Les tribulations d’un (ex) astronome

Du carbone dans l’air !

lundi 1er juillet 2019 par Guillaume Blanc

Je me suis replongé dans les données du réchauffement climatique, pour écrire un article par ailleurs. Je vous livre quelques réflexions calculatoires sur le sujet.

Actuellement (2019) nous en sommes à un réchauffement planétaire en moyenne de +1°C par rapport au 19ème siècle. Ce réchauffement galope à la vitesse vertigineuse de +0,2 °C par décennie [1].

La concentration en dioxyde de carbone (CO2) est actuellement de 405 ppm (parties par million ; 1 partie par million signifie une molécule de CO2 pour un million de molécules du mélange de gaz constituant l’air). Cette concentration grimpe chaque année de + 2 ppm [2].

Mais que signifie concrètement « 1 ppm » ?

L’atmosphère est composé essentiellement d’azote (à 78 % en nombre) et d’oxygène (à 21 % en nombre). Et de plein d’autres gaz (dont les gaz à effet de serre) dans le 1 % restant. La masse molaire de l’azote (N2) est de 28 g/mol, celle de l’oxygène (O2) est de 32 g/mol. La masse molaire moyenne de l’atmosphère est donc : M_{air} = 0,21 \times 32 + 0,78 \times 28 = 29 g/mol.

La masse totale de l’atmosphère est de 5,148\cdot 10^{18} kg.

La masse molaire du CO2 est de 44 g/mol.

1 ppm correspond à une molécule de CO2 pour 10^6 molécules d’air. Ou bien à 1 mole de CO2 pour 10^6 moles d’air. Ce qui fait 44 g de CO2 pour 29 \cdot 10^6 g d’air. Donc pour la masse totale de l’atmosphère, on a : 7,81\cdot 10^{12} kg de CO2. Ou encore 7,81\cdot 10^9 tonnes de CO2. Ou 7,81 Gt de CO2 (Gt = gigatonne, un milliard de tonnes).

On peut aussi exprimer cela en masse de carbone, comme c’est aussi le cas dans la littérature. Comme une mole de carbone pèse 12 g, 1 g de CO2 équivaut à 12/44 = 0,273 g de carbone.

Ainsi, 1 ppm, c’est 7,81 Gt de CO2 ou bien 2,13 Gt de C.

Avant l’ère industrielle, l’atmosphère recelait 280 ppm de CO2. Aujourd’hui, nous en sommes à 405 ppm (2018). Soit 125 ppm de plus. Qui correspondent à 266 Gt de C.

D’après le 5e rapport du GIEC, l’humanité a rejeté 555 Gt de C entre 1750 et 2011. Depuis 2011, elle rejette environ 36 milliards de tonnes de CO2 chaque année (et ça va en augmentant), soit environ 10 Gt de C. Entre 2012 et 2018, cela fait donc environ 7 \times 10 = 70 Gt de C en plus. Soit 625 Gt de C depuis le début de la combustion des énergies fossiles.

Mais le compte n’y est pas entre les ppm dans l’atmosphère et ce que nous avons rejeté. En fait plus de la moitié du CO2 que nous émettons est absorbé dans des « puits », qui sont principalement les océans et les sols et la végétation. Ces deux puits se partagent à égalité les 57 % du CO2 émis. « Seulement » 43 % se retrouve ainsi dans l’atmosphère. Donc 0,43 \times 625 = 269 Gt de C. On retrouve bien nos 125 ppm en plus (266 Gt de C).

Mais en terme d’accroissement de la température, ça fait quoi ?

Dans un précédent billet, j’avais regardé la corrélation entre l’anomalie de température et la concentration en CO2 dans l’atmosphère pour deux jeux de données, qui donnaient respectivement 0,016 °C/ppm et 0,008 °C/ppm. Considérons une valeur moyenne de 0,012 °C/ppm. Comme les « ppm » augmentent au rythme de 2 par année, cela fait +0,024 °C par an. Soit 0,24 °C par décennie. On retrouve (presque) les valeurs du GIEC (+ 0,2 °C par décennie) : on doit être plutôt à 0,01 °C/ppm pour coller aux 2 ppm/an et aux 0,2 °C/décennie.

Si on continue à ce rythme, on aura atteint les 1,5 °C de réchauffement des accords de Paris dans 25 ans, avec 455 ppm de CO2 dans l’atmosphère. Et on sera à + 5°C (800 ppm) dans 200 ans.

5 °C (en moins), c’est ce qui nous sépare de la dernière glaciation il y a 20000 ans. Une calotte polaire descendait alors jusqu’au milieu de l’Angleterre, et l’ensemble des Alpes gisait sous une gangue de glace. Le niveau des mers était 120 m plus bas qu’actuellement. Je vous laisse imaginer ce que sera l’inverse (+ 5 °C). Sachant que l’échelle de temps est ici la centaine d’années pour y parvenir, lors d’une glaciation naturelle c’est plusieurs milliers d’années.

Bien sûr, la machine climatique n’est pas linéaire, ça ne fonctionne pas comme ça. Les taux considérés comme constants ici ne le sont pas : la concentration en CO2 dans l’atmosphère augmente de plus en plus vite, la température aussi... Ça ne fonctionne pas comme ça, en fait ça va plus vite. Et quand bien même nous stopperions d’un coup toute émission, l’inertie thermique de la machine climatique fait que la température ne cesserait pas d’augmenter pour autant. Il faudrait quelques décennies ou quelques siècles pour atteindre un nouvel équilibre.

Voir aussi : Jouer avec les chiffres du climat : une approche par budget carbone, Jacques Treiner, Reflets de la Physique n° 43, 2015

[1Source : rapport 1,5°C du GIEC, publié en octobre 2018.

[2Source : Rapport AR5 du GIEC publié en 2013.


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