Les tribulations d’un (ex) astronome

Ventilez, il faut ventiler !

dimanche 15 novembre 2020 par Guillaume Blanc

Il semble désormais clairement établi que le [1] covid-19 se transmet en grande partie par les aérosols. Il s’agit de minuscules gouttelettes que nous émettons systématiquement quand nous respirons et parlons. Ce faisant, nous émettons également des grosses gouttelettes (qui elles sont de taille supérieure à environ 2 microns) ou des postillons (parfois visibles à l’œil nu), qui vont retomber plus ou moins rapidement au sol au bout de quelques minutes. Les aérosols sont des gouttelettes invisibles dont la taille fait typiquement moins de un micron. Elles ne tombent pas et restent en suspension dans l’air. Un peu comme la fumée de cigarette, elles vont diffuser dans l’air d’une pièce pour finir par envahir le moindre recoin.

La simulation ci-dessous permet de se rendre compte que ces microgouttelettes peuvent remplir une pièce en un quart d’heure :

Porter un masque permet de limiter (mais pas de stopper), l’émission de gouttelettes comme en témoigne cette vidéo d’une expérience réalisée avec différents types de masques (en tissu simple ou double couche, ou chirurgical), selon que l’on parle ou que l’on éternue :

Au passage, contrairement à ce que je m’imaginais, la quantité de microgouttelettes émises en respirant est plus importante (d’un facteur environ trois) que celle émise en parlant normalement et similaire à celle émise en chantant. D’où l’importance de bien positionner le masque et de couvrir aussi le nez !

La part de contamination due aux aérosols n’est pas connue avec certitude dans le cas du covid-19, mais elle pourrait l’un des vecteurs les plus important de dissémination de la maladie, plus en tout cas que les fameuses « fomites » qui sont les surfaces contaminées.

Il devient alors possible d’appréhender la question des contaminations sous un angle rationnel. En effet, on peut mesurer simplement l’efficacité de la ventilation d’une pièce en mesurant le taux de dioxyde de carbone (CO2) qu’elle contient. En respirant nous rejetons du CO2 dans l’atmosphère [2]. Une pièce fermée, habitée par des personnes, voit ainsi la quantité de CO2 qu’elle contient augmenter. En ventilant la pièce, c’est-à-dire en renouvelant son air régulièrement avec de l’air extérieur, on dilue ainsi les microgouttelettes et donc on réduit la probabilité d’être infecté, si toutefois une personne infectée est présente dans la salle. Mais on diminue également la quantité de CO2 expirée, qui va tendre vers la valeur extérieure [3]. On ne sait pas mesurer la quantité de virus SARS-CoV-2 présente dans l’air d’une pièce, en revanche on sait mesurer la quantité de dioxyde de carbone. On peut ainsi utiliser ce gaz comme traceur de la ventilation, ce qui permet de vérifier quantitativement la qualité de l’air d’une pièce. On ne sait pas non plus à partir de quel seuil (quelle quantité de CO2 présente dans la pièce) le risque (ou la probabilité) d’être contaminé augmente significativement. Néanmoins, on peut extrapoler à partir des connaissances que l’on a pour d’autres maladies à transmission similaire, par aérosols, comme la tuberculose, ainsi un seuil inférieur à 1000 ppm de CO2 peut être recommandé en guise de principe de précaution. Et peut-être même moins : viser 650 ppm serait plus raisonnable en ne dépassant pas 850 ppm.

Une collègue m’ayant prêté un détecteur de CO2, j’ai pu faire quelques mesures dans différentes salles où j’ai eu cours. Avant…

Dans une salle de travaux dirigés de 30 places, avec porte et fenêtre, voici ce que j’ai obtenu avec 14 à 15 personnes à l’intérieur pendant 1 à 2 h. Les deux courbes ont été obtenues à une semaine d’intervalle : peut-être que la ventilation mécanique n’était pas identique dans les deux cas ce qui pourrait expliquer les différences d’augmentation du taux de CO2 quand les ouvertures sont fermées. Dans les deux cas, l’ouverture de la porte donnant sur un palier et un couloir a permis de baisser le taux de CO2 jusqu’à des valeurs plus raisonnables en termes de ventilation. Cela montre d’une part que la ventilation mécanique seule ne permet pas d’atteindre un seuil raisonnable ; d’autre part que la simple ouverture de la porte permet d’atteindre un tel seuil.

Dans un amphithéâtre de 238 places, en gradins, avec environ 80 à 85 étudiants, les mesures faites pendant 2 h donnent les courbes suivantes. La courbe rouge a été obtenue lors d’une seule séance, les courbes bleue et verte en deux séances (à deux jours d’intervalle), une semaine plus tard. L’amphithéâtre n’a pas de fenêtre, et les portes d’entrées ne peuvent être maintenues ouvertes (il y a un sas, et aucun moyen de les coincer). Néanmoins, on constate que la ventilation fonctionne correctement avec une occupation au tiers, à peu près, les taux de CO2 enregistrés étant raisonnables.

Une autre série de mesures a été effectuée dans une salle de formation de la bibliothèque. Salle avec des ordinateurs comptant 30 places et remplie à moitié. Cette salle ne dispose pas de ventilation mécanique. En entrant dans la salle, la porte et les fenêtres étaient grandes ouvertes. Le taux de CO2 mesuré est de 620 ppm. Les ouvertures sont fermées. En à peine 10 min, il atteint 1000 ppm. Porte et fenêtre sont à nouveau ouvertes quelques minutes. Ensuite la porte donnant sur la vaste salle de lecture est laissée ouverte. Malgré cela, le taux de CO2 augmente à nouveau. La vitesse d’augmentation dépend probablement de l’ouverture de la porte entre « entrebâillée » et « grande ouverte » ; l’ouverture des vastes fenêtres de la baie vitrée de la salle de lecture et la porte ouverte a permis de faire baisser le taux de CO2 rapidement. Une fois celles-ci fermée, il se stabilise, à condition de maintenir la porte grande ouverte.

En conclusions :

  • La ventilation mécanique n’est généralement pas suffisante pour atteindre un flux suffisant pour a priori diminuer fortement la probabilité de contamination par le SARS-CoV-2.
  • En plus de la ventilation mécanique, ouvrir une porte donnant sur un couloir permet d’obtenir un flux généralement suffisant.
  • Une pièce fermée sans ventilation mécanique doit être ouverte toutes les 10 min pour éviter d’atteindre les seuils préconisés.

Il vaut donc probablement mieux, cet hiver en particulier, ouvrir la fenêtre quelques minutes toutes les 10-15 minutes pour ventiler [4], quitte à porter un bon pull. De surcroît, même en période « normale », sans covid-19 en guise d’épée de Damoclès, il est bon d’avoir une bonne ventilation dans les pièces intérieures, car les capacités cognitives diminuent significativement quand le taux de CO2 augmente [5]

[1Le ou la, peu importe, l’usage semble se faire sur « le », certains, dont moi, ont voulu dire « la » sous prétexte qu’il s’agit d’« une » maladie, le « d » venant de desease en anglais, mais un collègue a objecté qu’avec cette logique, il faudrait dire « la » laser et non « le » laser, puisque le « l » vient ici de light en anglais qui signifie « la » lumière… Donc… Que l’usage fasse son œuvre !

[2Environ 0,3 L/min au repos.

[3La proportion de CO2 dans l’air extérieur, hors pollution citadine, est actuellement de 410 ppm — parties par million, soit 410 molécules de CO2 pour 1 millions de molécules d’air. Cette proportion augmente en raison des activités humaines comme la combustion de combustibles fossiles à raison de +2 ppm/an en ce moment.

[4Même si on entre en concurrence avec les économies d’énergie ; il semble, néanmoins, que cette façon de procéder permet facilement de renouveler l’air de la pièce sans trop de fuites d’énergie thermique...

[5À partir de 1000 ppm, notamment.


forum

Accueil | Contact | Plan du site | | Statistiques du site | Visiteurs : 3895 /

Suivre la vie du site fr  Suivre la vie du site Enseignement  Suivre la vie du site Université   ?

Site réalisé avec SPIP + AHUNTSIC

Creative Commons License

Visiteurs connectés : 24