Les tribulations d’un (ex) astronome

Pollution lumineuse

dimanche 16 mai 2010 par Guillaume Blanc

Il est une atteinte de l’homme sur l’environnement (eh oui, encore une), à laquelle bien peu de personnes sont sensibles. C’est en ma qualité d’astronome — d’abord amateur puis professionnel — et donc d’amoureux du ciel nocturne et de ses merveilles que j’ai été sensibilisé très tôt à la pollution lumineuse.

Cette « pollution » n’est pas vraiment palpable comme peut l’être un produit chimique toxique déversé dans une rivière, comme une nappe de pétrole qui englue la mangrove, comme des déchets nucléaires, mais en revanche elle est facilement visible pour un peu qu’on veuille bien s’en donner la peine.

L’éclairage sans cesse plus intense et abusif des villes et villages a fait reculer les astronomes toujours plus loin pour étudier les étoiles et les galaxies lointaines. Ainsi, de l’Observatoire de Paris n’a plus d’observatoire que le nom, même chose pour celui de Meudon, qui a tout de même l’avantage d’être dans la verdure.

Image satellite de la Terre nocturne en 1970 © NASA GSFC.
Image satellite de la Terre nocturne en 2000 qui montre la répartition des populations, des activités et l’accroissement considérable de la pollution lumineuse © NASA GSFC.

Sous prétexte de sécurité, on éclaire de manière intensive la nuit. Les étoiles n’existent quasiment plus pour le citadin. À Paris, quand il fait beau, c’est une dizaine d’étoiles seulement qui réussissent à transpercer le halo rayonnant jusqu’au bitume. Tandis que dans la campagne profonde, on peut en voir plusieurs milliers, d’étoiles, avec nos petits yeux. N’est-ce pas dramatique ? D’autant qu’au rythme où se développe cette scintillation urbaine, on peut être sûr que d’ici peu de temps le concept de ciel étoilé sera relégué au rang de témoin d’un passé révolu. Dommage pour notre descendance, non ?

Évidemment, tout le monde aime bien bien y voir la nuit quand il (ou elle) se balade en ville, la lumière, ça rassure. Certes. Mais n’y a-t-il pas un juste milieu entre éclairer nos pas de passants qui passent et éclairer le firmament qui lui n’en a rien à cirer ?

On peut trouver sur la toile omnisciente des cartes de la pollution lumineuse, comme celles de Frédéric Tapissier, qui sont basées sur des calculs théoriques, pour ce que j’ai pu saisir de leur fabrication, mais qui n’en restent pas moins incroyables. Vous pouvez ainsi zoomer sur une carte de France interactive et voir si de là où vous êtes vous avez une chance de voir des étoiles. D’ailleurs le codage en couleur est donné en « nombre d’étoiles potentiellement visible. » On constate évidemment que le cœur de Paris n’est pas le meilleur endroit pour observer la voûte céleste, alors que les Alpes sont en revanche un excellent point d’approche du ciel nocturne. Dire que j’ai eu la chance de grandir sous un vrai ciel étoilé : pas de lampadaire à proximité de la maison familiale !

Les astronomes sont les premières victimes de cette galopade lumineuse. Ainsi l’observatoire du Mont Palomar, qui se trouve dans le sud de la Californie, a vu ces dernières décennies le halo des villes côtières au sud de Los Angeles augmenter de manière inquiétante. D’ailleurs un astronome italien, Pierantonio Cinzano, spécialiste de la pollution lumineuse, a publié de nombreuses études sur le sujet. Il s’est intéressé, en particulier, à l’évolution de cette « pollution. » Le résultat est éloquent : la brillance du ciel a augmenté d’un facteur sept entre 1971 et 1998. Cette « brillance du ciel » fait que les étoiles disparaissent de notre vue, petit à petit, car le ciel devient plus brillant qu’elles.

Évolution de la pollution lumineuse sur le territoire américain, en 50 ans... (source : P. Cinzano)

Le problème vient effet du côté diffusif de l’atmosphère. Tout comme le ciel diurne diffuse la lumière du soleil, donne ce sympathique côté « azur » au firmament et rend les journées « éclairées », la nuit ce même ciel va diffuser la lumière artificielle de nos vies et de nos villes pour former de gigantesques « halos » de pollution lumineuse autour des cités.

En effet, la lumière ne se propage pas toujours en ligne droite, et quand elle rencontre des petites poussières ou des molécules, comme celles qui composent l’air que nous respirons, elle se retrouve déviée de manière aléatoire dans toutes les directions. On dit qu’elle est « diffusée ». Ce phénomène est d’autant plus intense que la lumière est « bleue » : ce qui explique que la composante bleue de la lumière du soleil se retrouve un peu partout dans le ciel et donne sa couleur au ciel, le jour, tandis que la composante rouge est peu diffusée, c’est pourquoi lorsque la lumière solaire doit traverser des couches importantes d’air, comme quand il est bas sur l’horizon, seul le rouge parvient à passer. Le soleil nous apparaît rouge. Pour qu’il y ait diffusion, il faut des molécules, donc une atmosphère ; sur la Lune, dénuée d’atmosphère, le soleil et les étoiles sont visibles simultanément, sur un fond noir d’encre.

C’est cette diffusion des lumières artificielles dans l’atmosphère nocturne qui embête sérieusement les astronomes : les objets très faibles qu’ils étudient et observent à l’aide des puissants collecteurs de lumière que sont les télescopes se trouvent masqués par le halo des villes environnantes. Ainsi neuf européens sur dix vit sous un clair de Lune permanent ; 99 sur 100 vit sous un ciel « pollué » ; la moitié de la population de l’Europe ne peut plus voir notre galaxie, la Voie Lactée... Si c’est grave pour les astronomes, l’est-ce vraiment pour les citoyens lambda ? Après tout, leurs vies ne sont pas en jeu, comme avec d’autres pollutions, alors, à quoi bon s’alarmer ? Oui, mais franchement, si mes enfants ne connaissent pas le ciel étoilé — et ils auront de bonnes chances de ne pas le connaitre — j’aurais honte de notre civilisation qui les aura privé de ce fantastique paysage céleste, source de rêveries infinies...

Le pire étant que de nombreuses solutions simples existent pour éclairer nos trottoirs tout en laissant notre nuit relativement propre. Solutions qui permettraient également une économie d’énergie substantielle. Mais qui se soucie du travail des astronomes, quand ce sont des casinos et autres boîtes de nuit qui déversent leur watts dans le ciel ? Les astronomes ne rapportent pas d’espèces sonnantes et trébuchantes, les boîtes de nuit, si. Alors...

Éclairer moins certaines zone qui n’en ont pas besoin (peu de circulation), orienter les lampadaires correctement, directement vers le sol, les doter d’abat-jours pour éviter d’illuminer inutilement le ciel... Les solutions sont là, simples à mettre en œuvre. Pourtant, mises à part quelques zones privilégiées, aucune réglementation n’existe pour remédier à ça.

Réduire l’éclairage permet aussi de faire des économies d’énergie et des économies tout court. Ainsi la région Île-de-France qui démarre une politique de réduction de l’éclairage des voies de circulation automobile. Espérons seulement que l’initiative perdure et fasse des émules !

Certaines zones, en particulier dans un certain périmètre autour des observatoires astronomiques, l’éclairage est réglementer, pour essayer de limiter les dégâts.

Que faire, donc, si l’envie de revoir les étoiles vous prenait ? Et bien avant d’envisager de déménager sur les haut plateaux éthiopiens, vous pouvez en parler autour de vous : plus il y aura de monde sensibilisé au problème, plus nos chers élus auront envie de faire quelque chose, puisque la balle est essentiellement dans leur camp. D’ailleurs vous pouvez aussi et surtout leur écrire (au maire de votre commune) pour leur dire qu’il est inutile d’éclairer votre rue entre 23h et 6h, ça ne sert à rien et ça vous empêche de dormir, parce que vous n’avez pas de volets !

Enfin, je vous invite fortement à adhérer à l’Association Nationale pour la Protection du Ciel et de l’Environnement Nocturnes. Le tarif est modique, d’autant plus que cette association est reconnue d’utilité publique, vous pouvez ainsi en déduire une partie de vos impôts.


Références :

Le plus curieux, est que quand on commence à fureter sur le net à ce propos, on trouve une multitudes d’informations, de pages dédiées au problèmes, d’études diverses et variées. Ce volume d’information semble être inversement proportionnel aux solutions mises en place...

Outre les liens présents dans le textes, d’autres ici :


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