Je viens de passer un week-end fantastique à grimper dans les Aiguilles Rouges, sous un soleil radieux, premier week-end de beau temps depuis des plombes, avec des gens formidables et un panorama à couper le souffle sur la chaîne du Mont Blanc, juste en face. Et pourtant, pourtant, je ne peux m’empêcher de rabattre ma joie d’avoir vécu ces plaisirs tout simples. Et comme je suis d’esprit partageur, je m’en vais vous faire part de mes ruminations.
Car le bonheur d’être enfin à nouveau en montagne fut effectivement quelque peu altéré par l’environnement dans lequel j’ai alors évolué.
Nous étions un groupe du GUMS à avoir posé notre camp de base 200 m au-dessus de l’arrivée du téléphérique de la Flégère, entre deux pistes de terre et de pierres labourées, un télésiège qui faisait de l’ombre sur le Mont Blanc, nous avons pu tout de même trouver un coin d’herbe presque immaculé (à deux-trois tessons de bouteille près), pour faire comme si. Je n’étais jamais venu dans ce coin en été, j’avais seulement fait une petite incursion dans le massif il y a quelques années, plus à l’est, pour grimper sur l’Aiguille de la Persévérance, et un rapide passage en hiver à la fin d’une traversée à skis. J’étais donc ravi à l’idée de découvrir ce massif pour le moins mythique.
Nonobstant la montée en téléphérique (mais l’alternative par la piste ou un sentier sous les câbles n’est guère plus réjouissante), quel ne fut pas mon (grand) désarroi de constater que l’ensemble de la montagne dans laquelle je pénétrais alors avait été équipée, remuée, façonnée, tranchée, tailladée pour installer là une station de ski. Sans parler du deuxième tronçon de téléphérique qui permet aux grimpeurs de limiter la sudation de la marche d’approche pour nombre de parois mythiques (Glière, Index, Floria...) à son strict minimum ; la contrepartie étant de grimper en haute-montagne, à plus de 2500 m d’altitude, avec le doux ronronnement des machines en arrière-fond sonore. Mais cela ne semble déranger que moi.
Donc sans parler de ce téléphérique de l’Index (là depuis 1956), l’ensemble du cirque entre l’Index et la Tour des Crochues ne ressemble plus à rien de vaguement sauvage : l’alpage est désormais strié de « pistes » de ski en tout genre, les téléskis et télésièges sont là, aux pylônes qui s’étalent stupidement sur les pentes. La montagne est ainsi domptée et bétonnée — « civilisée » — pour le plaisir lucratif d’une poignée, qui vient là quelques mois par an pour la glisse hivernale. Le côté printanier de la chose n’ajoutait pas sa touche habituellement poétique, la station était jonchée de détritus en tout genre, résidus de la saison d’hiver. Le nettoyage annuel n’avait visiblement pas encore eu le temps d’œuvrer, si tant qu’il soit fait avant les chutes de neige de la saison suivante.
Je n’ai rien contre les stations de ski — seulement contre leurs extensions irraisonnées —, après tout, j’ai bien passé ma jeunesse à skier en station, mais quand je vois un site pareil complètement bousillé pour le plaisir d’une minorité pendant quelques mois dans l’année, ça me révulse, quelque part !
Un temple de l’escalade estival (voire même hivernal), un temple de la randonnée, avec une vue extraordinaire sur le massif en face, Mont Blanc majestueux, randonnée estivale et hivernale, temple saccagé par cette quête insupportable de l’or blanc.
Le vallon sous les Aiguilles Crochues a été remodelé au bulldozer, récemment (automne 2011) : « Après d’importants travaux de terrassement et d’enrochements réalisés cet automne [2011], la piste des Crochus et celle de la Remuaz sont élargies pour offrir de meilleures conditions de ski tout l’hiver. » Bref, on adapte la montagne aux besoins des skieurs qui viennent dépenser là leur devises et ont donc tous les droits. Pouvoir de l’argent.
Dernière atteinte en date, la retenue collinaire à côté de la gare de Flégère creusée en 2010, 27 000 m3 de flotte prélevés et stockés pour « permettre un enneigement optimum de la piste des Evettes [cet hiver]. Ainsi la liaison entre le domaine du Brévent et celui de la Flégère sera assurée pendant toute la saison hivernale. » Un panneau explicatif précise quand même : « Ce petit désagrément visuel, dont nous prions nos visiteurs estivaux de bien vouloir nous excuser, permettra un meilleur confort de ski sur les pistes du domaine. » Petit désagrément visuel : c’est un euphémisme ! Franchement, à part innommable verrue, je ne vois pas de qualificatif plus approprié ! On ne voit que ce truc immonde depuis tous les sommets alentours.
Ils ont même le culot de dire la chose « Respectueuse de son environnement » grâce entre autre à « son intégration paysagère. » Là, le touriste est vraiment pris pour un con ! Et hop, encore un coup de peinture verte !
Bref, tout cela a ainsi quelque peu altéré mon plaisir d’être dans ces superbes montagnes. Et je ne parle même pas de l’incessant ballet au-dessus du massif du Mont-Blanc, en face, des hélicos et avions en tout genre, dont l’agressif bourdonnement nous parvenait encore jusque là, atténué, certes, mais quand même là...
Il faut, certes, vivre avec notre temps. Mais le faut-il vraiment ?
Non, cela ne gêne pas que toi...Mais qu’y peux-t-on vraiment ? (à part ne pas venir skier et surtout pas dans ce coin )
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