Les tribulations d’un (ex) astronome

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À la source du Rhône

vendredi 26 décembre 2008 par Guillaume Blanc

Jeudi 8 mai 2008 au petit matin. 5h00. Quelque part dans Paris. Un amas inhabituel de choses hétéroclites, skis, sacs à dos... gît sur le trottoir. Paris s’éveille, certes, mais doucement. La chose passe inaperçue. Nous transférons l’amoncellement dans le coffre de la voiture. C’est parti !

Autoroute A6, déjà bien chargée à cette heure pourtant indue. Beaune, Besançon. Petite route touristique à travers le Jura. Que je ne connais pas. Suisse. Bern. Interlaken. Meiringen. Innertkirchen. Nous y voilà. Il est midi et demi. Le bus est dans une demi-heure. Quel synchronisme ! Une demi-heure pour se garer, se changer... Se garer. Le vaste parking d’un hôtel arbore le symbole évident de la fourrière. Nous évitons. Reste une place au bord de la route, à deux pas de la Poste. Pas de signe d’interdiction quel qu’il soit de stationner. J’applique l’adage d’Antoine : si ce n’est pas interdit, c’est que ça doit être autorisé. De toutes façons, pas vraiment le temps de tergiverser. Nous troquons basquets et jeans contre salopette et chaussures de ski. Ainsi parés, énorme sac sur le dos et skis à la main, nous allons attendre le bus postal qui doit nous emmener à Gadmen.

Ponctuel, qu’il est le bus postal. Nous embarquons. Une demi-heure plus tard, nous arrivons au terminus. Les skis sur le sac, le sac sur les épaules nous attaquons la montée à l’Hôtel Steigletscher. Il fait beau, super chaud, nous étouffons sous notre barda au milieu des vertes prairies en fleur.

Un sentier suit le cours de la rivière Steinroasser, loin de la route asphaltée qui monte au col « Sustenpass ». Il n’y a personne. Il fait chaud. Le sac est lourd. Le printemps est déjà bel et bien là : l’herbe est verte, les fleurs s’épanouissent.

Dans la montée à l’hôtel Steigletscher, nous croisons quelques batraciens !

Nous prenons de l’altitude, insidieusement. Bientôt la verte prairie laisse place à un vaste champ de neige dans lequel nous pataugeons quelques temps avant de finalement pouvoir chausser les skis. Nous continuons de surnager dans une neige gorgée d’eau de fonte, mais la portance aidant, nous nous en sortons quand même mieux qu’à pieds ! Entre deux pins d’un vert intense se détache sur une neige d’une blancheur rayonnante, une grenouille. Ou un crapaud. Étalée dans la neige. Certes, le ruisseau ne ruissèle pas très loin, mais j’ai peur que la bestiole ne crève de froid... Je la prends et l’envoie folâtrer dans l’herbe. Pour en découvrir une autre, ou plus exactement deux autres... qui copulent mollement... Serait-ce là un moyen de rafraîchir certaines ardeurs ? Devant les mœurs étranges de ces batraciens, je m’incline. J’observe et laisse la nature tranquille, avant de poursuivre notre chemin. Une pente en pente et ravagée par les coulées de neige printanière nous emmène dans des lieux plus sereins. Platitude.

Mon altimètre me dit que l’altitude de ce refuge où nous allons est atteinte, mais le-dit refuge, où est-il ? Nous finissons par le découvrir, là, en contre-bas, dans le coude d’une épingle de la route. Les constructions attenantes sont encore sous la neige, attendant patiemment l’été et sa cohorte de touristes.

Fraiseuse à l’hôtel Steigletscher.

Une fraiseuse est garée là, la route vient d’être ouverte. Des groupes de skieurs arriveront d’ailleurs en voiture. Quelle idée saugrenue que de monter à pieds !

Après une nuit réparatrice — nous étions seuls dans notre dortoir —, nous partons de bonne heure vers le Steigletscher — glacier Steigle. La neige est dure. Deux-trois skieurs nous précèdent au loin... L’itinéraire contourne la langue glaciaire par la droite, pour finir sur la carapace de glace après une courte traversée exposée. Au-dessus de nous, une barrière de séracs ! Mais comme ceux qui précèdent sont également passés par là, a priori sans avoir de dons particuliers de passe-murailles, je me dis qu’il y a forcément un passage. De fait. Une belle pente de neige lisse et dure permet de se frayer un confortable passage entre deux zones tourmentées. Au-delà, un immense plateau. Un peu plus loin sur la droite, jonché sur un éperon rocheux, le refuge Tierbergli notre objectif de la journée. Pour nous y rendre, nous prendrons des chemins de traverse, et obliquons ainsi vers la gauche, nous écartant ainsi de la géodésique menant directement au repos. Parce que rallier un refuge sans passer par un sommet, quel dommage. Le Sustenhörn (3503 m) nous domine à gauche depuis que nous avons mis le ski sur le glacier qui en dévale le flanc. Nous avons alors amorcé un mouvement de rotation pour atteindre le sommet par la bonne pente. Ouest, en l’occurrence. Et pourtant, un tout léger voile empêche le Soleil de réchauffer la croûte de regel de la nuit passée. Nous faisons une dépose de matériel dans un petit coin, histoire de nous alléger un peu avant d’aller chatouiller le sommet en aller-retour.

Même à l’heure tardive — méridienne — où nous attaquons la pente terminale, aucun dégel notable.

Au sommet du Sustenhörn.

Le sommet est très fréquenté, mais parce que nous arrivons de tout en bas, nous y serons après tout le monde. Seuls. Là-haut, petite sieste sous un timide Soleil. La descente en neige dure regelée n’est pas des plus mémorable, encore que le bas de la grande pente commence à ressembler vaguement à une sympathique, mais bien rase, moquette. Le plat sur le glacier serait un régal s’il n’était pas aussi plat, justement. Nous récupérons nos affaires pour rejoindre le refuge, en traversant une pente de neige qui celle-ci à parfaitement vu le Soleil et nous rappelle qu’en début d’après-midi ça cogne et ça coule. La remontée d’une vingtaine de mètres en plein cagnard pour accéder à la bâtisse est elle aussi sympathique. D’autant que rien ne sert de remettre les peaux pour si peu ; quant à déchausser, nous n’y pensons même pas tellement la neige ramollie est profonde : il nous faudrait y nager vers le haut. Tout un programme.

Pas mal de monde au refuge. Les toilettes intérieures ne fonctionnent pas, il nous faut mettre une paire de chaussures (de ski !) pour descendre un petit sentier de neige et accéder à une cabane haut-perchée. Un drapeau suisse flotte dans le vent. Nous nous réfugions à l’intérieur pour nous protéger du cuisant Soleil printanier d’après-midi. Au programme, lecture et farniente...

L’après-midi, au refuge, je lisais « Les Bienveillantes » !

Le lendemain nous poursuivons notre route au petit jour, par le col Tierberglücke (2986 m), tout proche. La neige est bien bien gelée. La descente plein est dans le Zroischen Tierbergen ne va pas être de tout repos. Et la remontée plein ouest sur l’autre versant risque d’être quelque peu « humide. » Bref, nous verrons bien...

La première partie de la descente se fait très bien, sur de la neige très dure, mais lisse. Ensuite arrivent les diverses épanchements d’avalanches de fonte descendus des flancs du vallon. Traverser une avalanche de blocs durcis par le gel, ce n’est pas très drôle, mais ça le fait. En traverser deux qui se chevauchent... Et quand le vallon se trouve être entièrement ravagé jusqu’en bas, c’est déjà moins sympathique. Tant bien que mal, au milieu de ces amoncellements chaotiques, nous perdons de l’altitude. Le couloir de remontée en face est déjà au Soleil. Tant mieux, ça passera peut-être à skis sans devoir sortir les crampons. Dans le bas du vallon, on se retrouve dans de scabreuses situations à crapahuter en chaussures de ski dans des pentes de terre raides et gelées, pour atterrir dans une soupe de neige de pierres et de terre, qui ne passe pas très bien à ski, ni à pieds.

Le couloir de Zroischen Tierbergen à la descente épique !

Bref. Petite traversée dans une neige pourrie, pleine de cailloux, pour atteindre la langue du Triftgletscher. Glacier qui dégringole dans une superbe cascade de séracs, pour venir laper l’eau d’un vert laiteux du lac frontal couvert d’icebergs, vertiges d’un hiver qui sent la fin, juste derrière un verrou rocheux faisant barrage.

Je surveillais du coin de l’œil la progression des deux skieurs qui devancent tout le monde dans cette histoire. Derrière eux, un groupe de plusieurs personnes que nous talonnons. Les deux électrons libres sont remontés dans le goulet sans déchausser. Donc ça passe.

Remontée sur le lit d’un torrent tempétueux.

De l’autre côté du glacier, il faut traverser de grosses goulottes d’avalanches pour atteindre le pied du couloir désormais tracé. Le bas est raide, la neige molle, on progresse sur des dépôts d’avalanches qui recouvrent un impétueux torrent. Une conversion se fait au bord d’un trou béant, la moitié de la spatule dans l’écume... Après quelques virages du même acabit, la pente s’adoucit et s’élargit. Ça devient confortable. Au-dessus du goulet, nous remontons de grandes pentes orientées au nord, dont la neige est de plus en plus dure, plus nous prenons de l’altitude. La sortie est un peu délicate, avec des rochers en travers du chemin pour corser le tout. Claire apprécie moyennement la plaisanterie.

Toutes ces acrobaties pour finalement déboucher en bordure d’un vaste cirque glaciaire, celui du Triftgletscher. La vue est magnifique. Montagne de blancheur immaculée. Et comme il se doit, entre la ligne droite, à gauche, pour aller directement au refuge, et celle qui passe par un petit sommet, à droite, pas d’hésitation possible. Je pars devant, Claire un peu fatiguée me suit de loin, la pente est archi-tracée, nous sommes les derniers de la journée à faire ce sommet, le Steinhüshorn (3124 m). Là-haut je rejoins le groupe qui nous précède de peu. Pendant la courte montée, j’ai senti ma cervelle rissoler au soleil. Toute mon eau s’est alors évaporée. Je pensais redescendre et récupérer Claire au passage pour rejoindre le refuge sur l’autre rive du glacier, mais comme elle n’est pas si loin que ça, je l’attends. Nous descendons sur une superbe moquette plein est.

La suite est un peu moins délectable, puisque arrivés au bas de la cuvette glaciaire, il nous faut remonter de l’autre côté, rive droite, pour atteindre le refuge Trift perché sur son éperon rocheux, comme il se doit. La remontée raide, en plein cagnard, vaut son pesant de cacahouètes. Nous arrivons en même temps que la gardienne et son gardien, partis faire un petit tour à skis. Nous sommes plutôt contents d’arriver après cette bonne journée sous un sacré soleil, et quelques 1800 m de dénivelés. Devant un verre de coca et une miche de pain, nous constatons les dommages collatéraux : les poignets de Claire sont cramés. Gros coups de soleil sur cette chair fraîche trop exposée...

Ce soir-là peu de monde au refuge, malgré le fait que nous soyons un samedi soir. Nous discutons avec ceux qui nous précédaient dans la traversée. Les deux traceurs sont deux jeunes hollandais, venus prendre leur bol d’air pur annuel sur les hautes cimes. Les autres, un groupe d’un club alpin français.

Le lendemain, journée tranquille : petit aller-retour au Dammastock (3630 m), qui domine le Rhonegletscher, le glacier qui donne sa source au Rhône... Claire n’est pas très en forme. Une fatigue générale et quelques nausées. Conséquence de son coup de Soleil de la veille ? L’itinéraire pour aller voir le Dammastock passe sur le flanc de la pyramide du Wysse Nollen, avant d’amorcer une large demi-cercle contournant le bassin supérieur du Rhonegletscher pour finir sur l’un des sommets qui bardent cette couronne de glace, le Dammastock qui a pour seul mérite de dépasser ses voisins de quelques encablures. Nos amis de la veille sont encore devant.

Le sommet du Dammastock dépassant à peine du Rhonegletscher.

Sur la vaste étendue immaculée, alors que le petit triangle sommital est en vue, Claire déclare forfait. Nous sommes pourtant plus très loin du but. Elle m’attendra là, le temps que je fasse rapidement l’aller-retour. Le temps n’est pas au beau fixe, des volutes nuageuses jouent avec les sommets. Les hollandais enchaînent avec la descente que nous ferons le lendemain. Les français descendent par le Rhonegletscher. Je rejoins Claire sans tarder et nous redescendons au refuge, sur une neige toujours dure au-dessus de 3000 m. Et genre soupe en-dessous. Nous devons remettre les peaux pour remonter la cinquantaine de mètres qui nous séparent du refuge.

Les poignets de Claire exhibent de grosses cloques. Au début je pensais que la peau brûlée avait fait quelques poches de sueur. En fait c’était des cloques résultantes de la brûlure subie. Impressionnant. Nous les avons percées. J’ai lu plus tard qu’il valait mieux éviter de le faire. Une brûlure au deuxième degré. J’aurais dû mettre de la double peau dessus. C’est ce qu’à préconisé le médecin qu’elle a vu en rentrant. J’en avais, de surcroît...

Nous sommes rentré tôt au refuge. Et tout au long de l’après-midi les randonneurs n’ont cessé d’affluer. Quel contraste avec le calme de la veille !

Dernier jour... Tout le refuge est parti très très tôt. Nous sommes les derniers à petit-déjeuner. Quel intérêt de partir aussi tôt, surtout pour aller faire le Dammastock, course relativement courte, et sachant que la neige, au-dessus de 3000 m, ne dégèle quasiment pas ? Bref... Au moins nous sommes peinard pour nous préparer. Aujourd’hui nous allons sur le Tieralplistock (3383 m), pour basculer dans le vallée de l’Aare qui va au Grimselpass. Le temps est à la fois beau et plein de volutes nuageuses. Juste sous le sommet nous nous retrouvons dans le brouillard, pour en ressortir peu après. De là-haut, nous dominons le bassin du Trifgletscher et celui du Rhonegletscher. Superbe paysage. Le sommet est entièrement givré. Paysages miniature. Le somptueux macroscopique rejoint le magnifique microscopique. Entre éternité et éphémère, le spectacle de la Nature se déroule devant nous.

Nous ne sommes pas seuls au sommet. Décidément, le coin est tout de même fréquenté ! Le temps de faire quelques images et de croquer quelques fruits secs, et nous amorçons la descente, dont je ne sais pas trop ce qu’elle va nous réserver. Si ce n’est que la neige va encore être bien dure, puisque la chose est en face est. Et de fait. Le haut est lisse, minuscule Alpigletscher, le bas est plus tourmenté. La neige se ramollit, des restes de coulées polluent la pente, le virage se fait plus physique.

Nous arrivons en vue du lac, Gelmersee, dont le franchissement m’inquiète quelque peu. Lac artificiel superbement encaissé entre deux parois rocheuses, les abords semblent peu praticables. Ou difficilement. Au refuge on nous avait dit de carrément le traverser en passant sur la neige qui emplit encore une bonne moitié de sa superficie.

Le gardien du refuge et un pote à lui, qui nous ont rejoint au sommet, nous doublent dans la descente. Et sans plus de tergiversations s’engagent sur le pack. Dubitatifs, nous nous approchons à notre tour du bord du lac. Lac recouvert de neige, mais laissant apparaître de larges flaques ici et là. Nous observons nos prédécesseurs arriver à bon port de l’autre côté. Les abords du lac nous semblant finalement moins engageant que le lac lui-même, nous décidons de tenter la traversée flottante. La sensation est étrange. La neige est gorgée d’eau. Les skis s’enfonce d’une bonne dizaine de centimètre dans cette mélasse, qui nous porte, finalement. Je ne sais pas quelle est l’épaisseur de neige flottante, peut-être un mètre. Bah, du moment que tout ça flotte... L’idée d’un bain forcé dans cette eau qui doit être glaciale ne me réjouit guère. Mais après tout, la neige, ça flotte, non ?

Débâcle sur le lac Gelmer...
Traversée du lac Gelmer, retenue artificielle et passage obligé pour redescendre vers la route du Grimselpass.

D’un pas peu tranquille nous traversons les quelques six cents mètres de banquise flottante sur le point de se désagréger sous la pression printanière. L’abordage sur la berge est quelque peu hasardeux. L’eau apparaît libre par endroit, la couche de neige s’étant découpée en blocs. Nous suivons la trace de nos prédécesseurs, les skis parfois un peu dans l’eau. Finalement tout se passa pour le mieux, et j’ai trouvé l’expérience particulièrement intéressante ! Mais sans les deux gars qui nous précédaient, aurais-je osé m’aventurer là-dessus ?

Sous le lac Gelmer, descente vers la route du Grimselpass.

De retour sur la terre ferme, nous récupérons un petit sentier qui longe le lac, nous traversons le barrage, et nous poursuivons notre descente vers la route qui mène au Grimselpass le plus souvent à pieds sur le sentier qui serpente à travers des barres rocheuses. Déjà la suite m’inquiète un peu : comment rallier Innertkirchen sans se taper des kilomètres et des kilomètres de marche sur le bitume ? Il me semblait qu’une bonne partie était inévitable, pour rejoindre le patelin le plus proche, Guttannen. C’était sans compter avec Claire. À peine avons-nous déchaussé et posé la chaussure de ski dégoulinant sur le bitume fumant, qu’elle voit une voiture qui descend, et l’arrête, du geste international pour ce faire, poing fermé, pousse levé. En allemand, elle lui demande s’il peut nous emmener, nous et notre barda, un peu plus bas dans la vallée... Il accepte. De fait, il rentre d’une rando à ski, et sa voiture ne se formalise pas de recevoir deux paires de plus avec les sacs qui vont avec. Claire discute un peu avec notre sympathique sauveur. Qui finalement nous laissera à deux mètres de notre propre voiture. Qui a dit que les suisse-allemands n’étaient pas sympathiques ?

Largement en avance sur l’horaire pour la peine, nous ferons un peu de tourisme, nous délectant des restes flétris de nos agapes montagnardes au bord du lac de Thoune, pour finir par déambuler dans les rues de la vieille ville de Thoune... La verdure et la douce chaleur printanière contrastent avec l’austérité minérale où nous étions encore le matin même...

Arrêt bucolique et touristique dans la ville de Thoune.

Nous reprenons la route vers Paris en fin d’après-midi.


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