Les tribulations d’un (ex) astronome

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Mon jour le plus long

lundi 29 décembre 2014 par Guillaume Blanc

Cela devait être samedi matin, je ne sais plus trop, parce que ces temps-ci on me bringuebale dans tous les sens, je reviens à peine d’une semaine en Mayenne avec tous mes cousins et cousines du côté de ma mère, que voilà qu’on me remet manu militari dans la voiture. Réveillée en fanfare et transportée ainsi dans le froid matutinal pour me saucissonner dans le siège auto. Vacances, vacances, mouais, hein... Bref, comme je suis de bonne composition et relativement bien reposée j’ai pris sur moi et je n’ai rien dit. J’ai laissé faire.

On a mis un peu de temps avant de partir pour je ne sais où, probablement loin vu l’horaire, papa et maman ne cessaient de s’agiter en tous sens autour de la voiture, tandis que je restais scotchée sur mon siège, éclairée par la lueur blafarde d’un réverbère, devant la résidence. Enfin, papa s’est installé au volant. J’étais un peu excitée par ce nouveau départ — j’adore me balader ainsi, il faut le dire — alors j’en ai profité pour mettre un peu d’ambiance. Gentille, l’ambiance. Comme pour maintenir papa et maman éveillés (faut dire qu’ils avaient quand même la tronche dans le pâté, alors pour éviter que papa ne s’endorme au volant, je fais ce que je peux !). Mais rapidement, le doux ronronnement du moteur et les trépidations de la machine ont eu raison de mon enthousiasme, et j’ai sombré dans les bras de Morphée, finissant ainsi ma nuit abruptement interrompue peu de temps auparavant. Maman m’a montré le chemin, elle avait également décidé de terminer sa nuit. Papa tenait la barre, imperturbable.

Je me suis réveillée toujours ficelée dans mon siège. On roulait toujours. Dehors, par le bout de fenêtre que je pouvais voir, ciel gris, et pluie battante. J’ai pris un bouquin et mon mal en patience.

Un peu plus tard, on s’est arrêté. Papa m’a porté sous la pluie jusqu’à une baraque gorgée de monde. J’ai pu me dégourdir les jambes au milieu de tous ces gens. Papa et maman sont allés aux toilettes, successivement. Papa m’a acheté un sandwich, mais le concept ne m’a pas convaincu, je n’ai pas voulu y toucher. Maman a insisté, insisté, insisté, mais non, je n’en démordrai pas. Du coup je me suis régalée de biscuits : c’est facile, en voiture... Plus tard, j’ai vu des paysages recouverts de blanc. De la neige paraît-il. J’ai bien de lointains souvenirs de la chose, mais c’est diablement flou. Bref, de la neige. Beaucoup de voitures autour de nous sur l’autoroute aussi. Je crois que papa et maman avaient zappé le fait que c’était un jour de grand départ.

Maman a remplacé papa un moment. Puis papa à nouveau au volant, puis maman. Papa a piqué un somme du coup. On est arrivé en vue des montagnes, ces masses informes qui bouchent l’horizon du regard et qui semblent exciter papa et maman à leur simple vue. Je ne sais pas trop pourquoi. Enfin, de toute façon, on ne les voyaient pas, les montagnes, retranchées comme elles étaient, ce jour, derrière leur voile pudique de volutes.

Plus tard, ça a commencé à monter. Puis à blanchir sérieusement dans le paysage qui nous enveloppait. Des voitures ici et là, devant, derrière. On a ralenti l’allure aussi, bizarrement. Il a fallu éviter des hordes de gens qui s’affairaient autour de leurs voitures, plantées là en dépit du bon sens, pataugeant dans cette substance blanchâtre. On a continué de rouler, mais nettement moins vite. Papa et maman semblaient sérieux voire soucieux. Peut-être pestaient-ils contre toutes ces autres voitures qui n’avançaient pas, devant, derrière. Enfin surtout devant.

J’ai fait une grande sieste. Quand je me suis réveillée on était dans une ville. On a fait un arrêt devant un magasin. Maman m’a enfilé ma doudoune bleue dans laquelle j’ai bien chaud. J’ai mis mon bonnet rose aussi. Papa m’a mis mes chaussures. Dehors, par terre, toujours cette substance blanche. J’ai mis les pieds dedans. C’est bizarre comme sensation, ça me rappelle des souvenirs fort lointains. J’ai mis les doigts dedans, impression d’anesthésie instantanée. Froid.

Dans le magasin, un monde fou. Papa et maman m’ont acheté deux trucs qui se sont être révélés des chaussettes pour mes mains. Comme je n’avais pas vraiment envie de mettre des chaussures sur mes mains, j’ai un peu freiné leur enthousiasme à m’enfiler ces choses. Ceci étant, un peu plus tard, je me suis quand même dit que pour composer avec cette substance blanche qui recouvre tout dehors, ça pourrait être utile. Bref, à suivre...

On a repris la voiture, papa semblait pester, comme à son habitude, contre le manque de déneigement. C’est vrai que la route semblait un peu chaotique dans cette ville. Dont on est sorti tranquillement. Tout guilleret, mon père. Et ma mère était alors au volant. On roulait toujours pas très vite, les voitures devant nous semblant se prendre pour des escargots. Allez comprendre.

Et puis d’un coup, on s’est arrêté. De pas très vite, on s’est mis à ne plus aller du tout. Un coup d’œil devant en tirant au maximum sur les sangles qui me plaquent dans mon siège, et j’ai compris : bouché. Route bouchée par des myriades de voitures stoppées devant nous. On avançait trèèèès lentement. Petit pas et puis stop pendant un temps qui semblait bien long. Quand on est arrivé pas très loin d’une petite bourgade, le feu sur la route clignotait orange. J’ai vu la mine dépitée de papa qui contemplait le serpentin de voitures qui courait loin au-delà du feu. Je crois qu’il avait vaguement espéré que le feu fut la cause de la chose. Visiblement il n’en était rien.

J’ai commencé à trépigner, parce que franchement, le voyage au long cours en voiture sans bouger, ça commençait à bien faire. J’avais pas payé pour ça, moi ! Du coup papa a défait ma ceinture, j’ai pu m’échapper de mon piège. Je l’ai rejoint devant. Vu l’allure où nous allions je ne risquais effectivement pas d’aller me fracasser la tête dans le pare-brise ! Du coup j’ai navigué entre le poste de pilotage et celui du copilote ; entre les genoux de ma mère et ceux de mon père. J’avais envie de tout manœuvrer, de tout essayer, de comprendre comment ça marche. Mais visiblement, ce n’était pas le moment, papa m’en a fermement dissuadé. Du coup j’ai regardé, j’ai joué avec d’autres trucs qui traînaient par là. Ce changement dans mon espace d’accessibilité démultipliait les occupations : il y avait désormais de quoi faire et explorer. Papa et maman semblaient résignés à leur sort (enfin notre sort). Ils ont téléphoné à mes grand-parents, pour essayer de trouver une solution alternative, sans succès visiblement. J’en ai profité pour raconter mon histoire à Nannick au téléphone.

La nuit a succédé au jour. On ne bougeait quasiment plus. Allions-nous passer la nuit là ? Et puis, alors que mes grand-parents venaient de nous annoncer qu’ils allaient commencer le festin (je crois que c’était le soir de Noël, le deuxième de la semaine, chouette !) sans nous, comme si quelqu’un avait entendu la chose (pourtant, je n’ai pas été baptisée), la voiture s’est remise à rouler. Tout doucement, certes, mais rouler. Et finalement, après encore un (relativement) court arrêt au beau milieu d’un pont, on a fini par pouvoir quitter cette route maudite.

On a mis les chaînes (enfin papa et maman, moi je supervisais le travail depuis l’habitacle). Et la fin du trajet fut rapidement avalée. Arrivée, enfin, chez Nannick et Pipat. Je vous avoue que j’étais un peu naze pour profiter de la chose, et tout le monde qu’il y avait, tontons, tatas, cousins, cousines, ça m’a enivré. Je me suis réfugiée dans mon doudou.

Et voilà, mon jour le plus long. Mais à entendre mon père, je crois que c’était une première pour lui aussi. Il a dit jamais plus jamais. Mais je sais bien qu’il oublie facilement ce genre de chose. Même si j’espère qu’il n’oubliera pas !

Sarah, 2 ans - 4 jours


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