Pour tester du matériel et des techniques de contrôle des populations en matière de guerre urbaine (utilité pour le contrôle de nos propres banlieues qui sont le pendant de certains territoires occupés). Et puis le discours des deux États « permet de soutenir Israël en tant que pays attaché à la paix dans la région. »
Les pays arabes : pour eux, « s’approprier ce mythe, c’est la condition pour être accepté — et éventuellement financé — par les Occidentaux comme un régime acceptable, modéré. »
3. Un vrai État Palestinien n’est pas possible
Ce serait la réunion de la Cisjordanie et de Gaza. Non seulement ces deux régions sont disjointes, mais elles sont également complétement morcelées par les colonies israëliennes. Colonies difficilement démantelables, car représentant 500000 personnes. Et comme la vallée du Jourdain, à l’est resterait en Israël, la Palestine se retrouverait être un pays morcelé, enclavé dans l’État d’Israël, dont les « mouvements de marchandises et de populations dépendraient du bon vouloir des israéliens. » De surcroît, le principal aquifère de la région est situé en Cisjordanie, d’où son importance vitale pour Israël...
4. Un État juif viable à long terme n’est pas possible non plus
« L’existence de l’État d’Israël, qui se définit lui-même comme « État juif et démocratique », repose aujourd’hui sur deux éléments : le maintien d’une majorité juive privilégiée et la persistance d’un statut d’exception par rapport au droit international. [...] Ni l’un ni l’autre de ces éléments ne saurait tenir sur la durée, même en admettant la division de la Palestine historique en deux États distincts. »
En effet, il y a aujourd’hui une extrême diversité des statuts de nationalité à l’intérieur de l’État d’Israël actuel et des territoires qu’il contrôle, avec des discriminations plus ou moins marquées entre les différents groupes. La politique israélienne étant de maintenir le privilège des juifs.
Autre raison, l’état de guerre permanent en Israël est le garant de la cohésion nationale, outre le fait qu’il est essentiel pour l’économie du pays dont les exportations reposent essentiellement sur la technologie militaire et sécuritaire. C’est donc « l’existence d’un ennemi commun qui maintient la cohésion en Israël. »
5. Les arguments contre l’État commun : bonne et mauvaise foi
- L’État commun, c’est la fin de l’État d’Israël, c’est voir les juifs devenir une minorité dans leur propre pays. Actuellement, sur les 11 millions d’habitants du territoire, la répartition entre juifs israéliens et arabes palestiniens est de 50/50. Mais vu la différence de natalité, en faveur de ces derniers, les juifs vont finir par effectivement devenir minoritaires. Sauf que l’idée de l’État commun, est d’abolir « les privilèges liés à l’appartenance nationale-religieuse — et pour les privilégiés, une telle abolition peut passer pour de l’oppression. »
- L’existence d’un État juif avec son armée et son arsenal nucléaire est le seul véritable garant contre un nouvel Auschwitz. Sauf que « depuis 1948, l’État juif est le seul endroit au monde où les juifs sont en réel danger. L’armée israélienne est certes très forte, mais elle dépend entièrement de l’Occident. Or une telle dépendance n’est pas seulement le contraire d’une garantie, c’est un danger. »
- Les Israéliens ne voudront jamais d’État commun et les Palestiniens non plus. Les différences entre eux sont trop marquées et trop de haine s’est accumulée tout au long du XXe siècle. C’est effectivement un argument fort. Un peu comme avec l’apartheid en Afrique du Sud. Sauf qu’ils ont fini par vouloir... De surcroît, « il existe dans le pays des points de contact pacifiques entre juifs israéliens et arabes palestiniens : le combat contre le mur, les relations entre commerçants, la collaboration entre délinquants, les mariages mixtes, etc... Tous ces petits et grands côtés de la vie israélienne sont comme des préfigurations de ce que pourra être un État commun, des points de départ pour imaginer, pour inventer un mode égalitaire de coexistence heureuse. »
- En Afrique du Sud, la fin de l’apartheid n’a pas résolu les antagonismes sociaux. Dans l’État commun, on risque de voir les juifs constituer la bourgeoisie et les arabes le prolétariat. « L’État commun ne doit pas être envisagé comme un État idéal. [...] La lutte des classes ne sera pas miraculeusement abolie dans l’État commun mais il s’agira bien de classes et non d’appartenance ethnique ou nationale. »
6. L’idée d’État commun ne sort pas d’un chapeau
Les auteurs reprennent l’histoire de la création d’Israël, et montrent que la notion d’État commun (ou binational) jalonne cette histoire. D’ailleurs le concept semble prendre de plus en plus d’ampleur ces dernières années, avec des publications, des séries de colloques... Mais en France, le public est soigneusement tenu à l’écart de tous ces débats, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Israël !
7. Thèses sur l’État commun
- « L’unité géographie de la région entre la vallée du Jourdain et la mer Méditerranée est évidente. Ses ressources naturelles — l’eau en particulier — y sont impossible à diviser. Les différentes populations qui y vivent sont si imbriquée qu’il faudrait de massifs transferts pour créer des entités ethniquement homogènes. »
- Il s’agit de poser un cadre en mettant une fois pour toute l’idée de partition au placard « en la remplaçant par la notion de partage. » « Quant au mode d’organisation politique de l’État commun, qu’il soit binational, fédéral, cantonal ou confédéral, son choix reviendra au peuple de cet État. »
- « L’État commun suppose que les arabes palestiniens et les juifs israéliens renoncent au rêve fatigué d’État-nation. »
- « L’État commun n’est pas une position de repli devant l’échec de la « solution » des deux États. Ce n’est pas non plus, contrairement à une opinion répandue, « une des deux solutions possibles » entre lesquelles on aurait à choisir, comme au marché entre carottes et betteraves. C’est la seule voie réaliste car elle est la seule à prendre à prendre en compte la situation actuelle, loin des projections géopolitiques ou démographiques. »
Je conseille donc fortement la lecture de ce petit ouvrage...
Guillaume Blanc
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