Les tribulations d’un (ex) astronome

Nivotest et cie

samedi 25 février 2017 par Guillaume Blanc

Pour les amateurs de montagne hivernale, il y a sur le marché différentes « méthodes » pour réduire le risque accidentel d’avalanche lors d’une sortie. Et comme sur tout étalage, il y a le bon grain et l’ivraie. Mais il n’est pas du tout évident pour le profane, et j’entends par là tout pratiquant qui n’a pas fait l’effort de décortiquer ces différentes méthodes pour voir ce qu’elles avaient dans le ventre. Et quand bien même : il n’est pas facile de s’y retrouver, d’autant plus que les « experts » ne sont pas d’accord entre eux.

En science, ce qui est mauvais ou faux tombe (plus ou moins) rapidement aux oubliettes de l’histoire. Grâce à la méthode scientifique, seul le vrai — jusqu’à preuve du contraire ! — émerge (dans un intervalle de temps plus ou moins long) ; c’est inévitable. Dans le domaine de la prévention du risque d’avalanche, les experts ne sont pas tous scientifiques, en tout cas peu formés à la méthode qui construit la science, et leurs études et conclusions sont parfois (souvent ?) biaisées car elles sont surtout basées sur du « ressenti » sur de l’ « expérience » sur le terrain, avec toute la subjectivité qu’il y a forcément derrière. Pas de protocoles clairement établis, reproductibles, pour établir ces méthodes. Pas (ou peu) d’analyse statistique de données fiables. Or si se tromper sur la nature de l’énergie noire ne prête pas grandement à conséquences, se tromper sur l’estimation du risque d’avalanche peut se révéler mortel !

Je [1] voudrais revenir sur trois méthodes de réduction du risque que l’on voit en France :

  • les méthodes de Munter
  • le Nivotest de Bolognesi
  • la vigilance encadrée de Duclos

J’ai déjà beaucoup évoqué sur ce blog les méthodes de Munter, que j’estime (et je lève tout de suite le suspense) les plus abouties à l’heure actuelle.

Je ne reviens pas sur la méthode 3x3 qui sert à préparer la course et à la gérer selon différentes grilles d’analyse, cette méthode est largement adoptée en France. Ce qui coince c’est celle que l’on peut utiliser pour prendre une décision devant une pente ou un passage donné : on y va, si oui, comment, ou bien on renonce…

Les méthodes de Munter sont celles qui ont les bases scientifiques les plus solides. Les deux autres sont uniquement basées sur du « feeling » et de l’expérience, qui, aussi vaste soit-elle, n’empêche pas de déclencher une avalanche et d’y laisser sa vie. Quand j’ai découvert les méthodes de Munter en 2006 en lisant son livre qui venait de paraître en France, je me suis dit tout de suite que c’était une petite révolution dans le microcosme de la gestion du risque d’avalanche. Mais avec le temps, rien ne se passait, la révolution annoncée n’a pas eu lieu.

J’ai lu, vu et entendu beaucoup de critiques de la méthode de Munter (en particulier de la méthode de réduction dite professionnelle) : c’est normal, un tel changement de paradigme questionne. Mais curieusement, les formations du CAF ne se sont toujours pas appropriées ses méthodes de réduction. Un guide de haute-montagne avec qui je discutais l’été dernier me disait que les français (par rapport aux suisses, par exemple, où la méthode de Munter est enseignée sans problème) ont un « esprit » pas suffisamment rationnel pour pouvoir comprendre cette méthode. La réponse de Philippe Descamps est que peut-être faudrait-il faire preuve de plus de pédagogie dans les formations pour l’enseigner (le français n’étant pas plus bête que son voisin)… Encore faut-il qu’il y ait une volonté pour cela !

Quand j’ai fait le stage pour devenir instructeur neige et avalanche en janvier 2016, la méthode préconisée par les encadrants était le Nivotest. Incrédule, j’ai regardé la chose de plus près. Déjà il faut l’acheter. Sous la forme d’une réglette (ou molette) en carton (6 €) ou bien sous la forme d’une application smartphone (5 €).

Avec cet outil [2], à chaque fois que j’ai essayé de l’utiliser, je devais renoncer. Même sur du plat. Bon, OK, la notice stipule bien qu’il ne faut l’utiliser sur des pentes de moins de 25°. Il y a quand même des questions auxquelles je ne sais jamais répondre. Comme la sacro-sainte : « Couche interne fragile ? » (qui revient aussi dans la méthode de Duclos). Sachant que Munter a montré que la présence d’une couche fragile (ou pas) à un endroit précis ne présageait en rien de sa présence (ou de son absence) quelques mètres plus loin, que parfois cette couche fragile est facilement identifiable (mais à condition de faire une coupe du manteau neigeux et d’avoir quelques connaissances en nivologie), parfois non (notamment sous les plaques friables, particulièrement piégeuses). Or la notice du Nivotest me dit que je dois « répondre impérativement à chaque question ; en cas de doute, [il faut] répondre positivement avec la pondération usuelle. » Comme ce test me fait douter beaucoup, forcément, j’arrive à des scores qui me font renoncer. D’autres questions me laissent perplexe : « Site peu fréquenté ? » Est-ce peu fréquenté au sens de Munter (le manteau neigeux n’est pas skié en tout sens à chaque épisode neigeux) ou bien au sens de camptocamp (pas beaucoup de monde ou de traces ce jour-là) ? ; « Pentes raides convexes ? » Convexe dans quel sens : dans le sens de la pente, parallèlement à la pente ? D’autant que les études semblent montrer que les accidents d’avalanche ont surtout lieu dans les pentes concaves. Ce qui montre bien que cet outil s’appuie sur des croyances et non sur la science.

De plus il y a des différences entre la version cartonnée et la version numérique. Des questions de la version papier n’existent pas dans la version numérique (« Le groupe a-t-il DVA pelle sonde ? » ce qui, au passage, n’est pas plus mal de l’avoir enlevé, je ne vois pas ce que la composition du sac à dos peut avoir comme influence sur le déclenchement d’une avalanche). À la question des fissures est adossé un « whoumfs » dans la version numérique, qui de fait, me semble plus parlant que la présence d’une fissure. Il y a des différences de pondération aussi sur certaines questions, qui montre le côté subjectif de ces pondérations.

J’ai contacté Robert Bolognesi, auteur du Nivotest pour lui demander quels sont les fondements scientifiques de son outil. Il m’a répondu en substance que tout serait dans son livre qui était à l’époque (fin 2015) à paraître, et qui est paru depuis. Et que j’ai donc acheté. Une vingtaine d’euros, au passage. Pour un petit livre format poche de 80 pages avec peu de texte et beaucoup de photos ! Mais passons, c’est la Suisse…

Quelques imprécisions et erreurs dans le livre : l’auteur confond risque et danger. « Pour un skieur, risque et danger sont des notions quasi équivalentes du fait de sa grande vulnérabilité (p. 23) ». Ben non, le danger d’avalanche existe en l’absence de skieur. Il devient un risque quand le skieur s’y expose. D’ailleurs, comme le font remarquer Philippe Descamps et Olivier Moret dans leur livre « Avalanches, comment réduire le risque ? », le bulletin d’estimation du risque d’avalanche de Météo France (BRA), est en fait un bulletin d’estimation du degré de danger d’avalanche… L’un des postulats de départ du Nivotest est que « les critères considérés soient objectifs et observables. » (p.24). Comme la présence d’une couche fragile ? Sans commentaire…

D’ailleurs, une phrase montre que l’auteur n’a pas compris les résultats montrés par Munter, à savoir que le déclenchement des avalanches revêt un caractère aléatoire qui ne peut être étudié que de manière statistique : « Ces avalanches à retardement [dues à des événements météorologiques anciens] restent malheureusement des pièges redoutables qu’aucune méthode ne permet actuellement de déjouer à coup sûr. (p. 28) » Certes, mais cela est vrai de n’importe quel type d’avalanche !

De la méthode derrière le Nivotest, j’en fus pour mes frais : rien dans le livre. À peine une allusion comme quoi il est basé sur un échantillon statistique : « L’échantillon sur lequel il a été étalonné a été constitué avec une grande attention pour éviter les principaux biais statistiques. (p. 28) » Mais rien de quantitatif, on ne sait même pas quelle est la taille de l’échantillon, ni les différents paramètres pris en compte… Un biais possible est évoqué, mais gageons qu’il n’est pas le seul, et les autres sont passés sous silence. Une annexe intitulée « Notes sur la conception du Nivotest » semblait pleine de promesses, mais finalement ne fait que débiter des banalités en terme de statistiques. Une note de bas de page donne de pseudo-références scientifiques mais je n’ai pas trouvé de véritables références (peut-être existent-elles ?), notamment sur le modèle « NivoLog »… La méthode repose sur la méthode du « scoring » qui n’existe pas en physique (à ma connaissance), mais google me dit que c’est une méthode utilisée en marketing destinée à apprécier le risque de défaillance d’une entreprise ou d’un particulier ; c’est également utilisé par les institutions financières pour « noter » les demandeurs de prêts (dire que j’ai dû faire l’objet d’un scoring… !!). L’annexe « technique » comporte même une formule mathématique, mais elle reste très générale et les différents paramètres ne sont pas explicités dans le cas du Nivotest. Bref, comme on peut le comprendre, la lecture du bouquin m’a largement laissé sur ma faim. Ce qui contribue à me faire dire que les fondements scientifiques du Nivotest n’en sont pas et que c’est surtout beaucoup de « feeling », comme qui dirait.

J’ai déjà évoqué les méthodes de Munter, mais depuis il y a eu la publication du livre de Philippe Descamps et Olivier Moret : « Avalanches, comment réduire le risque » paru il y a un an à peu près en même temps que le bouquin de Bolognesi. Ce livre, paru chez Guérin, coûte 29 €, mais le lisant, j’ai vraiment eu l’impression d’en avoir pour mon argent, contrairement à celui sur le Nivotest. Curieusement, la boutique de l’ANENA propose d’acheter ce dernier, mais pas celui de Descamps et Moret...

Voici la recension que j’en fais dans le Crampon n° 381 :

À sa sortie en janvier dernier, ce bouquin était présenté comme une nouvelle méthode pour réduire le risque d’avalanche dans les pratiques hivernales de la montagne. Sceptique au premier abord : une nième méthode sur le marché ne va pas arranger les affaires des pratiquants qui pourront certes choisir, mais sans savoir où donner de la tête. En plus les auteurs ne sont pas spécialistes de la neige et des avalanches, puisqu’ils sont journalistes. Néanmoins, porté par la curiosité, j’ai rapidement acheté et lu ce livre. Et j’ai tout de suite su que c’était en fait la pierre angulaire qui manquait dans le paysage. Il ne s’agit pas là d’une nième méthode, mais bel et bien du mode d’emploi de la seule méthode de réduction du risque d’avalanche basée sur des données solides, à savoir la méthode développée par le guide suisse Munter dans les années 1980-1990 et arrivée en France avec la traduction de son ouvrage en 2006. Et le fait que les deux auteurs soient journalistes, anciens de Montagnes Magazine, est bel et bien là un véritable atout.

Les auteurs profitent de leur grosse expérience de skieurs de randonnée pour expliquer les différents échelons de la méthode de Munter, ou plutôt des méthodes de Munter, de manière très didactique et très illustrée. Ils s’attardent sur le plus utile, en laissant de côté toutes les théories nivologiques et avalancheuses, qui n’interviennent finalement pas dans la gestion du risque dans la pratique de la montagne enneigée.

Le premier chapitre présente la méthode 3x3, l’appréhension de la course selon trois filtres, humain, nivo-météo et terrain, puis selon trois niveaux de détails : lors de la préparation à la maison, sur le terrain, et avant les passages clefs (voir Crampon n° 345, février 2009, G. Tsao). Il présente également la méthode de réduction élémentaire, qui permet de prendre une décision en fonction de la pente et du degré de danger d’avalanche, ainsi qu’une méthode plus conservative, dite méthode de réduction pour débutants. Ces méthodes sont essentielles et suffisantes dans la plupart des situations.

Le second chapitre traite de la méthode de réduction professionnelle, qui permet de raffiner la prise de risque en fonction du groupe, de l’orientation de la pente et de son inclinaison.

Le troisième chapitre montre comment évaluer le degré de danger d’avalanche en l’absence de bulletin du risque d’avalanche (BRA). Ce qui est très utile à l’étranger, en raid de plusieurs jours, ou bien pour raffiner localement le bulletin estimé à l’échelle d’un massif.

Les derniers chapitres traitent la montagne estivale et le hors-piste, la recherche des victimes d’avalanches : que faire en cas d’accident ?, quelques statistiques et une exhaustive bibliographie pour préparer ses sorties.

Des tables récapitulatives pour l’utilisation aisée des différentes méthodes se trouvent en annexes et sont reproductibles. Deux réglettes plastifiées sont également fournies avec l’ouvrage.

Un livre qui me paraît indispensable d’avoir lu et de pouvoir consulter lors de la préparation d’une sortie à skis, en particulier pour les encadrants et les skieurs autonomes, mais aussi pour tout pratiquant curieux de comprendre comment gérer une course de ski de randonnée. C’est pourquoi le GUMS a décidé d’offrir ce livre à tous ses encadrants ski.

Venons-en à la vigilance encadrée. J’ai lu plusieurs fois l’exposé de cette soi-disant méthode, sans réussir à en comprendre les fondements. J’ai beau avoir lu le dernier hors-série de Montagne Magazine de janvier 2016 sur le sujet (très mauvais par ailleurs, ce qui a conforté mon sentiment au sujet de ce magazine), sans mieux comprendre. La présentation qu’en fait Duclos sur internet sous forme de tableau me donne plus le mal de mer qu’autre chose. Je crois néanmoins que je commence à saisir le concept (à partir de cet article). En fait, ce n’est pas une méthode de réduction du risque d’avalanche, c’est seulement une grille qui donne des éléments de réflexion au pratiquant. Elle semble provenir de la méthode des indices évidents proposée par Ian McCammon qui consiste à être vigilant, sur le terrain aux signes manifestes d’instabilité du manteau neigeux (au passage, il ne parle pas de couche fragile parmi ces indices « évidents », lui !). Alain Duclos propose des degrés de vigilance du leader de la course en fonction du terrain où il se trouve (inclinaison de la pente) et de la présence de certains de ces indices. Tout en ajoutant un degré de confusion au passage.

Donc c’est similaire à la grille 3x3 mais en moins général. Et avec des critères subjectifs (encore la couche fragile !). Le problème est que les critères envisagés ne sont pas exhaustifs : avec cette façon de procéder dans la prise de décision, on peut très bien se tromper. Se faire prendre dans une plaque que rien ne laissait prévoir. À cause justement du caractère imprévisible des plaques. Ce n’est donc pas une aide particulièrement efficace à la décision. On critique le caractère parfois subjectif dans l’utilisation de la méthode de réduction professionnelle de Munter (surtout quand on ne l’utilise pas de manière parfaitement honnête avec soi-même), mais là, on nage en pleine subjectivité… Ce qui est dramatique, quelque part, et l’article mentionné ci-dessus sur la formation des guides est éloquent à ce sujet, c’est que c’est ce qui est enseigné à l’ENSA !! Et de Munter, point. La méthode 3x3 y est, mais pas ses méthodes de réduction !

À mon avis (on l’aura compris !), il n’y a donc (actuellement) pas grand choix possible sur l’étal des méthodes : Munter ou Munter...

Au passage, plutôt que d’inventer de nouvelles méthodes pseudo-scientifiques, il serait plus judicieux de passer du temps et de l’énergie pour valider (ou invalider, le cas échéant) scientifiquement la méthode de Munter à partir de données différentes, voire éventuellement de l’affiner !

[1Vous allez alors m’objecter que je ne suis pas expert en la matière, ce qui ne m’autorise pas à critiquer ou à évaluer des méthodes mises en place par de « vrais » experts. Certes. Ou pas certes. Je ne suis pas nivologue, ni scientifique spécialiste des avalanches, mais je suis scientifique (chercheur) quand même. Dans un tout autre domaine mais qui reste de la physique. Je suis rompu à la méthode scientifique, que j’enseigne, même. Et si la physique des avalanches n’est pas mon quotidien de travail, en revanche, je comprends à peu près les articles techniques qui traitent du sujet. Enfin, je ne suis certainement pas aussi expérimenté en ski de randonnée qu’un guide ou autre qui passe sa vie sur le terrain, mais je parcours la montagne enneigée depuis 30 ans sans trop d’interruptions. Je suis par ailleurs initiateur ski-alpinisme de la FFCAM et instructeur neige et avalanche, ce qui me permet de former les futurs initiateurs au risque d’avalanche. J’ai d’ailleurs organisé mon premier stage cet hiver. Et je n’ai aucune action dans une boîte quelconque de conseil en avalanche, je n’ai écrit aucun bouquin que je cherche à vendre, bref, seule la recherche de la vérité me motive (et de voir le nombre d’accident d’avalanche dramatique diminuer !).

[2Développé par Robert Bolognesi de Météorisk.


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