Les tribulations d’un (ex) astronome

Aux jeunes maître·esses de conférences : comment débuter et « réussir » ?

vendredi 24 mars 2023 par Guillaume Blanc

Postface en guise de préambule du 20 juillet 2023 : ce texte a généré de l’incompréhension notamment sur Mastodon. Je précise qu’il est rédigé sur un mode pamphlet, qu’il ne reflète pas ma façon de voir et de pratiquer mon métier (qui est plutôt à l’exact opposé), mais il est basé néanmoins sur ces constats effectué dans mon entourage immédiat. Il reflète de cette manière une certaine réalité.

Je propose quelques pistes pour qu’un·e enseignant·e-chercheur·euse [1] en début de carrière puisse « réussir ». Réussir au sens de ce que l’institution, le système, les collègues attendent d’un·e jeune enseignant·e-chercheur·euse : publier des papiers. Des articles. Obtenir des sous (pour simplement pouvoir travailler) via les appels à projets, notamment. Et enfin, prendre des responsabilités, plus tard.

Ce n’est pas si facile ni automatique, quand on débute. Il y a la charge d’enseignement à gérer, ça prend tout de même du temps, cela demande de l’organisation. Je vous propose quatre conseils à vous, jeunes maîtres·esses de conférences ou futurs jeunes maîtres·esses de conférences, pour débuter une carrière sur les chapeaux de roue. Quatre conseils que j’aurais (peut-être) aimé avoir à mes débuts. Au moins, pour pouvoir choisir en connaissance de cause quelle voie emprunter : celle de l’ambition toute tracée que l’on attend d’une jeune recrue ou bien celle de « l’ambition qui te dit que tu peux faire des choses bien sans aller là où on t’attend » [2].

 Ne changez pas de thématique de recherche

Faites-vous recruter sur le même sujet que votre thèse et votre post-doc. Cela prend du temps à devenir « expert·e », et encore plus « expert·e reconnu·e » ; quand on enseigne, quand on débute, redevenir expert·e est une gageure. Ne changez jamais par la suite, gardez le cap.

 Ne passez pas trop de temps à préparer vos enseignements

C’est en effet du temps en moins pour la recherche, qui est la seule chose reconnue pour progresser dans la carrière. Et faire de la recherche, produire de la connaissance, écrire des papiers, cela demande du temps qui ne doit pas être morcelé par des enseignements. Mieux vaut regrouper cette tâche à un moment donné dans l’année pour dégager ensuite de longues plages. Choisissez autant que possible des enseignements peu chronophages : des travaux dirigés déjà en place, qui tournent bien, où l’on vous fournit le corrigé clefs en main ; des travaux pratiques qui demandent un minimum d’investissement au départ, mais qui sont très rentables après. Évitez également de prendre des enseignements avec des piles récurrentes de copies à corriger : cela consomme du temps, beaucoup, et en plus, ça, ce n’est vraiment pas marrant. Bien entendu, créer un cours ou un enseignement, n’y pensez même pas : le rapport bénéfice sur temps passé n’est pas favorable. De manière générale, il faut éviter de prendre des initiatives pédagogiques, cela prend du temps, c’est assez mal vu. Faites simplement ce qui vous est demandé, ni plus ni moins. Ne faites pas de vagues. Faites vos heures, c’est tout.

Au départ de votre carrière, quand vous venez d’être recruté·e, évitez les responsabilités. Par la suite, pour passer « prof », cela sera inévitable : vous devrez être malin·e pour choisir la bonne, celle qui rapporte beaucoup (le poste convoité) pour un minimum de temps et d’engagement. Mais ça, c’est plutôt pour plus tard : au début, il faut soigner et asseoir son expertise en recherche.

 Travaillez... !

Cela va évidemment de soi, mais mieux vaut le redire : ne prenez pas ou pas trop de vacances, ce n’est pas hyper bien vu, et c’est surtout du temps de recherche en moins. Les enseignant·es-chercheur·euses n’ont pas de compte-épargne temps (en tout cas, je n’en ai pas, moi, dans ma fac), alors autant bosser ; en plus, quand tous les autres sont au ski / à la plage / en famille / au club Med / au bout du monde, le labo est désert, on n’est pas dérangé, c’est là que ça avance le plus efficacement. Travailler les week-ends, les soirs (la nuit ?), ça c’est top, ça fait progresser le CV. Travailler plus pour gagner plus (de publis).

 Faites-vous guider dans les méandres de la recherche !

Le clou, c’est, je pense, d’avoir un·e mentor. Un·e guide, un enseignant·e-chercheur·euse (ou un·e chercheur·euse !) avec de la bouteille, prof (ou directeur·rice de recherche) évidemment, avec une aura internationale, c’est mieux, qui va accompagner les premiers pas, permettre d’adopter les bonnes décisions au bon moment. Bref, quelqu’un de confiance qui va vous prendre sous son aile. Ce sera un·e collègue plus âgé·e (forcément), qui peut être un·e ami·e — ou le devenir —, avec du recul, qui va vous aider à remplir les AAP (Appels À Projets) des débuts (il faut bien trouver du fric pour pouvoir bosser), avant que vous ne voliez de vos propres ailes et que les arcanes de l’ANR et de l’ERC n’aient plus aucun secret pour vous. Ne déléguez pas cette paperasse : savoir le faire et rapporter des sous à l’équipe, au labo, est extrêmement bien vu, cela ouvre beaucoup de portes.

Les trois premiers points relèvent (plus ou moins) du choix personnel (modulo le fait que l’on a pas toujours le choix dans son recrutement au profil parfois serré [3] ou encore pour ses enseignements !). En revanche, le dernier point ne se décrète pas. On ne décide pas qu’untel ou unetelle sera un·e mentor — même si cela peut être le/la directeur·rice de thèse. C’est ou ce n’est pas. On peut faire sans, mais c’est probablement plus difficile. Le/la mentor est un·e facilitateur·rice pour s’y retrouver dans le labyrinthe des rouages de l’ESR, c’est quelqu’un·e qui va vous donner les clefs de la réussite et vous faire économiser ainsi un temps et une énergie précieuses.

Ces quelques conseils devraient vous permettre de passer l’HDR (Habilitation à Diriger des Recherches) assez rapidement après votre recrutement (il ne faut pas traîner, cela doit être un objectif, une ligne de mire, une corvée à évacuer), c’est le sésame pour industrialiser votre production de connaissances : à partir de là, vous pourrez prendre des étudiant·es en thèse, qui vont faire le boulot à votre place et vous permettre de démultiplier votre production (scientifique). Vous n’aurez plus qu’à signer les papiers, pour ensuite grimper encore plus les échelons, quels qu’ils soient.

Soyez ambitieux !

[1Petit argumentaire référencé sur l’écriture inclusive. Je mets ça là pour mémoire. Encore sceptique par la démarche il y a peu, j’ai été convaincu de son bienfondé par le podcast : « écriture inclusive, pourquoi tant de haine ? » ; l’argument suivant du linguiste Pascal Gygax me paraît percutant : « L’histoire nous enseigne que la société patriarcale a eu un effet sur la masculinisation de la langue et les données disent que la masculinisation de la langue a une influence sur notre manière de percevoir le monde. À partir de là, ce qu’il faut se demander, c’est : veut-on changer cela ? Si oui, alors le langage inclusif est un outil pour y parvenir. » Le livre de Laélia Véron et Maria Candea : Le français est à nous ! : Petit Manuel d’émancipation linguistique paru en 2019 est également passionnant (à plein d’égards) !

[2Paresse pour tous, Hadrien Klent, édition Le Tripode, 2021.

[3N’oubliez cependant pas, que passée la première année, vous serez fonctionnaire titulaire, et donc doté·e d’une relative liberté ! Usez-en avec discernement !


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