Les tribulations d’un (ex) astronome

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L’exception qui confirme la règle

samedi 7 avril 2018 par Guillaume Blanc

Dans le dernier numéro de l’excellente revue « Dossier thématiques » de Mountain Wilderness, consacré aux « Pratiques sportives, » je tombe sur un texte qui m’interpelle particulièrement. Il s’agit de l’article de Camille Alézier : « La cordée à l’épreuve des stéréotypes de genre », qui s’appuie sur le travail d’une maîtresse de conférences en économie, Rozenn Martinoia. La référence n’est pas donnée, mais je trouve rapidement dans les méandres de la Toile l’article de recherche en question. Il s’intitule « « Ce qu’il y a d’agréable avec les femmes »… Les stéréotypes sexués, un refuge confortable pour les guides de montagne ? » [1]

Tout part d’un article publié dans Montagnes Magazine en 2002 [2], où la narratrice ponctue son reportage de remarques de son guide, Bob : « Ce qu’il y a d’agréable avec les femmes, explique-t-il lorsqu’au cours du raid, confronté à des conditions avalancheuses, il décide de rebrousser chemin, « c’est qu’elles ne cherchent pas à contester ce type de décision. Elles sont plus raisonnables que les hommes face au danger. S’il faut renoncer à atteindre le sommet, cela n’a pas beaucoup d’importance. »

La chercheuse est donc allée recueillir les témoignages d’une poignée de guides, hommes, sur leurs relations avec leurs clientes. Elle identifie, comme d’autres avant, une difficulté de la relation d’un guide avec son client qui est un rapport d’employé-employeur où c’est l’employé — le guide — qui gère l’ensemble de la prestation et prend les décisions qui s’imposent. Ce type de difficulté semble trouver une solution élégante quand le guide (homme — l’auteur ne présente pas le cas des cordées où le guide est une femme) emmène une ou des clientes.

Le premier trait qui ressort serait que les femmes auraient tendance à se sous-estimer ou tout au moins à ne pas surévaluer leur niveau comme auraient tendance à le faire les hommes. Plus d’humilité, en somme. De fait, les courses proposées par les guides seraient plus adaptées quand cela concerne des clientes que des clients, avec un risque de mauvaise surprise moindre pour les premières. Et donc une satisfaction plus générale au terme de la prestation.

Puis vient le respect de l’autorité et la confiance que les femmes accordent généralement à leur guide (d’après les guides interrogés !) : « De l’avis de Quentin, « elles écoutent vachement plus, elles sont plus attentives ». Sébastien dresse un constat similaire. Les femmes, dit-il, « sont plus à l’écoute de mon avis et ne sont pas bornées à penser qu’elles sont capables […] Elles me font plus facilement confiance, elles acceptent plus vite que je suis plus expert qu’elles ».

« La délégation du pouvoir de décision du client vers le guide, qui est certes le fondement du contrat implicite qui les lie, mais qui connaît parfois des tensions, est donc a priori sujette à moins de remises en cause avec une clientèle qui se sous-estime. »

« Les femmes, déclare Sébastien, ne contestent jamais une décision de renoncer, ce qui peut arriver à certains hommes […] Les hommes sont moins souples pour changer d’objectif, un homme cherchera à forcer la météo, les conditions. Les femmes, très rarement ».

Les guides ont également tendance à plus expliquer et discuter leurs décisions — asseyant ainsi leur autorité par la démonstration de leur savoir technique — avec une clientèle féminine que masculine, en réponse à quelque chose, un « besoin, qu’ils semblent considérer comme typiquement féminin. » Représentation sexuée du guide qui induit un comportement « construisant un contexte favorable à la soumission de leur clientèle à leur autorité. »

Tout cela résonne donc en moi à la lumière d’une expérience récente. Une encadrante en ski de randonnée du club dont je suis président a passé la formation diplômante de la FFCAM [3] pour avoir le brevet fédéral d’initiateur pour encadrer et « initier » au ski de randonnée les adhérents dans les clubs affilés à la FFCAM. Cette encadrante avait au préalable été cooptée par les encadrants du club sur la base de ses compétences à emmener un groupe en ski, avec un maximum de sécurité ; elle avait déjà encadré des groupes dans ce contexte. Le stage pour passer le diplôme d’initiateur dure six jours et est encadré par un instructeur fédéral et par un guide de haute montagne qui appose ainsi le sceau de son autorité sur le diplôme. Or il se trouve que contre toute attente, cette encadrante n’a pas eu ce brevet au terme du stage. La raison invoquée oralement lors du débriefing final fut un manque de prise de risque. De fait, le degré de danger d’avalanche était de 3 — marqué — toute la semaine sur le massif en question, et cette stagiaire a notamment refusé que son groupe suive celui du guide dans des pentes raides (> 35°) et orientées nord, donc potentiellement dangereuses. Refus d’obstacle, donc. Lors du débriefing le soir même, la stagiaire, qui avait au préalable sondé ses camarades : « vous y seriez allés, vous, si le guide n’avait pas été là ? » n’avait reçu que des réponses négatives, a posé la question ouvertement à la cantonade en présence du guide, personne n’a moufté, c’est le guide qui a répondu avec une moue surprise indiquant qu’enfin, voyons, où était le problème ?

Résultat, sans annonce préalable, la voilà recalée. Par la suite elle a cherché a avoir des explications, et moi avec, tellement j’étais dans l’incrédulité la plus totale surtout avec la raison invoquée : manque de prise de risque ! Les encadrants du stage ont ensuite nié lui avoir dit qu’elle ne prenait pas assez de risque [4], noyant leur décision dans des généralités gonflées à la limite de la caricature. Une grille précise et objective d’évaluation fut demandée et, en insistant (très) lourdement, elle finit par arriver plus d’un mois après, avec des mauvaises appréciations dans quasiment toutes les cases [5] : qui veut noyer son chien l’accuse de la rage.

La conclusion s’imposait d’elle-même : cette stagiaire avait commis un crime de lèse-majesté. En s’opposant à l’autorité du guide, de surcroît lors du débriefing devant l’assemblée, elle signe probablement — sans le savoir ! — la décision finale. Le guide devait restaurer son autorité en la privant de diplôme.

La lecture de l’article de Rozenn Martinoia éclaire d’une nouvelle façon cela : les guides apprécient les femmes comme clientes pour leur docilité voire leur soumission. Là, l’inverse s’est passé, une femme s’est opposée à l’autorité d’un guide sur le champ même de ses compétences : la sécurité. La stagiaire a défié le guide — un homme, de surcoît devant une assemblée d’hommes, et non en tête-à-tête — avec son esprit critique jugeant que le terrain n’était pas suffisamment sûr pour qu’elle s’y engage. On arrive à une situation diamétralement opposée à celle évoquée dans l’article où c’est le guide qui prend la décision de renoncer devant le danger (d’avalanche en l’occurrence), la cliente qui approuve, contrairement au client qui cherche à outrepasser. Ici, le guide est pris au dépourvu devant la réaction de la stagiaire. Pour garder contenance et légitimité il ne peut que la sanctionner au final. D’autant que l’analyse du risque de la stagiaire est probablement plus pertinente que la sienne [6] — elle maîtrise les outils d’aide à la décision —, ce qui fait d’elle, quelque part, plus experte que lui sur son propre terrain ; son autorité est détrônée non seulement sur le terrain en lui-même mais également sur le champ des connaissances techniques !

Manque de recul, d’abnégation, de sagesse, surcharge de testostérone, que sais-je… Il n’a, en tout cas, pas trouvé de solution plus intelligente [7]. Décision sans appel : « Ceci sera notre dernière réponse. » « Il est inutile de la remettre en cause, cela ne changera en rien la décision qui a été prise. » L’autorité est rétablie.


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