Les tribulations d’un (ex) astronome

La conjuration du Namche Barwa

samedi 4 avril 2009 par Guillaume Blanc

Un nouveau roman d’Yves Ballu ! Comme j’avais particulièrement apprécié « Mourir à Chamonix », je me suis jeté sur ce nouvel opus. Le titre est quelque peu énigmatique, à première vue on pourrait croire que l’on va entrer dans quelque histoire ésotérique de seconde zone.

Il n’en est rien, cela va de soi. La quatrième de couverture me rassure immédiatement sur ce point. Si tant est que... Non, le Namche Barwa dont il est ici question est une montagne himalayenne, tibétaine, pour être exact. 7782 mètres d’altitude qui vont faire l’objet d’une de ces fameuses grandes expéditions nationales de conquête des plus hauts sommets de la planète. Yves Ballu lui accorde le titre de quinzième plus haut sommet. Donc le sommet le plus haut qui ne fait pas 8000 mètres, puisque les « 8000 » sont au nombre de quatorze. En réalité, si le Namche Barwa existe bel et bien, si son altitude est effectivement de 7782 mètres, en revanche, c’est le vingt-huitième sommet de la planète. Donc le quinzième, c’est le Gyachung Kang (7952 m), qui se trouve sur la frontière entre le Tibet et le Népal, entre l’Everest et le Cho Oyu, « 8000 » de leur état. Le Namche Barwa se trouve à l’est du Tibet, pilier oriental de la chaîne himalayenne.

Yves Ballu propulse ses personnages à la conquête française (dans le sens militaire du terme) du Namche Barwa. Ils atteignent plus ou moins le sommet en juin 1966. En réalité le sommet est resté vierge jusqu’en 1992, après avoir bénéficié pendant plus de quinze ans du titre du plus haut sommet invaincu. Il est tombé le 30 octobre 1992 par une expédition sino-japonaise.

L’auteur s’inspire largement de l’expédition française de 1950 à l’Annapurna. Le lecteur aura ainsi tout intérêt à avoir lu auparavant « Annapurna, premier 8000 » de Maurice Herzog. Le roman donne ainsi un nouvel éclairage sur cette conquête nationaliste, et sur la polémique qui s’en est suivi, Maurice Herzog, chef d’expédition et l’un des deux alpinistes au sommet, s’étant un peu trop mis en avant à son retour, y compris dans son livre, au détriment des autres membres de l’expédition, en particulier du guide Louis Lachenal, qui était également au sommet. L’histoire du Namche Barwa est une fiction, mais contient nombre de citations des divers récits de Maurice Herzog. Le personnage de Hervé Marion est ainsi calqué sur le chef de l’expédition de l’Annapurna. On retrouve encore Tony Larcher qui n’était autre que Lionel Terray, Louis Lachenal s’est trouvé réincarné en Laurent Souste et Raymond Grivel emprunte les traits de Gaston Rébuffat...

« Cette collusion entre alpinisme et nationalisme est insupportable. »

La polémique levée sur le succès à l’Annapurna est ici exploitée dans les moindres recoins par Yves Ballu. Je ne connais pas tous les détails de cette polémique, même s’il y a un certain temps maintenant j’avais lu l’enquête du journaliste-alpiniste américain, David Roberts, « Une affaire de cordée, » dont les souvenirs se sont estompés avec le temps. Et je n’ai toujours pas lu la version de Lachenal de l’ascension de l’Annapurna. Ceci étant on trouve sur le blog d’Yves Ballu un certain nombre de documents, dont le carnet de Rébuffat, qui lèvent quelque doute sur le moi-je de Maurice Herzog.

Un Hervé Marion qui ne fut plus jamais le même avant et après l’expédition. Un personnage à l’ambition née puis décuplée sous l’influence d’une certaine investiture divine doublée d’une mission nationaliste. Un coup de fil énigmatique au président de la fédération française de la montagne, Stanislas Laurier (Lucien Devies à l’époque de l’Annapurna), et l’expédition nationale se trouve un chef sorti de derrière on ne sait quel fagot. Un frérot unique parent un peu trop mère-poule, une petite once de présence divine, et le tour est joué. Hervé Marion se découvre des qualités de chef qu’il ne soupçonnait même pas.

« Il faut une certaine dose de naïveté pour accepter d’entrer dans la peau d’un héros. Mais la naïveté est la seule force à laquelle rien ne peut résister. »

L’expédition proprement dite est rapidement expédiée sur le premier quart du bouquin. Car l’intrigue tourne autour de la polémique qui s’en suivie. On sait assez rapidement que la cordée d’assaut s’est arrêté sous le sommet. Mais peu importe, c’est Marion qui raconte, et le sommet devait être fait : « Tu sais, un mensonge, c’est comme un animal de compagnie. D’abord on s’habitue, et puis avec le temps, on finit par l’aimer... ». Intérêt national oblige. Un récit qui met le guide Souste en retrait. Au clapet maintenu fermé. Jusqu’à ce que... Souste finit par ne plus supporter les railleries de ses collègues, se faire traiter de « luge à foin, » ça va cinq minutes ! C’est alors que menaces et morts mystérieuses commencent à apparaître. Le romancier balade habilement son lecteur, qui s’il se dit que tout est peut-être un peu trop évident, comme dans un bon vieux polar — mais qui est le meurtrier ? —, finit par se délecter des bons mots et de l’écriture légère et agréable qui ponctuent les cinq cents pages. Finalement, la fin s’échappe de la pente initiale, celle de la conquête himalayenne et de ses conséquences pour se terminer dans un pur style hitchcockien, à la sauce Psychose...

« C’est toujours comme ça avec les morts, on oublie ce qu’ils ont fait de mal et on regrette de ne pas les avoir assez aimés. »

Un petit bémol... La pièce à conviction de l’aventure, le Criquet, altimètre barométrique mécanique avec aiguille traînante supposée être allée au sommet, et donc indiquer son altitude, 7782 m, altitude maximale atteinte par la cordée, me semble un peu légère. Cordée menée par Souste propriétaire de l’objet en question. Or comment un altimètre peut-il servir de pièce à conviction sur l’altitude maximale atteinte ? Car un altimètre n’indique pas directement l’altitude mais la pression atmosphérique, et de là, par un modèle d’atmosphère, il la transforme en altitude. Mais les montagnards savent pertinemment, que même sans bouger, l’altitude lue sur leur altimètre peut varier, à cause des variations de la pression atmosphérique dues aux aléas météorologiques (une dépression augmente l’altitude). Par ailleurs le modèle physique transformant les pascals en mètres peut ne pas être très fidèle, d’autant que l’altitude dépend également de la température. Bref, tout ceci n’est pas si simple, et une erreur d’altitude est vite arrivée. Je suppose en outre que les altitudes cartographiée en Himalaya dans les années soixante n’étaient d’une grande précision, donc le calibrage de l’altimètre de Laurent Souste, a pu également souffrir de quelques incertitudes. Difficile d’imaginer qu’il indiquerait exactement 7782 m au sommet du Namche Barwa !

Ceci étant, j’ai littéralement dévoré ce polar, tout comme j’avais dévoré Mourir à Chamonix. Il m’a donné envie de relire les récits adjacents à l’officiel sur l’Annapurna. Et de lire les autres textes d’Yves Ballu.

Et figurez-vous qu’hier, Yves Ballu était à la librairie des Alpes à Paris, pour dédicacer son ouvrage. Je ne cours pas particulièrement après ce genre de choses, mais la perspective de rencontrer cet homme me fit faire le déplacement. J’emportais quand même mon exemplaire, un peu défraichi par la lecture dans le RER, et le fit dédicacer, au grand dam du libraire car je ne le lui avais pas acheté. Mea culpa.

J’ai eu ainsi l’occasion de discuter un peu avec cet écrivain montagnard que j’ai tout de suite adoré. La file d’attente était longue, il a fallu céder la place ; les quelques mots échangés étaient bien sûr trop peu, mais j’espère qu’il y en aura d’autres !


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