Des Lumières à la mégalomanie
Rentrée universitaire. Mon université ex-Paris Diderot est devenue cette année (en mars 2019), l’université de Paris. Paris-quoi ? Paris-c’est-tout, Paris-tout-court ! Paris ? Oui , Paris ! Nous passons sans transition de Denis Diderot, philosophe, écrivain, etc., de génie du siècle des Lumières, à « Paris ». La Capitale. Avec un grand « C ».
L’université Paris Diderot, c’est aussi un campus illuminé dans un ancien quartier sordide de Paris, dans le 13e arrondissement à proximité de la Bibliothèque Nationale de France, à côté des anciens Grands Moulins de Paris : un bâtiment Condorcet, Nicolas de Condorcet, pour faire honneur au mathématicien (entre autres, car à cette époque, les « grands » œuvraient dans plusieurs disciplines) du 18e siècle ; un bâtiment Buffon [1], au nom du naturaliste Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon, contemporain des précédents, naturaliste, auteur de l’encyclopédie Histoire Naturelle ; un bâtiment Lamarck, Jean-Baptiste de Lamarck, autre naturaliste, disciple du précédent, inventeur de la biologie et précurseur de la théorie de l’évolution, un bâtiment Sophie Germain, mathématicienne et physicienne, un bâtiment Olympe de Gouge, femme politique précurseuse du féminisme. Des maîtres et des maîtresses à penser à cheval entre le 18e et le 19e. Siècle des Lumières.
Nous passons ainsi d’un héritage autoproclamé de ces Lumières à notre 21e siècle, celui de la mégalomanie. Car comment comprendre autrement ce nom ridicule ? Université de Paris ? Comme si on était de retour au Moyen-Âge, avec effectivement une unique « Université de Paris », vénérable ancêtre des universités françaises, ou bien à la fin du 19e avec une autre unique « Nouvelle Université de Paris » qui éclata 1970 en treize entités. Entités qui refusionnent. L’Histoire est un éternel recommencement. Après tout, la sagesse populaire nous enseigne bien que faire et défaire, c’est toujours travailler.
Comment considérer les autres universités parisiennes ? Car la re-nouvelle université de Paris se partage le gâteau parisien avec plusieurs autres entités plus ou moins grosses, plus ou moins fusionnées. Dont Sorbonne Université, résultat de la fusion de l’ex-Paris IV (Paris-Sorbonne) et de l’ex-Paris VI (Pierre et Marie Curie). Sorbonne University, oups, pardon, université. Mais pas Université Sorbonne, ça fait trop ringard, has-been. Ou l’université PSL (pour Paris, Sciences et Lettres) qui a agrégé un certain nombre d’établissements prestigieux autour de l’université Paris Dauphine, avec un site web en .eu (plutôt que .fr), un logo en étoile, et une « galaxie PSL ». Rien que ça. Certes, ce n’est qu’une ComUE (Communauté d’Universités et d’Établissements).
Bref, je ne sais pas à qui revient la palme de la mégalomanie, probablement à la mienne. Université de Paris. Un vulgaire « moi je » ou « moi d’abord » de cours de récré de maternelle.
Toute la question est : pourquoi « Paris » ? Franchement, « Université de France » ou mieux encore « France Université », voire « France University », ça aurait eu plus de gueule, non ? Tant qu’à renier l’héritage, autant renier la langue avec.
Et la suite, c’est quoi ? De re-nommer les différents bâtiments du campus ? Bâtiment de France, celui du Monde, du Système Solaire, de la Voie Lactée, de l’Univers ?
À peine la chose écrite et publiée dans le Journal Officiel, on nous inondait déjà du logo : la Tour Eiffel qui enjambe le U. Ou qui trébuche sur le U ? Rien n’est suffisant, aller, hop, on s’approprie la Tour Eiffel, tant qu’à faire.
Tout ça pour quelques échelons sur un classement qui s’en moque royalement. Feu l’Université (avec un grand « U »), feu l’esprit des Lumières.
[1] Au passage, une recherche sur Google avec « buffon » ne sort que des liens sur un obscur footballeur du PSG sur la première page, il faut aller jusqu’à la deuxième pour avoir des liens liés au naturaliste (lycée Buffon, forge de Buffon...), ce qui en dit long sur notre époque...
Guillaume Blanc
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