Les tribulations d’un (ex) astronome

Dans l’ombre du Livre Inter

lundi 3 juin 2013 par Guillaume Blanc

 Préambule

Lundi 20 mai. Cela faisait un certain temps que l’idée me trottait dans la tête. Candidater pour faire partie du jury du Livre Inter. La perspective de devoir lire une dizaine livres imposés dans un laps de temps court et imparti freinait jusque là mes velléités en la matière. Et puis cette année, pas de tribulations printanières de prévues, je me suis dit que c’était l’occasion ou jamais. Ainsi fut fait. Une petite lettre sans prétention, pour me dire qu’au moins j’aurai tenter le coup.

Et puis, mercredi 3 avril, dans l’émission « Comme on nous parle » de Pascale Clark, l’annonce des jurés retenus. C’est par ordre alphabétique, je me rends rapidement compte que je ne fais pas parti du lot. Bon. Petite déception, même si j’avais fait ça en diletante, un peu comme quand j’ai candidaté pour devenir astronaute, mais je me dis qu’ainsi je vais pouvoir garder ma sacro-sainte liberté de lecture.

Je suis donc passé à autre chose dans ma tête. Or, jeudi 10 avril, le soir, je gardais Sarah tandis qu’Anne-Soisig était à une réunion du Conseil Syndical, je glandais sur mon ordinateur comme à mon habitude, à 20h52, je reçois un mail laconique : « Si vous en êtes d’accord, nous avons sélectionné votre lettre pour être suppléant pour le jury du Prix du Livre Inter. »

Ça m’a fait bizarre puisque j’avais fait une croix sur la chose, pensant que le sort l’avait pliée. Bon, suppléant, c’est un titre un peu bâtard, comme la cinquième roue du carrosse ou la quatrième marche du podium. Par ailleurs, ma lettre a quand même été sélectionné parmi un certain nombre, même si elle arrive en treizième position, c’est déjà pas si mal. Et puis c’est l’occasion de tenter cet exercice de style de lire dix livres imposés dans un intervalle de temps imparti. En l’occurrence un peu plus d’un mois et demi, les délibérations ayant lieu le dimanche 2 juin. N’ayant jamais lu autant de livres en si peu de temps, je me demande si j’y arriverais. Devant ce challenge, j’accepte le rôle.

La dame de France Inter me dit expédier les bouquins dans la foulée. En attendant, et pour m’avancer sur ma tâche, je vais acheter le premier en librairie.

À la réception du colis, au passage complètement éventré par des manipulations délicates, avec un livre manquant à l’appel, perdu sur je ne sais quel tapis roulant dans les entrailles de la Poste, je me rends compte que la plupart sont très peu épais (moins de 200 pages), et donc leur lecture devrait être assez rapide. Ce qui me rassure sur la possibilité de remplir mon rôle, c’est-à-dire essentiellement de lire ces livres avant le 2 juin.

Voici donc mon journal de bord de cette lecture marathon.

 Olivier Adam – Les Lisières

454 pages

Lecture commencée le vendredi 12 avril, terminée le jeudi 18 avril.

J’ai décidé de ne pas trop réfléchir et de commencer à lire la pile de bouquins par ordre alphabétique de leurs auteurs.

Superbement bien écrit, malgré la quasi absence de suspense, je me suis retrouvé admirablement pris dans le tourbillon des piètres aventures de Paul. Paul, largué par sa femme, deux enfants qui lui manquent. Il habite en Bretagne au bord de la mer. Comme sa femme qu’il aime encore. Il va passer quelques temps en banlieue parisienne voir sa mère à l’hôpital. Il passe ainsi quelques jours dans sa ville natale qu’il déteste, retrouve ses anciens copains de collège/lycée. Incompréhension respective, différence de classe, différence de métier ; Paul est écrivain. Il écrit sur ce qu’il a vécu, c’est assez noir. Ses anciens potes ne sont rien devenus, ou pas grand-chose : caissier, serveur, infirmier… Paul retrouve une fille dont il était secrètement amoureux, adolescent, Sophie. Elle est mariée deux enfants. Elle couche avec lui, plus ou moins contre son gré à lui : Sophie n’est plus la Sophie. Évidemment. En fait elle est folle de lui, au sens névrosé du terme. Comme il l’a largué, ado, sans dire au revoir, elle ne s’en est jamais remise. Elle lui tombe dessus, mais lui n’en veut pas. Ça finit en tentative de suicide dans la mer. Paul tente de fuir ses propres névroses. Son entourage ne l’aide finalement pas vraiment. On dirait que tout le monde le déteste. On est au printemps 2011, fin du règne de Sarko, Japon dévasté par tsunami, Fukushima… Japon qu’il adore. Pas mal de commentaires politiques, Paul est de gauche. Son frère, véto, de droite. Vastes engueulades entre les deux. Je me demande si en lisant ce livre dans vingt ans, on y comprendra toujours quelque chose. Reflet d’une époque. Roman assez noir, finalement, qui se lit très très bien. Et qui se termine sur une belle note d’espoir. Paul est parti vivre au Japon, sa Maladie, comme il l’appelle semble avoir définitivement pris le large. Son ex-femme va venir avec leurs deux enfants passer quinze jours. Il a l’espoir de la reconquérir…

« Au salon une deuxième coupure publicitaire a permis à mon père de se lever pour aller pisser. À croire que désormais les émissions de télévision ne servaient plus qu’à patienter entre deux tunnels de réclames. J’ai baissé le son de ces inepties qu’à défaut d’interdire on aurait pu taxer massivement afin de renflouer les caisses des ministères de la Culture et de l’Éducation nationale, dont elles insultaient le travail, sapaient l’action, en vertu du principe de lobotomisation sur lesquelles elles fondaient leur impact. » p. 85

Le récit est ponctué, comme ça, d’un certain nombre de commentaires, dont l’actualité du moment, qui ont trouvé une certaine résonance en moi. Peut-être que si ça avait été des digressions de droite, j’aurais moins apprécié la prose ?

« On est ce qu’on peut. Mais de le savoir, rien ne nous console… » p. 101

« Il me semblait qu’un pan entier du pays vivait avec un œil dans le rétroviseur, la pédale sur le frein, la nostalgie d’un temps qui n’avait pas existé en bandouillère, du sépia plein les doigts. » p. 125

« — Qu’est-ce que tu veux ? À dix-huit ans on ne peut pas savoir. On ne peut pas savoir qu’on n’a qu’une chance. » p. 144

« La vengeance n’était jamais une solution. Mais parfois ça défoulait. Il fallait bien l’admettre. » p. 335

 Emanuèle Berheim – Tout s'est bien passé

206 pages

Lecture commencée le 17 avril, terminée le 20 avril.

Les premières pages, j’ai détesté. Des phrases courtes, incisives. Des descriptions que je trouvais inutiles. Ou futiles. Difficile à lire. Style haché. Retour à la ligne à chaque fois. Comme si ça se voulait être de la prose en vers. Bref, je me suis dit qu’au moins ce serait vite lu. Et puis, au fil des pages, je me suis laissé prendre par le récit, et finalement, j’ai beaucoup aimé. La narratrice (à savoir l’auteur) a son père de 88 ans qui vient d’avoir un AVC. A moitié paralysé, devenu dépendant, il lui demande de l’aider à en finir. Il ne se reconnaît plus dans ce corps qui le fuit, après une vie à vagabonder à droite et à gauche. C’est donc le récit de cette prise de conscience, de la mise en place de cette euthanasie, qui se passera en Suisse avec l’aide d’une association spécialisée, car en France, ce n’est pas autorisé. Jusqu’à la fin où « tout s’est bien passé. » Rapidement lu. Très chouette. Certains indices montrent que le récit n’est pas un roman mais bel et bien une aventure qui est arrivée à Emmanuèle Berheim. Son père André Berheim semblait être de la haute société, avec plein de connaissances dans le beau monde. Cet aspect n’est que peu évoqué. De fait, plus un témoignage qu’un véritable roman, mais qui a le courage d’évoquer la fin de vie assistée. Un sujet tabou.

« De sa main gauche, il a pris mon bras, sans le serrer.
Il m’a regardée bien en face.
— Je veux que tu m’aides à en finir.
 » p. 50

 Julia Deck – Viviane Élisabeth Fauville

155 pages

Commencé le 22 avril, terminé le 23 avril

Ça commence en vouvoyant la protagoniste, puis un passage par le « je » et le « elle, » avant de revenir au « vous. » Un petit livre très étrange. Rapidement lu, je n’ai pas compris où était l’intérêt de la prose. Viviane pour les uns, Élisabeth pour les autres, elle tue son psy d’un coup de couteau dans un moment d’exaspération face à son incompétence. S’ensuivent des tribulations, elle vient d’avoir une petite fille, son mari l’a quitté, elle est en congé maternité, la police l’interroge à diverses reprise sur la mort du docteur. Tout cela finit par partir en vrille, la dame pète les plombs, avoue le crime. Passe un peu de temps en psychiatrie, pour finalement se retrouver libre quelques semaines plus tard, le véritable coupable ayant été trouvé et arrêté. Le style est alambiqué, et j’avoue que parfois je ne savais plus très bien où j’en étais. Une volonté délibérée de l’auteur ?

« Vous êtes à quelques centimètres de lui, le dominant de votre haute taille et de vos talons ? Vous élevez la pointe du couteau à hauteur de son estomac, maladroitement, tâtonnant un peu, pas à fait sûre que ça va marcher. Il ouvre sa bouche ronde, un cri se forme au fond de la gorge. Alors vous savez qu’il ne faut pas hésiter. Vous plongez la lame juste en dessous de la dernière côte, l’y trempant jusqu’à la garde. Les viscères ont la mollesse du beurre ? Vous remontez vers le poumon mais déjà le petit homme expire, il gît au pied du fauteuil d’où il ne sévira plus. » p. 24

22 avril. Bon, pour le moment, trois bouquins de lus. Deux que j’ai relativement bien aimés, le troisième, moyen. Mais les histoires racontées dans ces trois livres sont d’une banalité déconcertante – scènes de la vie de tous les jours, quasiment —, seul le style est très différent entre les trois.

 Cécile Guilbert – Réanimation

270 pages

Lecture commencée le 23, terminée le 24 avril.

La narratrice raconte les journées passées par son mari, Blaise au service de réanimation de l’hôpital de Lariboisière, suite à une maladie foudroyante, la « cellulite cervicale » sorte de gangrène au niveau du cou. Devant son mari plongé en coma artificiel pendant des jours et des jours, la narratrice se perd de digression en digression. Pas vraiment de fil conducteur, pas vraiment de suspenses (va-t-il se réveiller ou pas ?). Seulement des actes parfois dépourvus de cohérence, des pensées divagantes.

C’est excessivement bien écrit, à tel point que souvent j’ai l’impression de lire des phrases sans queue ni tête. Un bouquin sur Andy Warhol (l’Albinos) récemment publié par la narratrice joue le rôle ténu de fil conducteur au beau milieu de ce bouguiboulgas. J’ai eu un peu de mal à rentrer dedans, mais plus les pages lues s’amoncelaient, plus je voyais le bout arriver, plus j’y prenais du plaisir, paradoxalement. Le plaisir d’en voir le bout ?

Ceci étant, j’ai appris des choses, on survole la mythologie grecques dans la première moitié, puis ce sont les contes de Perrault dans la seconde. Enfin, chaque page ou presque, me découvrait un mot que je ne connaissais pas. Sans compter tous les mots que je crois connaître, sans pour autant pouvoir leur coller une définition. Étalage de culture, ça dégouline à toutes les pages.

Bien sûr ce roman est un hymne à l’amour, un hymne à la vie. Mais sur 270 pages, c’est un peu long tout de même, non ?

« Conversation sachant cajoler les silences étoilés où elle se poursuit, la vie quotidienne ne fatigue pas l’amour mais le relance et l’accroît. Il suffit d’être doué. » p. 16

Au moins, je suis d’accord avec cet aphorisme.

« Pour un médecin n’existe que la maladie, dont l’extension périphérique s’appelle le malade, et l’extension de l’extension ce résidu souvent admirable d’abnégation, de compréhension, de dignité, mais le plus souvent questionneur, intrusif, procédurier, bref, empêcheur de laisser vivre ou mourir en rond. » P. 118

« Est-elle magnifique, horrifique ou neutre, cette cellule retranchée à l’intérieur même de l’écart où coagule la distance infinie ? » (p. 122)

« Seulement présence alentour d’un compost de brisures capté en flashs bizarres, échos d’une mauvaise descente d’acide réverbérée de très loin. » (p. 269)

Vous m’en direz tant… Et en clair, que signifie… ?

Casuisitique (p. 118) Faseyer (p. 122) Fouailler (p. 126) Égrotant (p. 133) Botoxée (p. 136) Sinue (p. 166) Croyances védiques (p. 170) Mâne (p. 171) Matité (p. 171) Incube (p. 179) Ankylose (p. 179) Vibratile (p. 218) Grabat (p. 221) Crapoteuse (p. 242) Védique (p. 259) Égrotant (p. 267)

Et puis il y a aussi ce passage intempestif de la troisième personne (Blaise ceci, Blaise cela…) à la deuxième personne (tu…).

Quatrième livre du marathon du Livre Inter terminé. Je suis dans les temps. Pour le moment, trois auteures, un seul auteur. La sélection ne serait-elle pas paritaire ? En tout cas, pas beaucoup de gaieté jusque-là. Ça broie du noir sérieux, chez les écrivains français. Et puis ça tourne beaucoup autour de Paris. Un peu la Bretagne avec Olivier Adam, et encore, à peine. Paris, sa vie quotidienne, ses hôpitaux. La vie à la marge, en somme.

Je ne sais pas comment la sélection des dix bouquins est faite. Peut-être y a-t-il une thématique qui joue de fil d’Ariane ? Bah, probablement que la suite de mes lectures va m’éclairer un peu là-dessus !

25 avril. Je me prends véritablement au jeu. Lire une pile de bouquin dans l’ordre, sans m’appesantir sur la quatrième de couverture, sur le titre ou l’auteur. Les lire. Point barre. Et finalement, l’exercice a du bon, puisque je me retrouve à lire des livres que jamais je n’aurais eu l’idée d’acheter. J’aime ça, en fait, cet exercice de style « figure imposée. » Parce que ces livres, ils sont, pour le moment, tous relativement bien. Je suis content de les avoir lu. Mais sans cette contrainte je ne les aurais jamais lu. Probablement. De surcroît j’ai viré de mon sac « d’école » autres essais et revues diverses qui l’alourdissent habituellement quotidiennement. Je n’ai plus que le livre que je suis en train de lire. Je ne lis plus que ça. Je joue mon rôle consciencieusement. Je prends des notes, parfois, cornant ici une page, soulignant là un mot ou une phrase au crayon. Dans l’ombre du Livre Inter. Le Poulidor de la chose.

 Marie Ndiaye – Ladivine

403 pages

Lecture commencée le 24 avril. Terminée le 29 avril.

26 avril. Je le redoutais ce bouquin. Car j’avais déjà essayé de lire un autre roman de Marie Ndiaye, « Trois femmes puissantes » où je n’avais pas accroché et avais dû abandonner. Je le redoute toujours, je n’ai lu qu’une centaine de pages — plus que 300 ! — et… c’est laborieux ! C’est rudement bien écrit, évidemment, mais c’est d’une lenteur insupportable, et puis les évènements dramatiques (naissance, vie, mort…) sont comme passés à travers une lisseuse : tout est lisse. Sinusoïdal : ça va ça vient, comme la houle au large, sans déferlante… Mais bon, je m’accroche — bien obligé — et peut-être que la suite démentira ce constat.

27 avril. J’en suis à la moitié. Ouf. Il s’est passé des choses, mais elles restent étouffées par le lissage omniprésent. On a changé de narrateur. De la mère Clarisse/Malika on est passé à sa fille Ladivine. Normal, la mère a été assassinée. On n’en sait guère plus. Finalement ce roman semble ne mettre en avant que des gens médiocres qui passent leur vie à s’ennuyer. Peut-être pour mettre le lecteur sur une sorte de piédestal ?

29 avril. Le temps d’un aller-retour à Paris en RER plus quelques minutes, j’ai atteint le point final de cette histoire abracadabrantesque. Une fille qui renie sa mère et ses origines, au point changer de prénom, de changer de ville, de ne rien dire à son mari et à sa fille. Une fille qui, pour la peine, se retrouve trop terne, trop lisse, sans rien pour s’y accrocher. De fait, le mari finit par perdre pied et se lasser. Il s’en va, quasiment sans dire un mot. La fille prend sur elle. Plus tard elle rencontre un homme à qui elle va enfin présenter son vrai visage, et sa mère dans un sursaut de regrets. Cet homme, ex-taulard, ex-malfrat, abîmé par la vie saura l’écouter. Puis elle est mystérieusement assassinée. Évidemment l’ex-malfrat est le coupable idéal. Le lecteur n’en saura pas plus, mais on se doute bien que ce n’est pas lui. La plume passe ensuite à la fille de la fille. Vie tranquille avec mari, deux enfants, une maison (ou un appart, je ne sais plus), à Berlin. Visite aux beaux-parents chaque année. Jusqu’au moment où le fils en a ras-le-bol de les voir et décide d’aller en vacances plutôt dans un pays exotique. Là, ça tourne au tragico-fantastique, pseudo meurtre, réincarnation, disparition. La fille de la fille (Ladivine) disparaît pour réapparaître dans un clebs. À Berlin. Puis à Bordeaux, aussi. La plume passe à la fille de la fille de la fille dont il semblerait qu’elle reconnaisse sa mère dans le regard du chien. Puis au père de la fille de la fille, vendeur de 4x4 un peu minable, qui se fait arnaquer et se coltine un beau-fils qu’il n’aime pas. Ça se termine sur une scène du procès fait au coupable idéal. On n’en saura pas plus.

Quelques mots nouveaux, mais pas autant que dans le court roman de Cécile Guilbert :

Infatuation (p. 26) Adamandine (p. 36) Avanie (p. 36) Congédiement (p. 40) Provocant (p. 48) Alacrité (p. 226) Folâtre (p. 325) Regimbé (p. 357)

Bon. J’ai quand même réussi à lire ce relativement gros roman. Mais si je n’y avais pas été « obligé » par ce sombre rôle de suppléant, aurais-je été jusqu’au bout ? Ou bien aurais-je jeté l’éponge comme avec « Trois femmes puissantes » ? Si je suis content d’en avoir lu chaque ligne, en revanche, je suis assez circonspect sur le plaisir que j’ai pu avoir à le lire… Dubitatif. Content d’en être venu à bout, en tout cas, c’était ma bête noire de la pile !

Un bouquin où l’on sort de Paris, tout de même… Peut-être son seul point fort.

« Elle était simplement elle-même, Malinka, dans toute l’innocence de sa présence éphémère et hasardeuse ici-bas. » p. 124

« Il ne s ‘était pas habitué aux montagnes depuis neuf ans qu’il habitait Annecy. Elles le laissaient sur la réserve, défiant, vaguement hostile, car il ne goûtait aucun des plaisirs qu’elles semblaient offrir et qu’il les trouvait inamicales, sottement pesantes et fatidiques au-dessus de la ville. » p. 338

 Christian Oster – En ville

174 pages

Commencé le 29 avril, terminé le 4 mai.

29 avril. Retour à la capitale.

3 mai. Je rame. Je traîne. Ce bouquin m’est particulièrement pénible à lire. Je m’essouffle, peut-être ?

4 mai. Terminé. Bof. J’ai eu l’impression de lire un blog d’une déconcertante banalité. Bien écrit, certes. Très bien écrit. Mais avec ce style à la mode où les pensées du narrateur semblent s’enfiler comme les perles sur un collier, avec à peine la ponctuation nécessaire entre deux.

Format différent entre les livres. Écrit gros/écrit petit. Style en vers, style en prose serrée. Page bien pleine, page avec grosses marges.

Les tribulations de Jean, narrateur et quinquagénaire qui évolue péniblement entre une petite poignée d’amis avec qui il part chaque année en vacances et ses quelques rares conquêtes féminines. William, Georges, Paul et Louise. Agnès et Roberta. Mais une bande de copains qui se connaît finalement à peine. Et là, au moment de préparer les nouvelles vacances, Georges annonce qu’il s’est séparé de Christine (en fait il s’est fait largué), William se retrouve à l’hôpital suite à un AVC, hôpital où s’est rendu seul, habitant juste en face des Urgences (mais au 4e étage), Paul et Louise annoncent qu’ils se séparent, mais continuent de vivre et de partir en vacances ensemble, puis William se casse la gueule dans son escalier en rentrant péniblement chez lui après son séjour à l’hôpital, il tombe sur Jean qui l’accompagnait, et meurt. Jean se retrouve quelques jours à l’hosto, traumatisme crânien, il a heurté une marche. Jean cherche à déménager, il trouve un appartement au bord des quais de Seine, dans le quartier de la Maison de la Radio. Sauf que sous ses fenêtres, la voie rapide déverse ses voitures continûment, bruit et vue. Puis il apprend de son amante du moment (Roberta) qu’elle est enceinte. Il n’est pas amoureux d’elle, ni elle de lui vraisemblablement, mais elle veut garder l’enfant néanmoins. Une amie traverse aussi sa vie de temps en temps, Agnès, qui semble avoir du mal à vivre sa vie et a trouver le bonheur. Finalement, les quatre amis finissent par partir ensemble en vacances, mais pas en Grèce comme prévu avant tout ça, mais en France, en Camargue. Plus près, donc. Jean garde un œil sur la belle Louise, désormais libre. Ils sont côte-à-côte dans le train. Point final.

Quand je lis ça, je me dis que je pourrais allègrement faire publier les élucubrations que j’écris sur mon blog, ce n’est pas moins palpitant !

« Je ne faisais pas grand-chose, le mois de mai fichait le camp, mon arrêt de travail lui donnait des allures de vacances, avec toute cette histoire de beau temps qui revient sur un fond récurrent de fraîcheur, et qui fait penser à l’autre, celui qui passe, donc, avec cette autre histoire douteuse d’enchaînement des saisons et d’allongement des jours qui paradoxalement induit le ressenti d’une accélération et réactive la perspective de l’été et par conséquent de sa fin. » p. 116

 Yves Ravey – Un notaire peu ordinaire

108 pages

Commencé le 4 mai 2013, terminé le 4 mai.

4 mai. Une centaine de pages, écrites relativement gros, j’ai mis à peine deux heures à le lire ce soir.

Un cousin, Freddy, qui vient à peine de sortir de prison. Peine purgée pour le viol et le meurtre (?) d’une des sœurs du narrateur. Sa mère, Madame Rebernak, ne veut pas voir Freddy dans le périmètre de sa maison. Elle a peur de lui. Peur pour sa fille, Clémence. Le narrateur et sa sœur Clémence sortent de l’adolescence, sur la fin du lycée. Clémence est entichée du fils du notaire, Paul. Un peu rebelle, la Clémence. Sa mère s’inquiète pour elle. Freddy est dans les parages, comme s’il rôdait. Le notaire trouve du boulot à la mère, des ménages. Clémence et Paul rompent le jour de l’anniversaire de celui-ci. Clémence se retrouve seule avec le père de Paul. Qui la viole. Mais elle a perdu le bouquin qu’elle étudiait dans sa belle voiture rouge, Freddy a vu aussi des allers et venues suspectes. La mère, peut-être pas hyper diplômée commence a y voir clair : quand le notaire vient lui rendre le fusil de chasse de son mari, décédé il y a longtemps, qu’elle lui avait prêté, comme à un ami, celle-ci l’utilise à bon escient !

Enfin un roman digne de ce nom qui ne pérore pas pour pérorer. Une véritable histoire est racontée, bien écrite, sans fioritures. Très bon bouquin. Trop court, peut-être.

Style sur le mode « je raconte texto ce que je pense », et pour la ponctuation, après moi le déluge. Visiblement style à la mode… Moi je.

 Alice Zeniter – Sombre dimanche

284 pages

Commencé le 8 mai 2013, terminé le 13 mai.

14 mai. J’ai dérogé à l’ordre alphabétique. J’ai abandonné — momentanément — le livre de Yasmina Reza, « Heureux les heureux » que j’avais commencé, pour lire celui-ci entre parenthèses. Les parenthèses de la montagne : minimiser le poids dans le sac à dos tout en maximisant la lecture disponible. Parmi les deux bouquins et demi qu’il me restait sur la liste, celui d’Alice Zeniter répondait le mieux à ces critères. C’est ainsi que je suis parti autour de la Meije avec ce roman en bandoulière. Les deux premiers jours, malgré une large partie de l’après-midi de disponible après l’arrivée en refuge, je n’ai pas trouvé le temps, la motivation, l’envie, la liberté d’esprit pour me plonger véritablement dedans, je n’ai fait que m’y humecter les pupilles. En revanche, le troisième jour, bloqué au refuge du Promontoire, à 3100 m d’altitude, dans les volutes du mauvais temps, après avoir donné un coup de main à éplucher les légumes pour la soupe du soir, je suis rentré dans l’histoire pleinement. J’ai ainsi lu les cent premières pages d’une traite. J’ai poursuivi dans la voiture en rentrant vers la capitale dimanche, et terminé la chose dans le RER en allant au travail lundi.

Ça se passe en Hongrie, à Budapest. C’est l’histoire d’Imre, fils de Pàl, petit-fils d’Imre et arrière-petit fils d’Imre, celui qui a fait construire la maison au bord des rails. C’est l’histoire d’Imre, mais c’est aussi et surtout la saga de cette maison, qui est désormais complètement entourée de rails, qui vibre au rythme des trains qui passent. Seul un petit triangle de verdure subsiste en guise de jardin, recouvert périodiquement des détritus divers et variés que les voyageurs jettent par les fenêtres des trains. La maison se trouve à quelques encablures de la gare, où travaillent Pàl et sa femme, Ildiko. Imre a une sœur, Agi, un grand-père et ses parents. Un copain, Zsolt. Il grandit sous le communisme, jusqu’à l’effondrement de l’URSS en 1989. La société occidentale s’infiltre alors en Hongrie, qu’il découvre via les sex-shops, où il sera vendeur pendant quelques années, via une jeune allemande, Kerstin, venue en pèlerinage en Hongrie à la découverte de la « Vraie Vie, » qui ne repartira que quelques années plus tard, après s’être mariée avec Imre, lui avoir fait une petite fille. Mais la maison au bord des rails a eu raison de sa détermination, elle finit par partir, emportant sa fille, retournant en Allemagne, pour donner une « Vraie Vie » à sa fille, laissant un Imre dévasté. Un Imre qui aspire au bonheur mais qui semble volontairement s’en couper, comme s’il avait déjà décidé en son for intérieur qu’une telle chose n’était pas pour lui. Faut dire qu’outre la maison au bord des rails, rien n’est fait pour lui simplifier le chemin : son père a été conçu lors du viol de sa grand-mère, sa mère meurt écrasée par un train, sa sœur vit prostrée sans se remettre d’avoir été larguée et d’avoir dû avorter. Bref, la vie n’est pas simple, mais on dirait que les protagonistes ne font rien pour se la simplifier la vie. Jusqu’à ce qu’Imre achète une maison de vacances au bord d’un lac, qui devient la maison principale au moment où le transformateur au fond du jardin triangulaire, vieillissant, prenne feu et n’embrasse la maison au bord des rails avec lui. Le roman se termine là, avec une lueur d’espoir ?

Probablement le livre que j’ai préféré jusque-là : une véritable histoire, dépaysante, remarquablement bien écrite, sans fioritures inutiles (mots savants, tournures compliquées, étalage de culture…). À peine quelques fautes de frappe relevées.

« — Qu’est-ce que tu vas faire sans études ? marmonnait le grand-père depuis son fauteuil. Mineur ? Mécano ? C’est fini le communisme, petit con. Il faut te réveiller.  » p. 124

« Il y avait très peu de vrais salauds et de varis saints. Il n’y avait que des hommes qui regardaient leur nombril, tremblaient pour leur nombril et protégeaient leur nombril sans jamais cesser d’être d’une banalité insoupçonnée. » p. 254

  Yasmina Reza - Heureux les heureux

187 pages

Commencé le 4 ou 5 mai, terminé le 14 mai, avec un break du 8 mai au 13 mai.

C’est un peu comme un recueil de courtes nouvelles, une petite vingtaine, chacune portant le nom du personnage qui narre son histoire sur une petite dizaine de pages. Sauf que ces personnages s’entrecroisent au fil des histoires. Ce n’est pas évident à suivre, il faut se souvenir de qui est qui et qui fait quoi. C’est écrit systématiquement à la première personne, même si celle-ci change au gré des chapitres. Et puis c’est écrit dans ce style qui veut que l’on supprime les alinea pour les dialogues, tout est à la suite dans le texte, au lecteur de se débrouiller avec. Probablement que le papier est devenu cher, qu’on cherche à l’économiser ainsi plutôt que de vouloir aérer le texte pour en faciliter sa lecture. À moins que ce ne soit un style résolument voulu, un peu pédant sur les bords. Ça fait un peu format blog, dans le genre journal intime. C’est à la mode. Certes.

Pour la peine, pas vraiment de fil conducteur, c’est un peu le bazar dans cette — ces — histoires. Une brochette de gens tous plus tordus les uns que les autres. Un psy homo qui se prostitue en payant, un fils barjot qui se prend pour Céline Dion, des couples mariés qui se déchirent (ça c’est normal), des couples illégitimes (normal), un gars dont le métier est de jouer au bridge, des histoires de vieux, pas mal, un mort, de vieillesse. Et un enterrement.

« Les femmes profitent de tout pour vous enfoncer, elles adorent vous rappeler que vous êtes décevant.  » p. 16

« Les femmes ont raflé le rôle de martyrs. Elles l’ont théorisé à voix haute. Elles geignent et se font plaindre. Alors qu’en réalité, le vrai martyr, c’est l’homme. » p. 129

« Les femmes sont séduites par les hommes effroyables, parce que les hommes effroyables se présentent masqués comme au bal. Ils arrivent avec des mandolines et des costumes de fête. » p. 156

 Tanguy Viel – La disparition de Jim Sullivan

153 pages

Commencé le 14 mai, terminé le 18 mai 2013.

17/05/2013. Un peu de mal à le lire, celui-là. Peut-être parce que c’est le dernier de la pile. Ou bien parce qu’il est réellement pénible à lire : l’auteur raconte à la première personne qu’il est en train d’écrire un roman américain. Donc on a ses réflexions en tant qu’auteur, et la narration, parce qu’il écrit aussi ce qu’il écrit dans son bouquin. Je trouve ça nul et pédant au possible. Décidément les auteurs contemporains sont visiblement en manque d’inspiration pour s’imposer des exercices de styles aussi pathétiques. Enfin, c’est finalement à peine moins pire que de vouloir écrire un roman sans la lettre « e » ou autre bêtise du même acabit. Dommage pour moi que je doive me cogner ce genre de lecture. Heureusement, c’est un livre court. C’est la seule chose qui me motive à le lire : le point final n’est pas trop loin, et chaque page éclusée m’en rapproche un peu plus.

« Pour tout dire, j’ai pensé longtemps que mon livre commencerait là-dessus, sur ce grand dîner qui poserait tous les personnages ensemble et donnerait une vraie idée de l’Amérique, à cause de plusieurs romans que j’avais lus qui commençaient comme ça, sur une grande scène où il ne se passe rien mais qui permet de présenter tout le monde. » p. 46

18 mai. Nul. Je persiste. Je n’ai pas vraiment d’autres qualificatifs qui me viennent à l’esprit. Une histoire débile d’un mec qui perd les pédales parce qu’il découvre que son amante de 30 ans sa cadette tourne des films pornos dans un garage. Auparavant, il avait quitté sa femme et son boulot de prof à l’université du jour au lendemain, pour cette étudiante, trouvé un boulot dans un magasin de vidéo. Sous le choc, il brûle le magasin. Se retrouve interné quelques temps — années ? — en hôpital psychiatrique. En sortant, il replonge dans l’alcool, surveille son ex-femme qui a pour amant son ex-collègue qu’il déteste. Il décide alors d’en parler à l’oncle Lee, mafioso de son état qui trafique des antiquités provenant entre autre du musée de Bagdad pillé à l’occasion de l’invasion de l’Irak. Lee propose de donner une leçon à Alex l’ex-collègue amant, à condition que Dwayne — c’est le prénom du personnage loufoque — fasse un petit quelque chose pour lui. Récupérer trois caisses d’antiquités illégales à la descente d’un cargo, en l’occurrence. Évidemment, le FBI est dans les parages, ça finit par tourner mal : un type du FBI se fait battre à coup de club de golf par Dwayne, qui planque les caisses incriminées dans le jardin de son ex-femme, avant de rouler vers le Nouveau Mexique sur les traces de Jim Sullivan, un chanteur disparu dans le désert mystérieusement il y a bien longtemps et que Dwayne écoute en boucle dans sa voiture.

En plus, faut quand même pas déconner, la licence poétique ne peut pas tout ingurgiter impunément : p. 78 « […] où le soleil tiède distribue partout ses molécules de lumière […] » Et pourquoi des melons de lumière, tant qu’on y est !

 Conclusion

Et voilà, j’ai terminé la lecture de ces dix bouquins avec deux semaines d’avance. Content d’avoir réussi à jouer le jeu. Déçu finalement de n’être que « suppléant. » Bien peu de chances que je participe aux délibérations, je pense. Peut-être aurais-je le droit de rejouer l’année prochaine ? Finalement, j’ai trouvé l’exercice de style assez sympathique. J’ai efficacement mis à profit mes trajets de RER et ma pause méridienne pour avancer dans mes lectures. Heureusement, cependant, que la majorité des livres était peu épaisse.

En tout, 2394 pages, certes inégales d’un livre à l’autre, en terme de remplissage, de tailles des caractères, mais 2394 pages tout de même. En 37 jours. Soit en moyenne 64,7 pages par jours. Et oui, je n’ai pas pu m’empêcher de mettre quelques statistiques.

Je suis curieux de connaître les critères qui ont aboutis à cette sélection. Quatre auteurs hommes, six femmes. Mais globalement, rien de très gai, la sélection serait-elle à l’image de la crise ? Ou du printemps, peut-être : pluvieux. Tristoune, en somme. Ça broie du noir quasiment à toutes les pages. Entre hôpitaux, cimetières, rupture sentimentales, AVC, morts plus ou moins violentes, il y en a pour tous les goûts dans le sordide ! Ça sanglote dans la sélection.

Quant à moi, vous savez pour lequel je voterai, si jamais ? Celui que j’ai préféré ?

 Résultat

Lundi 3 juin. 7h50. La vie continue, hier je n’étais pas dans les locaux de la Maison Ronde, mais au grand air à Fontainebleau, profitant d’une des premières journées de beau temps de ce printemps hivernal. Les délibérations se sont donc faites sans moi. Comme je ne m’attendais pas à ce qu’un juré glisse malencontreusement sur une peau de banane au dernier moment, aucune déception. D’autant que la séance d’escalade à Bleau fut délicieuse, en guise de lot de consolation.

En y repensant, avec le recul, je crois que j’hésite entre « Les Lisières » et « Sombre dimanche. »

8h. Les infos. Six heures de délibérés hier soir avec de vifs débats « âpres » nous dit la présidente du jury Geneviève Brisac. C’est « Sombre dimanche » d’Alice Zeniter qui remporte le prix du Livre Inter. Génial, ils ont bien bossé...

À suivre...


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